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Didier Pasamonik : « Je ne suis pas un rebelle »

Par Laurent Melikian le 17 juillet 2008                      Lien  
L’éditeur-adjoint d’ActuaBD ne tient pas en place. Alors qu’entre autres projets, il participe à la réédition des 3 Adolf d’Osamu Tezuka, il publie Critique de la bande dessinée pure, un recueil d’articles mordants revus et corrigés. L’occasion était bonne pour faire une pause avec Speedy Pasa et dégager ses principales positions sur la BD. Entretien au centre de la bulle, mené par un journaliste indépendant de la rédaction d’ActuaBD.

Didier Pasamonik interviewé sur ActuaBD, qu’est-ce que c’est que cette autopromo ?

Tout le monde le sait, je n’ai aucun scrupule. À tel point que, je viens ici pour parler d’un livre regroupant certains de mes articles qui, pour l’essentiel, ne sont pas repris d’ActuaBD. Qui pourra le faire à ma place ? Devrais-je compter sur mes très estimables confrères du site du9.org pour me faire de la pub ? Cependant Nicolas Anspach -rédacteur en chef d’ActuaBD- a demandé que ce ne soit pas un journaliste du site qui réalise mon interview. Comme tu ne participes plus à notre site depuis quatre ans, nous t’avons sollicité.

Didier Pasamonik : « Je ne suis pas un rebelle »
"Critique de la bande dessinée pure" par Didier Pasamonik
Editions Berg International

Et j’ai accepté de le faire contre un déjeuner au café-restaurant Le Mistral, rue des Pyrénées, ceci étant précisé pour jauger du niveau de corruptibilité des journalistes spécialisés en temps de vacances… [1] Mais revenons à ton actualité, en l’occurrence, Critique de la bande dessinée pure qui comporte pas mal d’articles polémiques notamment contre les positions de Jean-Christophe Menu. Cela valait-il le coup de ranimer ces vieilles histoires ?

Ce ne sont pas de vieilles histoires, mais de vieux articles. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle ils sont précisément datés. J’ai réuni et retravaillé ces articles pour garder la trace de ces trois années 2005, 2006 et 2007 où la bande dessinée a évolué de façon extraordinaire. C’est l’explosion des mangas. C’est le fait que d’une crise à l’autre, le FIBD d’Angoulême n’est plus géré par l’association qui l’a créé mais par une société de droit privé. C’est la naissance d’une star, Joann Sfar. C’est le procès contre Charlie Hebdo au sujet des caricatures de Mahomet. C’est la « tentative de putsch » chez Dupuis. C’est Tintin au Congo devant un tribunal. Et ce sont aussi les polémiques de l’Association et de Jean-Christophe Menu -autour de Plates-bandes et de L’éprouvette- contre la prise de participation de Soleil dans Futuropolis.
Ces évènements qui montrent la grande vitalité d’un métier demandent un minimum d’éclairage. C’est ce que je tente de faire dans ce livre par le biais d’une chronique narquoise.

On dirait quand même que tu prends un malin plaisir à te placer au centre des polémiques…

Je suis placé au centre de polémiques parce que je suis souvent le seul à l’ouvrir. En BD, les débats sont souvent réduits à des disputes de forum qui tournent vite au pataquès, sans clairvoyance. J’ai eu l’audace d’apporter des contradictions au discours ambiant. J’ai été moi-même éditeur, libraire, ce qui crédibilise peut-être plus mon propos et dérange peut-être ceux qui sont trop vite enclins à avoir des opinions sans contradicteurs.
Pour donner des exemples précis, jusqu’à présent je n’ai jamais lu une critique un peu incisive des livres d’Harry Morgan ou de Thierry Groensteen, ni d’analyse équitable du Plates-bandes de Menu. Je ne fais qu’exercer un esprit critique. Si cela suscite des polémiques, c’est plutôt une bonne nouvelle, il peut en résulter un vrai débat. Après, je ne demande à personne d’être d’accord avec moi. Je pense donc être au centre de polémiques par défaut, vivement que d’autres prennent le relais.

Faut-il aller jusqu’à intervenir aussi souvent sur les forums d’ActuaBD ?

Effectivement, j’interviens souvent pour croiser le fer avec des interlocuteurs qui mettent en cause mes écrits et, là aussi, je suis un des rares à le faire. Cependant, j’agis de la sorte lorsqu’un nouvel éclairage sur la profession est à donner. Je me défie toujours des clichés et des tournures d’esprits à la fois injustes et trop confortables.
Il y a quelques jours j’ai écrit une chronique sur Chick Bill de Tibet. Je ne disais pas que Tibet est le génie du 20è siècle, mais j’exprimais de la sympathie pour un auteur honnête et intègre. Un auteur de mes amis m’a reproché d’avoir publié cette chronique. Comme si Tibet n’avait droit qu’au silence. J’ai aussi envie de me battre pour cette catégorie d’auteurs méprisés pour de mauvaises raisons.
C’est tout le sens du titre du livre. Ce qui m’intéresse c’est d’observer un métier que je ne considère pas comme un « microcosme » pour reprendre le terme de Jean-Christophe Menu, mais comme un mode d’expression qui joue un rôle important dans la sphère culturelle contemporaine.

Es-tu vraiment convaincu de cette importance de la bande dessinée ?

Tout à fait ! C’est ce qui m’a poussé à réagir quand en 2007, l’Université d’été du CNBDI débattait de la légitimation culturelle de la BD. À mon sens la question ne se pose plus. Consciemment ou inconsciemment, cela répond à une attitude politique qui consiste à croire que la culture ne peut se situer qu’en marge de la société et contre le pouvoir. Je combats cette idée. Car je pense que la culture échappe à ces clivages, qu’elle englobe à la fois le pouvoir et le contrepouvoir.

Pourtant, la cible de tes attaques concerne souvent les cercles subventionnés par des fonds publics, donc par le pouvoir…

Oui, parce que ces cercles tentent de complexer le pouvoir en lui disant : « Nous sommes l’intelligence et si vous ne nous financez pas, l’intelligence va vous échapper ! » Plus concrètement, je reproche régulièrement à certaines instances une recherche absolue de la reconnaissance qui incite à considérer qu’il existe une BD noble et une autre ignoble. Or, la bande dessinée n’est qu’un mode d’expression et seul un contenu peut-être ignoble ou noble, en aucun cas une forme de bande dessinée. Il y a là une façon de confisquer le médium. Pour être plus concret, les travaux de Thierry Groensteen, Harry Morgan ou Pierre Fresnault-Deruelle s’intéressent à la bande dessinée en tant qu’objet graphique ou narratif. Quid du fond, du scénario ? Je suis sûr que si on devait relire les œuvres de Jean Van Hamme ou le Batman de Frank Miller en réfléchissant non pas sur la forme, mais sur le fond –c’est-à-dire sur ce que l’auteur cherche à transmettre-, on redécouvrirait certaines œuvres. Pour un dernier exemple, Alan Moore m’intéresse aussi bien pour son côté formel que pour son côté politique, Or, cet aspect politique est ignoré par toute une catégorie de critiques.
Je dirais même plus, pour moi l’Association de Jean-Christophe Menu -pardon d’y revenir- est une maison d’édition où les graphistes ont pris le pouvoir et dont le succès est ironiquement assuré par une raconteuse d’histoires -Marjane Satrapi-. C’est d’ailleurs un des rares auteurs encore publiés chez cet éditeur qui ait un vrai contenu politique et littéraire. Évidemment ma vision est caricaturale, mais elle est fertile en réflexions…

Didier Pasamonik par Laurent Mélikian

Au final, tu es toi-même récupéré puisque tu es intervenu lors des universités d’été 2008...

Oui, j’ai clairement été récupéré. J’accepte de l’être puisque, foncièrement, je ne suis pas un rebelle et j’approuve toute ouverture de dialogue. J’ai d’ailleurs fait un article assez virulent à propos de cette université d’été qui m’a valu une lettre très peu amène de Gilles Ciment -directeur de la Cité internationale de la bande dessinée et de l’image qui organise la manifestation-. J’ai remarqué que même si j’essuyais sa désapprobation, il n’a pas annulé l’invitation qu’il m’avait faite. C’est une preuve d’intelligence et d’ouverture.

On oppose souvent les spécialistes institutionnels qui sont la cible de tes attaques à l’Association des critiques et journalistes spécialisés en bandes dessinées (ACBD) que tu défends souvent. Pourquoi ne pas devenir membre de l’ACBD ?

Si je dois faire partie d’un groupe, je veux en être acteur. Beaucoup de choses ne me conviennent pas dans la forme de l’ACBD, par exemple le fait qu’elle ne protège pas ses membres ou n’instruise pas de procès quand l’un d’eux est diffamé. Si je rentrais dans cette association, je serais un membre actif, voire dérangeant ou perturbateur. Autre raison de ne pas adhérer, je ne suis pas que journaliste mais aussi un peu éditeur –en tant que directeur de collection des éditions Berg-. C’est un mélange des genres que j’assume mais qui ne m’autoriserait pas à devenir membre à part entière.

L’Histoire des 3 Adolf aux Editions Tonkam (4 volumes dont le T.1 vient de paraître)
D. Pasamonik est le co-auteur, avec Kosei Ono, de l’appareil critique.

Par ailleurs, tu participes aux rééditions des 3 Adolf, d’Osamu Tezuka. Après avoir été le commissaire de l’exposition de Superman au Chat du Rabbin, deviendrais-tu le spécialiste incontournable des juifs dans la bande dessinée ?

Non, et ce n’est pas mon but ! Si j’ai accepté ce rôle qui m’a été proposé par Pascal Lafine des éditions Tonkam, c’est parce que les 3 Adolf est une œuvre qui m’attire particulièrement. Je pense être un bon connaisseur de Tezuka et de la culture juive dans la BD. Ça m’intéressait de fournir l’appareil critique sur cette œuvre riche en détails authentiques. J’ajoute que je ne suis pas seul à la tâche, je travaille en tandem avec Kosei Ono -ami et disciple de Tezuka- que Claude Moliterni connaît bien puisqu’il a cosigné avec Osamu Tezuka l’article sur le Japon dans le dictionnaire de la bande dessinée de 1980. C’est le plus grand spécialiste de Tezuka. Mon rôle consiste à réaliser un travail d’historien pour placer dans leur contexte les faits décrits dans la bande dessinée. Kosei Ono et moi-même avons d’ailleurs trouvé la raison profonde pour laquelle Tezuka a écrit les 3 Adolf : En 1940, des juifs de Lituanie se sont réfugiés provisoirement à Kobe. À cette occasion le jeune Osamu Tezuka les a rencontrés personnellement et s’est pris d’empathie pour eux. Il s’est inspiré de leur histoire pour écrire les 3 Adolf.

Pourquoi avoir repris la casquette d’éditeur pour le compte des éditions Berg ?

Pour la simple envie de réaliser des projets que je n’avais pas pu mener à bien auparavant. Chez Berg, j’essaye de faire découvrir des auteurs qui me tiennent à cœur et qui n’ont peut-être pas de place dans le paysage éditorial actuel. Je pense en particulier à Uri Fink, dont l’ouvrage « Israël-Palestine : Chronique d’une survie entre guerre et paix  » paraîtra à l’automne. Il s’agit de publier des témoignages, des ouvrages que les Anglo-saxons appellent « non fiction ». Berg est aussi l’éditeur de Critique de la bande dessinée pure. J’espère par ailleurs qu’il attirera suffisamment de monde pour pouvoir y publier d’autres essais.

Accepterais-tu d’y publier un nouvel essai proposé par Jean-Christophe Menu ?

Et pourquoi pas. S’il s’agit d’une œuvre intéressante et si je me sens en accord avec son contenu. Si, par exemple, il s’agit de la vision de Menu sur l’histoire de l’Association, je le publierais avec enthousiasme !

Propos recueillis par Laurent Mélikian

(par Laurent Melikian)

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