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Didier Tarquin ("Lanfeust de Troy") : « Personne ne m’oblige à continuer Lanfeust »

Par Jean-Sébastien CHABANNES le 14 mai 2016                      Lien  
Alors que les aventures de son héros se sont prolongées au travers de deux autres séries intitulées « Lanfeust des étoiles » et « Lanfeust Odyssey », Didier Tarquin a accepté de revenir pour nous sur sa série initiale qui lui a amené le succès auquel il ne s'attendait pas. Avec l’avènement de l’éditeur Soleil, « Lanfeust de Troy » a été un événement inattendu dans le monde de la B.D. Alors que depuis 2011, Mourad Boudjellal s'est détourné totalement de cet univers, Tarquin déclare ne plus porter le fanion d'aucun éditeur. Il continuera à porter le fanion de Lanfeust mais envisage déjà de s'en éloigner provisoirement.

Quel regard portez-vous sur la première série de Lanfeust et sur cette période des années 1994 / 2000 ?

Le premier cycle remonte à loin maintenant en effet mais il a toute son importance car c’est le cycle fondateur. C’est les bases. C’est le cycle qui définit les personnages et les règles du jeu. On doit toujours l’avoir en mémoire et le respecter. Même dans le nouveau cycle, on est constamment en très de vérifier avec Arleston ce que l’on peut faire ou pas, en fonction de ce qui a été définit au départ. Donc ce premier cycle de « Lanfeust de Troy » est vraiment hyper important !

Didier Tarquin ("Lanfeust de Troy") : « Personne ne m'oblige à continuer Lanfeust »

Comment expliquez-vous le succès fulgurant de la série ? A partir de quel album cela a commencé ?

Le succès de Lanfeust est très étrange. Alors que le livre était en cours d’élaboration (au niveau dessin je devais en être au dernier tiers), on savait déjà que la mise en place du bouquin n’était pas bonne. Mourad Boudjellal (notre éditeur à l’époque) nous annonce « Mise en place pourrie ! ». L’album n’était pas encore sorti qu’on partait perdants. Mais lorsque le livre est sorti, il s’est passé ce qui se passe pour une série tous les dix ans : c’est que les gens l’ont acheté. Et ils ne se sont pas contentés de le lire, ils l’ont prêté, ils l’ont conseillé... il y a eu du bouche à oreille. Trois ou quatre mois après, Mourad nous téléphone « Didier c’est incroyable, le bouquin on ne le tient pas, il va falloir le réimprimer ! ».

A partir de ce moment-là j’ai su que mes perspectives d’avenir allaient complètement changer (alors que j’étais plutôt dans l’état d’esprit d’aller cherche un job). Tout d’un coup se profilait devant moi la possibilité de rester dessinateur de bandes dessinées. C’était le rêve et il y avait à ça un petit côté "Conte de fée"... comme repêché par les lecteurs. Le succès de Lanfeust s’est vraiment construit par les lecteurs. Et c’est une énorme victoire aussi pour Soleil car si on replace les choses dans leur contexte, c’était la première B.D. de création chez Soleil, qui passait non seulement le cap d’être rentable, mais qui en plus rapportait des sous ! Avant il y avait eu « Rahan » et « Tarzan » qui avaient rapporté à Soleil mais ce n’était pas des créations. Sous l’euphorie du moment, j’ai proposé à Arleston et à Mourad de faire deux albums par an. C’était un choix difficile qui demandait d’être tout le temps au travail : nuits et jours, les week-ends. On a fait ça, ce qui a ajouté un effet supplémentaire (comme si on rajoutait quelques gouttes de kérosène sur l’étincelle). Et ça a fait boum ! On l’a vraiment senti dès que le tome deux est arrivé.

Sans pour autant relancer le genre de l’Heroic Fantasy en BD, est-ce l’orientation "Humour" et "Dérision" de Lanfeust qui a été innovante ?

C’est une question qui revient souvent mais je ne pense pas qu’en mêlant humour et fantasy, on ait vraiment innové avec Lanfeust. L’humour s’insinue de partout. Je dirais plutôt que par le succès de Lanfeust est devenu un peu la tendance montante. Avant Lanfeust, il est bien évident que de l’Heroic Fantasy il y en avait. Il y avait du matériel américain comme « Conan ». Dans la B.D. franco-belge il y avait bien évidemment « La quête de l’oiseau du temps », « Les légendes des contrées oubliées », « Les chroniques de la lune noire »... Dans le genre humour, je me souviens aussi de Coucho qui avait fait « Le banni ». C’était du gag, ça se voulait gore. Il y avait « Kroc le bô » (Ségur encore). Je me souviens aussi de « Fuzz et Fizzbi » (de Tota et Cailleteau) et qui avait un côté plus enfant. Pour Lanfeust, je pense simplement que les gens avaient envie de lire ça à ce moment là, c’est tout.

Est-ce que les nombreux jeux et gags cachés étaient une manière de montrer que vous ne vous preniez pas au sérieux ?

Il faut replacer les choses dans son contexte : Lanfeust sort et on est persuadés que ça ne va pas marcher. Les séances de dédicace pour nous à ce moment-là, c’était simple : je passais trois heures à jouer avec mon crayon et il n’y avait personne devant moi. Et d’un coup je me retrouve avec cinquante personnes qui connaissaient mes bandes-dessinées mieux que moi. Par cœur ! Quand je ramène ça à la maison, je me dis que c’est incroyable ce que j’ai vécu le week-end dernier, tous ces gens... ça fait un bien énorme.

Et donc quand tu te remets au travail, tu as toujours ça en tête : tous ces gens qui aiment ton travail, qui te parlent des détails... Tu te dis « Ooh la laa, ils ont vu ça et le week-end prochain j’ai encore une autre séance de dédicaces ! ». On a envie de jouer avec eux et j’installe comme ça des petits jeux. C’est vraiment ma touche personnelle en tant que dessinateur, ce n’est pas scénarisé. Quand les bouquins sont sortis avec ces jeux cachés ça a eu un effet énorme. Il y a même eu une surenchère d’album en album. Ça s’est fait sans calculs, je me suis pris au jeu. Et ça a marché. D’ailleurs il existe un album où il n’y a pas eu de petits jeux et j’ai eu des réflexions de lecteurs. Ils trouvaient ça nul. Quelque part c’est devenu une marque de fabrique.

Le créneau initial de l’érotisme et de la violence des premiers albums s’est finalement assez vite atténué...

Dessin de l’auteur réalisé pendant l’interview

Sur le dosage érotisme-violence, c’est Arleston. Il écrit la partition, moi je l’interprète mais il y a en effet des moments où j’ai envie de pousser plus loin. Si je devais faire un parallèle avec le Western au cinéma, Arleston est très classique. Il serait John Ford et alors que moi je suis plus Sergio Leone. Je suis plus dans l’exubérance. Je suis plus latin que lui à ce niveau là. Remis ça à la bande dessinée, cela veut dire qu’Arleston est plus franco-belge classique alors que moi, dans ma culture, il y a aussi du comics et du manga. Je lisais de l’underground avec « Métal Hurlant » quand lui lisait « Spirou ». Ceci dit, cela ne l’a pas empêché de mettre de la violence et du cul... et moi j’exagérais tout ça. Il me dit de dessiner un village, je dessine une ville. Le héros doit se battre contre trois gardes, j’en mets quinze... Sur certaines scènes il est content... sur d’autres il trouve que je vais trop loin et me demande de faire attention. Cela concerne bien entendu aussi ces aspects de violence et de sexe que tu évoques.

L’histoire de Lanfeust de Troy est découpée en deux parties. La série semble avoir gagné en maturité dès le cinquième tome et avec la scission de Cixi.

Ce découpage en deux parties, il était voulu mais il faut savoir qu’en réalité les albums se sont toujours fait vite ! Vraiment très vite. On a toujours le nez dans le guidon. Il écrit, je dessine. Ce que je dessine, ça lui déclenche des idées. La manière dont on travaille tous les deux, c’est presque un travail d’équilibriste. Des fois on ne sait même pas où on va. Un élément de la page dix peut avoir des répercussions à la page trente mais on n’en a aucune idée au moment où on le fait. On a un cap mais on n’a pas les détails. On ne peut pas demander à Arleston d’avoir un album complètement scénarisé de A à Z (comme avec Van Hamme) avant même que la première case soit dessinée. Arleston fonctionne peut-être plus à la Charlier... comme un feuilletoniste. Presque il improvise : il a une idée de là où il veut aller mais dans le détail, non ! C’est sa manière d’être et il faut respecter ça chez Arleston.

Pour en revenir à cette seconde moitié du premier cycle, je pense qu’on avait plus trouvé nos marques. On était moins dans la tourmente. Il faut savoir que le succès n’est pas facile à digérer car ce sont des émotions fortes. Et il faut arriver à gérer le bonheur que ça procure pour ne pas avoir la grosse tête. Je pense qu’on commençait à comprendre où on se situait par rapport à tout ça et c’est aussi le moment où je me décide à changer ma technique : je commence à introduire le pinceau.

En effet on a l’impression que vous prenez alors plus de plaisir dans le dessin et qu’Arleston a trouvé de nouveaux ressorts dans l’histoire ?

C’est comme le vin, il y a des bonnes et des mauvaises années. Et d’ailleurs on ne le sait pas si on fait un bon ou un mauvais album. La seule chose qu’on peut dire c’est qu’on fait de notre mieux. C’est après, avec le recul, qu’on voit si ce n’était pas une bonne année ou si on a gazé ! J’étais déjà moins dans cet espèce de triple galop où il fallait absolument tomber de la page parce qu’on a de la chance de rencontrer du succès et qu’on ne veut surtout pas que ça retombe. Et donc on alimente, on alimente : un bouquin tous les six mois c’est un truc de fou. A partir du tome cinq ou six, on n’était déjà plus dans cette logique : on sort un album par an et donc on se pose un peu plus. On a compris aussi quelle était notre position au sein de Soleil. Pour moi, dans ces années-là, c’est le moment où je commence à avoir envie d’autre chose, d’essayer de nouveaux trucs comme le pinceau, un autre papier. J’ai commencé le pinceau justement au moment au Cixi s’en va, quand elle quitte le Darshan. Vient ensuite l’album où il y a une de mes scènes préférées au niveau mise en scène : c’est la fameuse attaque du train par les trolls blancs. La mise en scène c’est aussi important que le dessin. Oui ! Encore aujourd’hui c’est une de mes meilleures scènes ! C’est le moment où j’ai compris qu’il fallait que j’arrête de penser avec du papier mais bien avec une caméra.

Vous anticipez ma question suivante car en effet cette scène était marquante pour les lecteurs !

J’ai compris une chose avec le temps... c’est que Lanfeust était un héros multiforme ! Lanfeust est un personnage d’Heroic Fantasy mais c’est aussi un cow-boy, un Jedi, un super-héros... et du coup on a le droit de changer la mise en scène en fonction de ce qu’on a à raconter. Dans cette scène de l’attaque du train par les trolls blancs, j’ai vraiment voulu faire du western pur et dur. Même dans le cadrage ! Il y a par exemple une image où je me suis demandé si je pouvais pousser la caméra à ce point-là : celle l’image où on voit le troll casser le toit du wagon mais on le voit de l’intérieur, à travers le trou. Ces choses-là je les ai rarement installées dans Lanfeust. Et là j’ai vraiment voulu amener du mouvement. C’est du pinceau en plus : non seulement je fais un effort sur le fond (la manière dont je dois aborder les choses) mais aussi dans mon geste. J’ai un autre outil dans ma main et à ce moment là je réfléchis à chaque trait. Je ne l’ai pas encore complètement apprivoisé, ça me demande un effort.

Dans le tome sept, il y a aussi une scène de danse entre C’ian et Falordelle. Est-ce que ce sont des séquences où vous vous amuses plus que d’autres pour dessiner ?

On avait justement à cette époque, extrait et diffusé une page de cette scène. Comme un making-of. Là, dans cette scène, on est vraiment dans le "caliente", dans le torride : il faut y aller à fond ! ( Rires) Oui je me régale à dessiner ce genre de scène, bien sûr ! En plus ce sont des pin-up : il faut être dedans, bien sûr !

Quel sont vos albums préférés sur ce premier cycle ? Pour quelles raisons ?

C’est super dur à dire ça ! Peut-être le premier et le dernier. Le premier pour le vécu. C’est celui où je suis passé d’un gars qui a toujours voulu faire se métier (et qui apparemment ne le fera jamais) à un type qui non seulement va pouvoir faire ce métier... mais qui en plus sera en très bonne place chez Soleil. Il faut savoir que c’est très bon pour des auteurs d’être la première BD qui marche chez un éditeur (même si les autres séries font ensuite des meilleurs scores). C’est presque le tapis rouge.
Le dernier et huitième album aussi parce que c’est la fin d’un cycle... avec le sentiment du devoir accompli. Je vis les aventures, je les vis vraiment et comme Lanfeust, j’ai ma victoire. Et à la fin du huit, s’ajoute aussi un autre sentiment qui est : en route vers de nouvelles aventures !

Il y a deux couvertures d’album que j’aime beaucoup : Cixi impératrice et Les Pétaures se cachent pour mourir.

Pour Les Pétaures se cachent pour mourir, clairement, j’avais très envie de faire du Catwoman ! Je ne suis pas un fan "hardcore" du Comics mais j’ai adoré lire du Strange et donc là il y avait cette possibilité de faire du super héros. Certes je n’ai pas les immeubles nécessaires mais j’ai la ville d’Eckmül. Et j’avais aussi un "putain" de bon coloriste à ce moment là : Claude Gut, (qui était aussi un illustrateur). Et donc il y avait la possibilité de faire ça. Le coloriste précédent, Yves Lencot, était un très bon coloriste à l’époque. Il était très coté et on le retrouve d’ailleurs sur « La quête de l’oiseau du temps ». D’ailleurs, sur le premier tome de « Lanfeust de Troy », dans le trio « Arleston-Tarquin-Lencot », le plus connu c’était le coloriste Yves Lencot. Vraiment ! Pour l’autre album « Cixi impératrice », c’est une compo. Il fallait qu’il y ait du charme (car c’est Cixi) mais en même temps, elle est impératrice. Donc Il fallait qu’il y ait la colonne, ce côté droit.
Pour l’anecdote, il faut savoir que les prénoms de Cixi et de C’ian viennent au départ de deux impératrices chinoises : « Cixi ou Tseu-Hi » et « Ci’an ou Tseu’An ». Il ya deux orthographes et deux prononciations... mais elles ont vraiment existé ! On voit d’ailleurs Cixi dans le film « Le dernier empereur ». Au final, même si tout le monde se réapproprie un peu tout ça, derrière le prénom de Cixi il y a aussi quand même le mot « sexy ». Et derrière le prénom de sa sœur, il y a la couleur bleue (cyan) qui amène une forme de douceur. Par exemple de mon côté, dans le prénom de Lanfeust, j’y ai toujours vu le mot feu... alors que Arleston n’a jamais pensé à ça !

D’où vous vient cette idée d’un héros roux avec deux mèches noires devant, la principale caractéristique graphique de Lanfeust ?

Il en faut toujours une et il y a une histoire derrière ça ! Quand je dessine Lanfeust pour la première fois, il n’y a aucune esquisse de faite. Je crois que je l’avais dessiné juste une seule fois avant, sur un bout de papier, à l’arrache. Quand Arleston m’a proposé de faire Lanfeust, moi ça ne m’intéressait pas plus que ça au départ. Il a insisté alors que moi j’étais dans une spirale de l’échec avec mes trois précédents albums (« Roq » n’a pas marché du tout). J’étais un peu amer et donc quand j’ai attaqué Lanfeust j’étais persuadé que c’était mon dernier album. Donc je me suis dit ok, je vais le faire mais je vais m’amuser. On va se lâcher puisque de toute façon il n’y aura pas de lecteurs. C’était même confirmé par la mise en place qui était mauvaise. Donc c’était comme un baroud d’honneur pour moi. Il n’y aura pas de lecteurs à part nous donc autant s’amuser, on s’en fout ! Et donc quand je dessine Lanfeust sur la première page du premier album, on peut dire que c’est vraiment la première fois que je le dessine. Or dès la première page, Lanfeust utilise déjà sa magie et donc se pose pour moi la question de « Comment je peux dessiner cette magie ? ». Arleston me propose de dessiner comme des éclairs qui sortent de ses yeux. Mais pour moi ce n’est pas du tout ma culture de faire ça. Je cherche, je dessine chez moi et la télévision est allumée. C’est « Dragon Ball » qui passe avec une scène où ses cheveux se dressent. Et je comprends que la magie, elle est là ! Je décide donc de dresser les cheveux à Lanfeust. Ensuite, comme j’ai fait un tout petit peu de théâtre, j’ai appris qu’il fallait que les choses se voient de loin, d’où la nécessité du maquillage un peu outranciers et des gestes exagérés pour les gens du dernier rang. Mais il fallait aussi que Lanfeust ait sa propre singularité : j’ai donc rajouté ces trois mèches noires. C’est très technique en fait mais c’est important.

Pour certains lecteurs, le Troll Hébus ressemble plus à un ours, voire même un "Ours en peluche" depuis Mourier.

Quand j’avais dessiné Hébus pour la première fois, j’avais imaginé un prédateur ultra musculeux. Mais Arleston est intervenu et c’est d’ailleurs le seul personnage qu’il a fallu que je retouche. Il m’a dit « Non, Hébus ce n’est pas ça. Il faut qu’il ait une dimension humoristique ». Hébus c’est le Obélix du coup et je ne le voyais pas comme ça au départ. Donc ok, je l’ai fait plus rond. Mais par contre moi je n’ai pas fait dans le "poil", j’ai fait dans le "Mister T.". C’est pour ça qu’il a cette crête et qu’il a autant de colliers. Arleston m’avait précisé également que les Trolls n’aimaient pas l’eau. Pour moi, s’ils n’aiment pas l’eau c’est qu’ils ne se lavent pas et donc j’ai rajouté les mouches. Ensuite quand la série a eu son succès, Mourad Boudjellal (en tant qu’Editeur qui se respecte) a dit qu’il fallait faire une série dérivée avec Hébus. Arleston et moi avons dit « Pas question ! Hébus il est avec Lanfeust, il n’est que dans Lanfeust ! ». Boudjellal a insisté : « Bon alors les Trolls ? ». On a un peu traîné la patte. Et puis il y a eu une séance de dédicaces où Jean-Louis Mourier s’est retrouvé par hasard à dessiner sur Lanfeust et il a fait un Troll. Mais il l’a dessiné avec ses poils, comme un yéti, comme un big-foot. Et ça a fait tout de suite "tilt" dans la tête de Arleston. Donc oui ce sont des Trolls, Mourier ne les dessine pas comme moi, mais peu importe au final !

Philippe Pellet a précisé qu’il s’était inspiré de votre manière de découper les vignettes pour constituer sa planche.

Et moi-même j’ai piqué ça à Paul Glaudel qui dessinait « Les maîtres cartographes ». A l’époque je dessinais mes planches avec le trac : il fallait que ce soit bon du premier jusqu’au dernier dessin de la page. Glaudel, lui, ne se posait pas de questions : il faisait chaque dessin sur un bout de papier et ensuite il collait. Quand on voit également les planches de Loisel, c’est de la maçonnerie ! On réalise alors qu’on peut scotcher, coller, mettre du blanc... Tant que ça tient et qu’on peut scanner (et que le dessin n’est pas abîmé). Et bien allons-y alors ! Et puisqu’en plus moi je travaille dans un bar, ça me permet de faire image par image, en petit. Je n’ai pas besoin de sortir ma grande planche pour travailler.

Quel est votre personnage préféré ?

Je vais vous répondre Cixi parce que c’est une pin-up et que j’aime ça ! Si j’avais le choix pour une nouvelle série B.D. entre un mec et une nana, je pense que je préfèrerais clairement une héroïne. Après, le personnage de Cixi ne m’apporte pas tout dans « Lanfeust ». Même si c’est le personnage qui apporte le plus, elle n’apporte pas tout ! Elle fait sa Catwoman mais elle n’apporte pas le côté super héroïque car elle n’a pas le pouvoir absolu. Elle n’amène pas l’humour non plus que peut amener un Hébus (Hébus est un personnage énorme). Par contre, en effet, si je devais faire une série "spin-off" avec un seul des personnages de la série, ce ne serait pas Hébus, ce ne serait pas Lanfeust, ce serait Cixi !

Est-ce Didier Tarquin qui aurait dû réaliser en personne le cycle de « Cixi de Troy » ?

Je ne pouvais pas le faire ! C’était un problème de temps. La machine s’est un peu emballée à ce moment là. Quand Cixi a quitté le groupe pour devenir l’ombre ténébreuse et mener son combat solo contre Thanos, on a réalisé qu’il y avait un trou dans le scénario et que ce serait trop bien de dessiner ça. Pendant des années, Arleston m’a demandé « Bon alors, on le fait quand ? ». Je répondais à chaque fois « Plus tard, j’ai encore du "Lanfeust" à tomber ». Au bout d’un moment, Arleston m’a dit « Bon, je le fais dessiner par quelqu’un d’autre alors ? ». Je lui ai répondu : « Jamais ! Personne d’autre que moi ne touche à Cixi, je ne peux pas. C’est ma fille ! ». Mais le temps a passé et je me suis fatigué de toujours me dire « Il faut que je fasse Cixi ». Vatine commençait alors à roder autours de Soleil Production et là j’ai dit « Vatine ? Waouh ! ». Sauf que je n’ai pas dit "Waouh" au bon Vatine. Pour moi, Vatine, c’est celui de « Corail noir ». Mais c’était une erreur de ma part car Vatine ne dessinait déjà plus comme ça. « Corail noir » est un chef-d’œuvre et Vatine avait été à ce moment-là le "James Cameron" de la B.D. D’ailleurs James Cameron a pris chez Vatine quand il a fait son « Avatar » car je trouve qu’il y a beaucoup de similitudes. Donc pour le « Cixi de Troy » dessiné par Vatine, en effet je voyais autre chose. J’ai été surpris et inquiet. Inquiet de savoir si les lecteurs allaient suivre ce cycle. De même que je ne suis toujours pas persuadé qu’un lecteur va acheter toutes les séries qui tournent autours du monde de Troy. Je crois qu’il y a un moment où le lecteur s’arrête.

Justement, avec le tome huit, vous avez eu le courage de mettre fin à une série à succès ! C’était un sacré risque.

On pourrait dire que le ver était dans la pomme depuis pas mal de temps. J’habite Aix en Provence et Arleston aussi. A l’époque du tome quatre, on se voyait toutes les semaines et il est arrivé une fois où on s’est mis à délirer sur un « Lanfeust des étoiles ». On n’en était pas du tout à la fin de « Lanfeust de Troy » que tout d’un coup on avait les yeux qui brillaient. On est des enfants de « Star Wars » et donc on commence à se dire que oui, ça pourrait être super.

Alors, on a quand même continué la série avec le tome cinq de Lanfeust... mais en gardant cette idée en tête. Quand la saga s’est terminée avec le tome huit, on était très contents mais on s’est dit « Et maintenant vite-vite, on part dans les étoiles ! ». L’éditeur est intervenu forcément pour nous dire « Surtout ne faites pas ça ! ». Mais Arleston, avec son caractère et sa stature, a dit « On s’en fout, on le fait quand même ! ». Et on est passé de cent mille à deux cent mille exemplaires...

Est-ce que vous relisez vos anciens albums ou vous les regardez pour ton travail ?

Les relire non ! Mais je les refeuillète. Pour mon travail je suis obligé en effet. Mais ça m’est arrivé il y a quelques années de retomber sur un de mes bouquins et de me retrouver à le lire. J’avais trouvé ça pas mal. Evidemment je ne peux pas avoir vraiment le même œil qu’un lecteur. Je peux imaginer ce qu’il y a trouvé mais je ne serai jamais comme un lecteur type de Lanfeust.

Quel était votre niveau d’implication dans les histoires d’Arleston à l’époque pour ce premier cycle ?

Avec lui c’est un ping-pong ! Il lance une idée, je rebondis... puis je lui lance une autre idée. Et il y a des batailles d’egos d’ailleurs à ce petit jeu. C’est drôle. Ça va de la grosse rigolade à la grosse empoignade. Mais on se respecte suffisamment tous les deux pour savoir que même quand ça monte au niveau des décibels, et bien c’est qu’il va se passer plutôt un truc pas mal au final. C’est qu’on va trouver des tas d’idées derrière. On est un vieux couple et on se fout sur la gueule des fois. Mais c’est comme ça, ça fait partie de notre manière de le vivre. On a un anxieux d’un côté (Arleston) et un teigneux de l’autre. Certains jours ça fait des étincelles mais sincèrement je serais inquiet si ça devait ne plus se passer comme ça. Claquer la porte ça fait partie du truc et ça casse la routine. Je n’oublie pas non plus toutes les accolades en se disant « Tu es mon pote ». Alors même s’il y a des moments où j’aimerais ne plus faire Lanfeust, personne non plus ne m’oblige à continuer de dessiner Lanfeust. Je sais que si j’arrêtais, il me manquerait très vite !

Il y a eu cet album « Gnomes de Troy » qui reste cohérent avec l’univers de Lanfeust. Etait-ce un réel plaisir à faire ou une réponse à une mode à l’image du « Petit Spirou » ?

C’est presque ça ! Le petit Lanfeust (on va l’appeler comme ça puisque tu évoques « Le petit Spirou ») est né parce que « Lanfeust Magazine » est né. Au même titre que le petit Spirou est né pour le magazine « Spirou ». Il fallait alimenter de la page, que ce soit rapide et facile. Quand il y avait deux pages de blanche, il fallait faire deux gags. Et puis quand Mourad a vu qu’on arrivait à trente ou quarante planches, il a dit « Allez, on va rajouter deux couvertures et on va en faire un livre ». Ça nous a amusés et donc on en a fait un deuxième puis un troisième...

On m’a tanné pour en faire d’autres mais je n’ai plus envie. L’humour c’est assez difficile. C’est ultra synthétique, il faut tout résumer à mort. La bande dessinée c’est un vrai langage, c’est de l’écriture ! C’est de l’écriture sans alphabet mais il y a un sujet, un verbe, un complément : c’est un vrai travail d’écrivain. Et le gag appartient à un certain type d’écriture, bien codifié. Il y a une certaine gymnastique d’esprit qui va avec. C’est hyper intéressant et ce n’est pas du tout le truc facile qu’on imagine. Mais moi, je n’ai pas assez faim de ce type de nourriture. J’ai besoin d’autres horizons. Le gag c’est du « shoot them up » pour moi. Il faut avoir envie de tomber des planches, avoir envie que ça aille vite. Mais si j’arrive à me bloquer trois mois pour ne faire que ça, peut-être qu’un jour je referai un « Gnomes de Troy ».

Est-ce qu’il vous arrive d’être reconnu par des lecteurs ou de vous faire aborder dans les rues d’Aix en Provence ?

Non et je détesterais qu’on me reconnaisse. En festival ce n’est pas pareil. Mais ici je suis un animal solitaire et j’aime bien être caché (même si c’est dans un bar). Il y a en effet des gens qui passent mais me faire aborder, ça doit arriver une ou deux fois l’an... et sur la pointe des pieds. Eventuellement, les gens jettent un œil mais j’ai une manière de me comporter qui fait que les gens autours comprennent que je ne veux pas être dérangé. Je mets par exemple une casquette : on ne voit pas mes yeux et donc les gens me foutent une paix royale. Ils voient que je travaille. Ils le respectent et je trouve ça très bien !

Lors de notre première rencontre, vous parliez de devenir ton propre scénariste ?

Là j’arrive au bout de Lanfeust, je suis en territoire inconnu. « Lanfeust Odyssey » va se terminer d’ici deux ou trois albums. Je dois trouver autre chose donc je suis en train de bosser sur un projet où je suis en effet scénariste et dessinateur. Ce n’est plus la même chose pour moi, ça se joue plus en intérieur. Je me pose plus de questions : comment on écrit, comment on dialogue... Comment on met en scène sa propre partition ? Moi je suis habitué à jouer surtout la partition de Arleston. Je vais signer chez Glénat et je me lance donc dans la deuxième partie de ma carrière. Il y aura vraisemblablement encore du Lanfeust mais comment ? Sous quelle forme ? On en parle ouvertement avec Arleston, la question est légitime. J’ai envie d’ouvrir le champ des possibilités avec d’autres éditeurs, d’autres scénaristes. Que ce soit de l’aventure ou des histoires plus intimistes. C’est hyper important pour moi. Je ne peux pas rester à faire Lanfeust tout le temps... pour Lanfeust ! Si je veux avoir le plaisir d’y revenir, il va falloir que j’y trouve le plaisir d’en partir. On n’aime jamais autant sa maison que quand on rentre d’un voyage !

Propos recueillis par Jean-Sébastien Chabannes
http://pabd.free.fr/ACTUABD.HTM

(par Jean-Sébastien CHABANNES)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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4 Messages :
  • Je devais avoir 9 ans quand j’ai reçus mon 1er Lanfeust, je me rappel que je n’aimais pas lire mais que je courrai a la librairie avec ma mère pour voir si un nouveau n’était pas sortit... puis on a déménagé 2 fois, puis l’internat, les voyages, le boulot... Et voila que presque 20 ans après ma chérie (qui ressemble étrangement a cixi d’ailleurs )me dit tu devrai lire... oui mais comme j’aime pas lire ça va être compliqué et la je repense a lanfeust J’appel ma mère pour savoir si elle a toujours mes bouquins et non rien du tout... Je commence donc à racheter le 1er album de troy y a 3 mois et me voilà comme il y a 20 ans en train d’attendre le 9 de l’Odyssey !! merci pour tout ce beau travail et les moments de bonheur que vous portez du bout de vos
    doigts

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    • Répondu par Burning Man le 22 janvier 2017 à  21:31 :

      Ca vous fait 29 ans ? Effectivement vous ne devez pas aimer lire, car ça ne vous a pas aidé pour l’orthographe

      Répondre à ce message

      • Répondu par Maître Hadi le 4 mars 2018 à  14:19 :

        Ce genre de remarque pour répondre à un commentaire qui vient du coeur...
        Vous ne devez pas avoir une vie très épanouie pour être aussi rabat-joie.

        Répondre à ce message

  • Je ne comprends pas qu’on puisse critiquer un sentiment d’admiration et de reconnaissance avec des attaques personnelles. Pour ma part, je n’ai qu’une envie c’est de les relire. Incroyable b.d, j’voudrai même un film ahah...

    Répondre à ce message

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