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Disparition d’Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 13 octobre 2011                      Lien  
On apprend le décès, le 29 septembre 2011 en Suisse, du dessinateur belge Albert Weinberg à l’âge de 89 ans. Son personnage le plus célèbre, Dan Cooper, créé en 1954 pour Tintin, est l’une des figures marquantes de la bande dessinée d’aviation, seul concurrent de Buck Danny avant l’apparition de Tanguy & Laverdure.
Disparition d'Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper
Albert Weinberg par Tibet dans les années 1970

Né à Liège le 9 avril 1922 d’une famille d’origine allemande et luxembourgeoise, Albert Weinberg fait des études de droit et se destine à faire une carrière de juriste international. Mais la guerre l’arrête, si l’on peut dire, en plein vol.

Après le conflit, il multiplie les petits boulots, notamment en dessinant à partir de 1947 pour Spirou et Le Moustique sous le regard sévère de ses parents qui n’apprécient pas qu’il se consacre à un métier aussi peu sérieux que la bande dessinée.

Mais rencontrant Victor Hubinon, Jean-Michel Charlier et Georges Troisfontaines, il « monte » sur Bruxelles et fait partie du « gang des Liégeois » parti à l’assaut de la bande dessinée de la capitale. Avec le trio, il emménage dans une maison à Bruxelles, rue Rankin.

Grâce à l’entregent de Troisfontaines, devenu entre-temps fournisseur officiel de BD chez Dupuis, gérant par ailleurs la régie publicitaire de leurs magazines, il se retrouve à travailler pour Hubinon sur Buck Danny (personnages secondaires et décors), puis sur Blondin & Cirage.

Chez l’éditeur de Marcinelle comme chez Tintin, il rencontre les grands auteurs de la maison et se lie d’amitié avec les dessinateurs de son âge Franquin, Will (pour qui il écrit Le Secret du Bambochal ), Macherot…

Une bande de copains dans les années 1950 sur la côte belge : (de g. à dr.) : Raymond Macherot, Albert Weinberg, André Franquin et Will.
Photo DR,, avec l’aimable autorisation de Claude Maltaite.

Sa forte capacité de travail est remarquée. Il produit de front une série pour Héroïc-Albums (Luc Condor) où il montre déjà son goût pour l’anticipation tandis qu’Hergé fait appel à lui pour l’aider à scénariser On a marché sur la Lune.

L’amitié d’Hergé lui vaut de donner un coup de main à Edgar Pierre Jacobs, complètement à la bourre sur Le Secret de la Grande Pyramide, en particulier dans la séquence du Musée du Caire : « Cela se voit : Les balustres de la galerie supérieure n’ont pas la netteté jacobsienne » racontait-il avec modestie. On lui doit aussi le scénario de Corentin chez les Peaux-Rouges de Paul Cuvelier mais, le plus souvent, ces collaborations ne sont pas créditées.

Le Triangle bleu, le premier Dan Cooper par Weinberg
Le Lombard

Cet apprentissage jacobsien lui ouvre les voies du Lombard. Dès 1950, il réalise des Histoires vraies, réplique lombardo-tintinienne des Oncle Paul de Marcinelle. Raymond Leblanc et André Fernez pressent l’ancien collaborateur d’Hubinon de dessiner une histoire d’aviation. Ce sera les aventures de Dan Cooper, qui ne tardera pas à connaître la consécration de l’album avec Le Triangle bleu (1954).

Il est suivi d’autres épisodes qui donnent à la série le ton de l’anticipation : Le Maître du Soleil (1955), inspiré des stations orbitales imaginées par Von Braun, Le Mur du silence, Opération Jupiter (1957), et Cap sur Mars (1958).

Le succès de la série est immédiat. Mais la surenchère technologique devient rapidement une impasse et c’est son ami Jean-Michel Charlier qui l’en sort en donnant au pilote canadien (sa nationalité n’apparaît que progressivement) le profil d’une série réaliste alimentant ses scénarios au fur et à mesure des avancées technologiques. Entre 1959 et 1961 : Duel dans le ciel, Coup d’audace, L’Escadrille des Jaguars. Charlier, qui n’a pas encore entamé la série Tanguy & Laverdure (1959) lui fait trois scénarios.

Le grand scénariste est alors un peu en rupture avec Dupuis pour des raisons syndicales et assure ses arrières comme il peut. Mais cela ne perturbe pas Weinberg : « Je ne me suis jamais préoccupé de ce que pouvait faire Victor [Hubinon], dit-il. Nous étions comme sur une base militaire : il y avait plusieurs escadrilles et chacun essayait de faire de son mieux. »

La série Dan Cooper ne décevra pas son auteur qui compte des millions d’exemplaires vendus dans une quinzaine de langues. Les 41 volumes sont actuellement disponibles en intégrales au Lombard.

Avec l‘arrivée de Greg au Journal Tintin en 1967, les relations sont plus difficiles. Quand en 1978, Jack De Kezel lui propose de rejoindre le magazine Super-As, émanation du groupe allemand Springer, Weinberg prend la tangente et collaborera avec Novedi pendant près de dix ans, tout en multipliant les collaborations secondaires, créant notamment Aquila, pilote des neiges pour le magazine italien Corriere dei Ragazzi.

Dan Cooper par Weinberg
(C) Le Lombard

Il travaillait sur une nouvelle aventure de Dan Cooper mettant en scène des drones de combat. « Cela va mettre des pilotes au chômage, et ça ne va pas leur plaire ! » promettait-il.

Le destin en a décidé autrement.

Albert Weinberg vivait depuis 25 ans près de Lausanne en Suisse auprès de sa fille, juriste international. En 2004, pour les 50 ans de sa création, son personnage de Dan Cooper a été élevé au grade de major de l’armée canadienne, inscrit au tableau d’honneur de sa promotion.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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En médaillon : Albert Weinberg à Lausanne en septembre 2008. Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

 
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22 Messages :
  • Disparition d’Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper
    13 octobre 2011 08:02, par Yaneck Chareyre

    Un grand monsieur, qu’on continuait à voir sur les festivals bd régulièrement. Avec un pédigré pareil, il avait su rester très humble.
    Un peu triste, ce matin.

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  • Disparition d’Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper
    13 octobre 2011 08:29, par Oncle Francois

    Il avait aussi dessiné Alain Landier, le médecin des extra-terrestres, et Vicky, hotesse de l’air blonde (avant Natacha). Une nouvelle page de l’histoire de la BD du XXème siècle se tourne sous nos yeux, tristement. 25 millions d’albums vendus, ça n’est pas rien. Et pourtant, bien peu de prix, trophées, etc, bien sûr, c’est toujours la même triste histoire. Mes condoléances à sa famille.

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  • Une belle rencontre
    13 octobre 2011 11:10, par Denis Bajram

    Lecteur de Dan Cooper dans Super AS pendant mon enfance, j’ai eu, des années plus tard, l’honneur et le plaisir de partager la présidence d’un festival avec Albert Weinberg. Toutes mes condoléances à sa famille.

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  • Disparition d’Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper
    13 octobre 2011 13:52, par Serge BUCH

    Un modèle de gentillesse sans pareil qui honorait de sa présence malgré son grand âge maints festivals de bande dessinée, notamment celui d’Illzach qui a su, contrairement à d’autres, le primer et l’honorer comme le grand artiste qu’il a été. Depuis plus de 20 ans il a battu tous les records de présence à cette manifestation. Loin d’être considéré par les lecteurs de toutes générations confondues comme un "has been", il ne ménageait pas ses efforts pour dédicacer ses albums tout au long de ces week-ends Bédéciné devant des files ininterrompues jusqu’à emporter le soir à l’hôtel une pile d’albums lorsque l’heure de fermeture du salon sonnait pour les remettre le lendemain afin que personne ne soit frustré de ne pas avoir reçu son Dan Cooper crayonné d’une main de maître et parfois réhaussé d’aquarelle. Assurément, cette grande et humble figure du journal de Tintin de la grande époque va nous manquer en novembre prochain. Je garderai de lui le souvenir de celui qui a su semer des étincelles de bonheur dans les yeux de tous les jeunes lecteurs lorsqu’il leur tendait l’album agrémenté d’un dessin et toujours assorti d’un mot gentil. A mon tour j’adresse mes sincères condoléances à toute sa famille et à tous ses proches et amis.

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  • Disparition d’Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper
    13 octobre 2011 16:57, par Patrick Verdant

    J’ai découvert les aventures de Dan Cooper alors que j’étais gamin. Je suis resté marqué par certains livres fabuleux et quelques scènes magistrales comme dans LE MYSTÈRE DES SOUCOUPES VOLANTES, PANIQUE À CAP KENNEDY, S.O.S. DANS L’ESPACE etc. Une grande oeuvre par un grand homme. J’ai eu la chance de le rencontré, au festival de BD de Québec il y a quelques années. C’est toujours un moment particulier de rencontrer un héros de jeunesse. Il a été d’une gentillesse extraordinaire et faisait de superbes dessins dédicacés en s’appliquant à chacun. J’en garde un souvenir ému.

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    • Répondu le 13 octobre 2011 à  21:09 :

      bel article et incroyable photo !

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    • Répondu par Oncle Francois le 13 octobre 2011 à  23:21 :

      C’est sûr, ses dédicaces aquarêllées changent du crobar de base du jeune auteur indé ! et quelle gentillesse, quelle simplicité pour un auteur qui a quand même vendu 25 millions d’albums !! Il n’avait certainement pas les chevilles enflées !

      Une belle leçon dont pas mal de jeunes zauteurs (faute d’orthographe volontaire) à la mode devraient s’inspirer ! Mais bon...on sait ce que l’on perd, on ne saura jamais ce que l’on va gagner...triste...

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      • Répondu par auteur le 14 octobre 2011 à  01:42 :

        C’est sûr, ses dédicaces aquarellées changent du crobard de base du jeune auteur indé !

        Mais un dessin en dédicace n’est pas un dû, si vous voulez une illustration à l’aquarelle, payez la, tout travail mérite salaire, et soyez déjà bien heureux qu’un auteur veuille gracieusement agrémenter sa signature d’un petit crobard, c’est déjà beaucoup pour votre genre de consommateur ingrat.

        Un auteur touche en gros 1 euro sur la vente d’un album, qu’il le signe ou le dédicace d’un dessin ou n’y fait rien et reste chez lui en famille ne change pas ce fait. Vous en connaissez beaucoup vous des gens qui bossent gratuitement ?
        Et après vous venez déverser votre fiel sur "le crobard de base d’un auteur", mais ce "crobard" est déjà beaucoup trop pour ce que vous méritez : du mépris !

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        • Répondu le 14 octobre 2011 à  17:41 :

          Vous vous énervez pour rien, Pincemi est incapable d’entendre une autre voix que la sienne...

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    • Répondu par himmelgien le 30 juillet 2017 à  03:21 :

      "Le mystère des soucoupes volantes" et "Panique à Cap Kennedy" étaient des volumes de la série "Buck Danny" ( Hubinon & Charlier )

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  • Disparition d’Albert Weinberg, le créateur de Dan Cooper
    14 octobre 2011 14:00, par denis gerhart bedecine Illzach

    Bonjour, en tant qu’organisateur du festival d’Illzach je tiens à témoigner de tout l’attachement que nous avions pour Albert, et je pense que c’était réciproque. Merci à Denis Bajram de rappeler qu’il fut co-président de notre 20ème édition du festival avec Albert Weinberg. pour les dédicaces, il était impossible de l’enlever de la table même quand nous nous approchions de 20h, et je ne sais pas combien de fois j’ai répété : "ALbert, il est l’heure, les autres dessinateurs veulent aller manger"
    pour terminer un dernier mot : c’est un mec génial et il le restera.

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    • Répondu par Oncle Francois le 14 octobre 2011 à  20:39 :

      Vous avez bien raison de le rappeler, il s’agissait d’un auteur de l’ancienne génération, tout à fait heureux de satisfaire ses fans par de superbes dédicaces aquarellées (20 à 30 minutes de travail au bas mot, et oui, la qualité se mérite). Et comme le dit quelqu’un d’autre, il lui arrivait de ramener des albums à l’hôtel pour les dédicacer la nuit. J’y vois une grande marque de respect pour son public, mais aussi l’aveu d’une passion dévorante pour le dessin. L’auteur anonyme agressif (AAA comme pour les andouilles !) devrait en prendre de la graine. Je conçois bien qu’il aimerait être payé pour ses weekends en festival, mais quoi qu’il en dise, les éditeurs continuent les séries lorsque les livres se vendent, et ils les arrètent en cas de mévente. Donc la vente supplémentaire d’albums lors de festivals BD peut permettre à certains de continuer leur carrière, cela semble évident !

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      • Répondu par LC le 14 octobre 2011 à  22:47 :

        il lui arrivait de ramener des albums à l’hôtel pour les dédicacer la nuit. J’y vois une grande marque de respect pour son public

        J’y vois moi une grande marque de bétise, il y a autre chose à faire la nuit (à commencer par dormir) qu’à "dédicacer" devant un mur pour des inconnus. Albert Weinberg est un grand auteur, mais il a là montré un bien mauvais exemple.

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        • Répondu par Mister Toad le 15 octobre 2011 à  03:41 :

          Il n’y a aucune bêtise là-dedans, si ce n’est la votre. Albert weinberg était insomniaque, d’après ce qu’il m’avait expliqué, et, plutôt que de regarder des conneries à la télé dans sa chambre, il préférait faire plaisir à son lectorat,après avoir passé du temps à papoter avec des jeunes ou vieux auteurs , sans idées preconsues, dans des bistrots. Bien que n’ayant jamais accroché à ses livres, j’ai un immense respect pour ce Monsieur.

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          • Répondu par LC le 15 octobre 2011 à  16:47 :

            Vous allez voir que bientôt on va reprocher à "ces feignasses d’auteurs" de vouloir dormir la nuit en festival plutôt que dessiner gratis, et attention, de belles illustrations en couleurs, et au moins "une demi-heure par dessin, faut pas déconner", sinon il y a non-respect du lecteur.

            Affligeant de connerie ce qu’on peut lire ici.

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            • Répondu le 16 octobre 2011 à  03:04 :

              Je peux comprendre votre énervement face au comportement de certains chasseurs de dédicaces, mais là vous vous trompez de cible. Weinberg était d’une autre génération et ce qu’il a connu dans la majeure partie de sa " carrière" n’a rien à voir avec ce qui se passe depuis une quinzaine d’années. Prenez-vous en plutôt à ces chasseurs ou à des plus jeunes auteurs qui se mettent en toute connaissance de cause en état de servitude volontaire. Gérez votre prope rapport à la dédicace plutôt que de vous en prendre à un vieil auteur de 89 ans, incapable de se défendre pour cause de décès !

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  • Encore une légende qui s’en va... J’avais eu l’occasion de discuter avec lui et son apport scénaristique sur Objectif Lune/On a marché sur la lune et plus que majeur puisque c’est lui qui a apporté le personnage de Wolf (seul personnage de l’univers de Tintin qui meurt) Il était effectivement très modeste puisqu’il me précisait qu’il apportait des idées tout en soulignant le talent d’Hergé pour les utiliser et les remettre à sa sauce.

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  • Un grand monsieur... Je l’avais rencontré en dédicace il y a quelques années au festival de Villefranche-sur-Saone. Souvenir d’un homme charmant...

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  • J’ai découvert Dan COOPER en 1964 et je ne l’ai jamais perdu de vue, tant les scenarii et les dessins vous "accrochaient" d’emblée.
    Quant à son auteur,Albert Weinberg, rencontré à de nombreux festivals et toujours disponible et bienveillant, il appliquait à l’égard de son public la règle des "3 U", c’est à dire humanité humilité et humour.
    Un très très grand Monsieur nous a quitté...

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    • Répondu par Antonio Iriarte (Madrid) le 17 octobre 2011 à  21:14 :

      Albert Weinberg était un grand monsieur de la BD, et une personne charmante et pleine de qualités. J’ai eu sur le tard l’occasion de correspondre brévement avec lui,c’était vraiment quelqu’un de très bien, en plus d’un auteur plus qu’estimable, que la critique a hélas toujours laissé de côté. Il est également regrettable que sa série "Aquila" pour le "Corriere dei Ragazzi" reste inconnue en France. Mes condoléances à sa famille et á ses proches.

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  • Je me souviendrai toujours de sa gentillesse lors d’une dédicace à Lausanne... De la patience, un superbe dessin (que je ne vendrai jamais sur ebay !!!) et une discussion vraiment sympathique. Quel domage qu’un tel personnage nous quitte. Des gens prenant leur temps et partageant leur passion, il n’y en pas beaucoup... Bon voyage au paradis des Artistes, Monsieur...

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