Né à Liège le 9 avril 1922 d’une famille d’origine allemande et luxembourgeoise, Albert Weinberg fait des études de droit et se destine à faire une carrière de juriste international. Mais la guerre l’arrête, si l’on peut dire, en plein vol.
Après le conflit, il multiplie les petits boulots, notamment en dessinant à partir de 1947 pour Spirou et Le Moustique sous le regard sévère de ses parents qui n’apprécient pas qu’il se consacre à un métier aussi peu sérieux que la bande dessinée.
Mais rencontrant Victor Hubinon, Jean-Michel Charlier et Georges Troisfontaines, il « monte » sur Bruxelles et fait partie du « gang des Liégeois » parti à l’assaut de la bande dessinée de la capitale. Avec le trio, il emménage dans une maison à Bruxelles, rue Rankin.
Grâce à l’entregent de Troisfontaines, devenu entre-temps fournisseur officiel de BD chez Dupuis, gérant par ailleurs la régie publicitaire de leurs magazines, il se retrouve à travailler pour Hubinon sur Buck Danny (personnages secondaires et décors), puis sur Blondin & Cirage.
Chez l’éditeur de Marcinelle comme chez Tintin, il rencontre les grands auteurs de la maison et se lie d’amitié avec les dessinateurs de son âge Franquin, Will (pour qui il écrit Le Secret du Bambochal ), Macherot…
Sa forte capacité de travail est remarquée. Il produit de front une série pour Héroïc-Albums (Luc Condor) où il montre déjà son goût pour l’anticipation tandis qu’Hergé fait appel à lui pour l’aider à scénariser On a marché sur la Lune.
L’amitié d’Hergé lui vaut de donner un coup de main à Edgar Pierre Jacobs, complètement à la bourre sur Le Secret de la Grande Pyramide, en particulier dans la séquence du Musée du Caire : « Cela se voit : Les balustres de la galerie supérieure n’ont pas la netteté jacobsienne » racontait-il avec modestie. On lui doit aussi le scénario de Corentin chez les Peaux-Rouges de Paul Cuvelier mais, le plus souvent, ces collaborations ne sont pas créditées.
Cet apprentissage jacobsien lui ouvre les voies du Lombard. Dès 1950, il réalise des Histoires vraies, réplique lombardo-tintinienne des Oncle Paul de Marcinelle. Raymond Leblanc et André Fernez pressent l’ancien collaborateur d’Hubinon de dessiner une histoire d’aviation. Ce sera les aventures de Dan Cooper, qui ne tardera pas à connaître la consécration de l’album avec Le Triangle bleu (1954).
Il est suivi d’autres épisodes qui donnent à la série le ton de l’anticipation : Le Maître du Soleil (1955), inspiré des stations orbitales imaginées par Von Braun, Le Mur du silence, Opération Jupiter (1957), et Cap sur Mars (1958).
Le succès de la série est immédiat. Mais la surenchère technologique devient rapidement une impasse et c’est son ami Jean-Michel Charlier qui l’en sort en donnant au pilote canadien (sa nationalité n’apparaît que progressivement) le profil d’une série réaliste alimentant ses scénarios au fur et à mesure des avancées technologiques. Entre 1959 et 1961 : Duel dans le ciel, Coup d’audace, L’Escadrille des Jaguars. Charlier, qui n’a pas encore entamé la série Tanguy & Laverdure (1959) lui fait trois scénarios.
Le grand scénariste est alors un peu en rupture avec Dupuis pour des raisons syndicales et assure ses arrières comme il peut. Mais cela ne perturbe pas Weinberg : « Je ne me suis jamais préoccupé de ce que pouvait faire Victor [Hubinon], dit-il. Nous étions comme sur une base militaire : il y avait plusieurs escadrilles et chacun essayait de faire de son mieux. »
La série Dan Cooper ne décevra pas son auteur qui compte des millions d’exemplaires vendus dans une quinzaine de langues. Les 41 volumes sont actuellement disponibles en intégrales au Lombard.
Avec l‘arrivée de Greg au Journal Tintin en 1967, les relations sont plus difficiles. Quand en 1978, Jack De Kezel lui propose de rejoindre le magazine Super-As, émanation du groupe allemand Springer, Weinberg prend la tangente et collaborera avec Novedi pendant près de dix ans, tout en multipliant les collaborations secondaires, créant notamment Aquila, pilote des neiges pour le magazine italien Corriere dei Ragazzi.
Il travaillait sur une nouvelle aventure de Dan Cooper mettant en scène des drones de combat. « Cela va mettre des pilotes au chômage, et ça ne va pas leur plaire ! » promettait-il.
Le destin en a décidé autrement.
Albert Weinberg vivait depuis 25 ans près de Lausanne en Suisse auprès de sa fille, juriste international. En 2004, pour les 50 ans de sa création, son personnage de Dan Cooper a été élevé au grade de major de l’armée canadienne, inscrit au tableau d’honneur de sa promotion.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
En médaillon : Albert Weinberg à Lausanne en septembre 2008. Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Participez à la discussion