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Dimitri Piot ("Koryu d’Edo") : "Je sentais utile de publier un livre dans la collection "Carrément BD"

Par Nicolas Anspach le 19 janvier 2010                      Lien  
À la fin 2009, {{Dimitri Piot}}, a publié {Koryu d’Edo}, un récit où deux histoires d’amour s’entrecroisent, en alternance dans le passé médiéval japonais et dans le Japon d'aujourd'hui.

Ce récit raconté et dessiné avec délicatesse narre la relation d’un jeune dessinateur de manga avec la fille d’un historien restaurateur d’estampes anciennes.
Koji, le dessinateur, va s’intéresser à l’histoire écrite et illustrée sur les estampes où un samouraï est pourchassé par son maître pour avoir eu une liaison avec une des concubines. Passé et présent s’entremêlent dans ce récit particulier.


Dimitri Piot ("Koryu d'Edo") : "Je sentais utile de publier un livre dans la collection "Carrément BD"Quel a été votre parcours jusqu’à Koryu d’Edo ?

Avant de suivre des cours pendant deux ans à Saint-Luc, à Bruxelles, j’ai fait des études en Arts plastiques à l’IATA à Namur. J’ai ensuite été l’assistant du peintre Frédéric Dufoor dans les anciens ateliers de Rodin à Bruxelles. J’apprenais à tendre des toiles de grands formats sur les châssis. Ensuite, je peignais à côté de lui. Je le regardais peindre, tout en me concentrant sur mon travail. Il venait me corriger. Frédéric Dufoor appréciait la bande dessinée. Je lui en apportais régulièrement. Je lui ai notamment fait découvrir François Boucq.
J’ai ensuite travaillé sur une histoire courte pour Lanfeust Mag dont le scénario était signé par David Boriau. Puis, j’ai rejoint l’équipe de Jacques Martin. Pendant deux ans, j’ai travaillé sur son univers, notamment sur un album des Voyages du temps de Louis XIV. Jacques Martin était excessivement charmant et n’hésitait pas me donner des conseils. Éric Lenaerts, avec qui je discutais dernièrement, me disait : « Quand Jacques Martin prenait un crayon pour corriger un dessin, on comprend directement. C’était une véritable leçon de dessin ! ». Puis, ses enfants et Casterman ont géré ses affaires, et ce fut tout autre chose. Je me suis alors retrouvé à présenter différents projets chez Paul Herman, éditeur aux éditions Glénat.

Pourquoi avez-vous souhaité traiter du Japon pour votre premier album ?

Dans mon enfance, mon meilleur ami était Japonais. Je vivais du côté de Watermael Boitsfort, une commune de Bruxelles, où la communauté Japonaise était relativement importante. Mon ami Koji m’a fortement influencé. J’étais intrigué par sa culture. À l’époque, les mangas n’étaient pas encore traduits en français et il avait trouvé une astuce pour s’approvisionner. Il me les montrait. Je ne savais bien évidement pas lire le japonais, mais j’étais intrigué par le format, le papier, l’odeur, la typographie japonaise, etc. Je me suis débrouillé pour en obtenir, puis en ai acheté dans la librairie d’Yves Schlirf qui importait des mangas directement du Japon. Quand Jacques Glénat a commencé à faire traduire des mangas, j’ai continué à acheter les versions originales. Je me souviens encore du moment où j’ai acheté l’Art Work de Otomo, Kaba, chez Schlirf [1]. Ce livre est devenu totalement introuvable depuis … C’est grâce au manga que j’ai été fortement intrigué par le Japon. Mon style graphique n’est pas trop dirigé vers ces influences parce que j’étais plus influencé par la BD européenne, excepté en ce qui concerne Otomo. Ce dernier a beaucoup d’influences européennes et cela se ressent dans son dessin. C’est pour cette raison, je pense, que Jacques Glénat a acheté les droits d’Akira pour la France. Moebius et Otomo se sont influencés mutuellement. Dans le troisième tome du Monde d’Edena, La Déesse, on sent les influences d’Otomo sur l’œuvre de Moebius.

Extrait de "Koryu d’Edo"

Placer une histoire au Japon était donc naturel …

Oui. J’ai été influencé par le Japon au-delà du manga. J’ai regardé de nombreux films japonais. À une époque, j’ai beaucoup côtoyé Marc Michetz (Kogaratsu) . Nous étions voisins. Humainement parlant, Marc a eu une grande influence sur moi. C’est un homme entier. Il m’a fortement encouragé à réaliser ma première BD sur le Japon. Quand j’ai commencé à travailler sur mes projets de BD, j’ai rencontré Etienne Schréder par l’intermédiaire de Paul Herman, mon éditeur. Je souhaitais pour mon premier album qu’un auteur professionnel me guide, me conseille. J’avais été épaté par son album paru dans la collection Carrément BD, le Vol d’Icare. Toute la narration, le découpage de ce livre, était composé de cases carrées. Les pages étaient symétriques les unes aux autres. Ce livre était vraiment très audacieux. C’était un véritable exercice de style !
J’ai parlé de mon idée d’histoire sur le Japon à Étienne Schréder. Il m’a incité à foncer, et j’ai donc rédigé un synopsis.

Extrait de Koryu d’Edo

Le récit a pour cadre deux époques différentes. Pourquoi avoir choisi de traiter de l’une d’elle sous la forme d’estampes ?

Je voulais traiter la période médiévale de manière innovante. J’ai été tenté de la dessiner en utilisant des teintes sépia, mais cela ne me convenait pas. Je cherchais une autre voie graphique. En considérant ma documentation, je me suis rendu compte qu’une grande partie de celle-ci était composée d’estampes. Pourquoi ne pas essayer de traiter la période moyenâgeuse de la sorte ? J’ai dessiné une planche pour voir si j’y arrivais. Le résultat a été concluant. Je me suis servi de textures crées à la main. J’ai laissé vieillir des vieux papiers de journaux des années 1950 dehors pour qu’ils subissent les affres du temps et des éléments : la pluie, la neige, le soleil, la boue, etc. J’ai créé grâce à cette mixture des textures que j’ai scannées pour pouvoir y incorporer mes dessins. Tout était à créer pour cet album, tant au point de vue graphique que narratif. Pour l’histoire, j’ai veillé à être fluide et accessible à tous, d’autant plus que le Japon est une thématique difficile pour certaines personnes. Les dessins que réalise mon personnage, Koji, en page 33 et 43 ont été réalisé par Martin Trystam. Ce dernier travaille beaucoup dans le secteur de l’animation. Il planche actuellement sur l’adaptation du Chat du Rabbin réalisé par Joann Sfar. Je tiens à le remercier publiquement.

Lors d’une interview, Paul Herman, le directeur de la collection Carrément BD nous a dit que les auteurs devaient « penser carré ».

Je ne l’ai pas fait ! Etienne Schréder avait déjà poussé cette réflexion à son paroxysme pour le Vol d’Icare. Je me suis dirigé vers cette collection car c’est l’« Aire Libre » des éditions Glénat. Cette collection offre une récréation pour les auteurs. Frank Pé m’a un jour confié qu’ils avaient publié Zoo dans Aire Libre car ils s’y sentaient utiles ! Je sentais également que j’étais utile je publiais dans Carrément BD. Le grand format carré du livre permet au graphisme de s’imposer. J’aimerais que des auteurs connus y signent des livres afin de mieux la faire connaître.

Extrait de Koryu d’Edo

Quel genre de documentation avez-vous utilisé ?

Des livres tel que celui de Louis Frédéric (Japon : L’Empire éternel). Le manga Ikkyu de Hisashi Sakaguchi. J’ai également regardé de nombreux films japonais. Je songe à Après La Pluie, le dernier film de Akira Kurosawa, réalisé après sa mort part Takashi Koizumi ou les premiers Zatoichi, le masseur des aveugles. J’ai eu également de l’aide du journaliste/photographe David Michaud, installé au japon. Il présente ses photographiques sur son blog. Paul Herman, mon éditeur, m’a également prêté les clichés qu’il a pris au Japon.

Vos couleurs sont plutôt douces, dans les jaunes-ocres.

Je les ai faites naturellement. J’ai lu des critiques où l’on parlait de la « finesse » de mon trait. Peut-être que ma personnalité ressort dans mon travail, ce n’est pas à moi de le dire. Je travaille avec des aquarelles, et je rehausse tout cela avec un pigment pour donner un effet de velouté aux couleurs. C’est peut-être là l’explication de la douceur de mon trait.

Quels sont vos projets ?

Je travaille sur deux projets. Les deux ont pour cadre Bruxelles. Je scénariserai l’un deux et je travaillerai avec Étienne Schréder pour l’autre. Mais il est encore trop tôt pour vous en parler…

Dessin inédit.
(c) Dimitri Piot.

(par Nicolas Anspach)

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Photo (c) DR.
Illustration : (c) Dimitri Piot & Glénat.

[1Yves Schlirf fut l’un des premiers libraires spécialisés en BD de Bruxelles à vendre du manga. Plus tard, il fut le fondateur du label Kana.

 
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3 Messages :
  • Dans le troisième tome de La Déesse, on sent les influences d’Otomo sur l’œuvre de Moebius.

    Le troisième tome de la déesse de Moebius ? N’est-ce pas le troisième tome Les mondes d’Edena avec pour sous-titre « la déesse » ?

    J’aimerais que des auteurs connus y signent des livres afin de mieux la faire connaître.

    En 2010 la collection carrément BD fêtera ses 10 ans d’existence. Il est vrai que malgré la qualité de certains titres, elle reste quasiment et injustement peu connue du grand public. Mais n’est-ce pas aussi le travail de l’éditeur d’étendre son existence dans le réseau BD ?

    Répondre à ce message

    • Répondu le 20 janvier 2010 à  13:57 :

      C’est marrant, les anciens élèves et dessinateurs de J. Martin se retrouvent tous chez Glénat... éditeur d’Arno, qui n’a jamais voulu (rétro)céder les droits de ce personnage à Casterman. Hasard ou coïncidence ? ;-)

      Répondre à ce message

    • Répondu par ActuaBD. le 20 janvier 2010 à  19:56 :

      Pour la "Déesse". Vous avez raison. C’est corrigé. Merci beaucoup.

      Répondre à ce message

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