Interviews

Djief : « "Broadway" évoque le star system à l’américaine au cœur des années folles »

Par Charles-Louis Detournay le 4 juillet 2014                      Lien  
Après avoir co-scénarisé et dessiné sa précédente série "White Crows", Djief transforme l’essai avec ce refonte du rêve américain, qu’il mène seul de main de maître. Il n’en oublie pas pour autant sa grande série fétiche avec son ami Nicolas Jarry : "Le Crépuscule des dieux".

Comment vous est venue cette idée de Broadway ?

Djief : « "Broadway" évoque le star system à l'américaine au cœur des années folles »Je voulais aborder les thèmes de la course au succès dans le showbiz et dans le star system à l’américaine. J’ai cherché à explorer la séduction qu’exerçait le monde du spectacle chez les gens d’entre les deux guerres, de dépeindre un peu la frénésie qui régnait sur l’avenue Broadway, à New York. Concernant celle-ci, elle est aujourd’hui comme hier, un des importants centres de productions de théâtre et de spectacles musicaux en tous genres aux USA, mais elle est très différente de celle des années 1920, qui était l’antichambre des futures productions cinématographiques d’Hollywood. Broadway a marqué la voie du 7e art américain !

Comment avez-vous trouvé le récit que vous vouliez greffer sur votre idée de base ?

Ce récit est avant tout l’histoire de personnages aux destins croisés. Au départ, j’avais une panoplie de protagonistes en tête et plusieurs intrigues entremêlées. En travaillant le scénario, et avec les retours de mon éditrice, Corinne Bertrand, j’ai resserré le récit sur trois personnages principaux et une grande ligne directrice : la remise sur pied du cabaret le Chapman’s Paradise. Bien entendu, le format du diptyque m’a obligé à adapter le rythme du récit. De plus, comme j’avais envie d’être pointu dans ma représentation historique, je me suis permis de grandes cases pour dépeindre aussi fidèlement que possible la « Gande Voie Blanche », l’un des surnoms de Broadway à l’époque. On la surnommait aussi « The Devil’s Corner », mais ça c’est une autre histoire…

La naïveté de votre héroïne symbolise-t-elle l’innocence des nouveaux venus à New-York face aux requins du spectacle ?

Si on évoque la naïveté, les deux repreneurs du cabaret, George et Lenny, ont aussi leur part d’inexpérience et de candeur dans le récit… surtout George en fait ! Ceci dit, c’était une époque où tout était à faire et à inventer dans le monde du divertissement. Beaucoup devaient s’improviser artistes de la scène et apprendre le métier à la dure, par essais-erreurs. Et le peu qui réussissaient défendaient farouchement leur territoire. Ce qui n’est pas si différent d’aujourd’hui, quand on y pense…

Vous évoquez des personnages forts, ces deux frères qui reprennent le cabaret de leur cadet...

J’ai essayé de miser sur plusieurs destinées avec comme fond de scène l’avenue Broadway. Les deux frères Chapman ont chacun leur raison de vouloir réussir la relance du cabaret. L’histoire de leur famille est importante car je voulais montrer que la direction des théâtres était aussi ardue que le travail des chorus girls sur scène et que chaque partie, patronale et artistique, avait au fond les mêmes ambitions et pouvaient tomber dans les mêmes pièges.

Pourquoi avoir choisi de placer votre récit dans les années 1920-30 ?

J’aimais l’idée d’explorer l’époque des années folles et son esthétique Art déco. Tout ça fait partie de la saveur et de l’exotisme du récit. Même s’il se situe à une époque où la mafia imposait sa loi en toute impunité, je n’ai pas orienté l’intrigue vers le polar ou le récit noir mais bien vers la chronique humaine. La prohibition joue un rôle dans le récit, mais simplement comme une difficulté supplémentaire dans le roulement des affaires. Une situation hypocrite avec laquelle tous les Américains de l’époque devaient composer. Ultimement, j’aurais bien pu situer mon récit de nos jours, puisque l’envie d’avoir son heure de gloire est actuellement très forte dans nos sociétés connectées aux réseaux sociaux et biberonnées aux téléréalités. J’ai plutôt décidé de parler de ce type d’ambition en utilisant le filtre de l’historique. Situer mon récit en pleines années folles était l’idéal pour conserver un recul par rapport à notre époque tout en stylisant le propos. Et j’avoue qu’il faut bien que je m’amuse un peu en dessinant toutes ces pages au final !

Vous sous-titrez (ou sur-titrez) Une rue en Amérique : Est-ce une envie de prolonger votre thématique ?

Bien vu ! Si jamais les lecteurs sont au rendez-vous, ce que j’espère de tout cœur, d’autres rues d’Amérique seront explorées par le biais du spectacle et des stars des années 1930. Et ce, toujours sur la forme de diptyques qui se suivront.

Alors que certaines aiment avoir de l’hermine autour du cou...

Globalement, comment s’est déroulée l’approche de votre scénario, sachant que vous écriviez pour vous-même ? Pensez-vous que vous avez appris de l’expérience de White Crows ?

...d’autres préfèrent voir les animaux semer la pagaille dans leur vie.

Oui. White Crows a été ma première réelle expérience en tant que scénariste. J’y ai surtout appris qu’élaborer une histoire complète bien balancée et bien rythmée en 46 pages était ardu. Grâce au travail en atelier avec d’autres auteurs BD, j’ai bénéficié d’un coup de main mon compatriote Mikaël (le dessinateur de Promise, aux éditions Glénat) sur le scénario de White Crows. Il a été un peu mon script doctor et maintenant fait partie des premiers lecteurs de mes scénarios, ce qui me permet de réajuster le tir sur certaines scènes ou sur des motivations de personnages mal développées. Ceci dit, je me réserve toujours le dernier mot.
Le danger de me faire plaisir comme dessinateur est toujours présent et comme j’en suis conscient, je m’impose des scènes dont j’ignore aux premiers abords comment je vais les illustrer... Mais je sais tout de même contenter le dessinateur de temps en temps !

Voudriez-vous continuer à alterner un album où vous êtes seul à la barre, et un album avec un scénariste ?

C’est ce que je ferai pour encore un ultime tome du Crépuscule des Dieux. Après on verra… Je dois être honnête : cela dépendra de la réception de ce premier diptyque. Même si j’aimerais faire un temps en solo, je ne refuserai pas plus tard du travail collaboratif sur une autre série. Je viens du monde du jeu vidéo où je me plaisais à travailler en équipe. Ce qui m’importe dans la réalisation d’un album, c’est l’alchimie entre le dessin et le sujet, donc entre le scénariste et le dessinateur. Quand elle est bonne, on peut atteindre des sommets que l’on n’atteindrait jamais seul.

La réussite de votre album tient également à votre dessin. Je pense que vous avez déjà utilisé cette technique pour Saint-Germain, mais on sent que vous avez été attentif à garder la chaleur d’une mise en couleur directe...

J’ai beaucoup travaillé pour atteindre cette « patine » un peu vintage sur Broadway. Tout est dessiné sur papier ou carton, de l’étape du découpage jusqu’à celle de l’encrage. Mais chaque étape passe par l’ordinateur pour la composition des phylactères et l’assemblage des cases. Une fois l’encrage complété, j’applique un lavis d’aquarelle puis je scanne mes pages et finalise la couleur avec Photoshop.

Il faut savoir que c’est le premier projet où je tente une approche impliquant de l’aquarelle dans la mise en couleur. Comme je n’ai pas encore toute l’assurance nécessaire pour me lancer dans des planches en couleur directe, j’ai décidé d’appliquer sur mes originaux encrés un lavis en gris qui, une fois scanné, me sert à définir les ombres et les volumes tout en octroyant un grain naturel à ma coloration. C’est un peu casse-tête à certain moment, mais j’ai encore besoin du filet informatique pour effectuer mes acrobaties graphiques, sinon je ne parviendrais pas à livrer un album par année…

J’en viens assez logiquement au Crépuscule des dieux, votre série au long cours que vous co-réalisez avec Nicolas Jarry. Comment qualifieriez-vous le tandem que vous formez depuis dix ans ?

Le Crépuscule des Dieux a été une belle aventure et un succès honnête auprès des lecteurs. Je termine le second cycle dans les prochains mois et ma collaboration avec Nicolas s’est toujours déroulée sans heurt. Quand j’évoquais l’alchimie entre dessinateur et scénariste, ce fut justement le cas ici. Un grand respect du travail de l’un et de l’autre a toujours été de mise. De plus, Nico demeure attentif à connaitre mon point de vue ou mon sentiment vis à vis l’écriture de son récit. S’il y avait quelque chose qui ne me plaisait pas, il le prenait en considération.

Comment vous retrouvez-vous dans cet esprit mythologique ?

Je suis un grand fan de l’œuvre de Tolkien. Sachant que cette mythologie nordique a inspiré ce maitre de la Fantasy, la question de savoir si j’aimerais cet univers ne s’est même pas posée au départ ! Maintenant, j’ai tout de même eu un moment de doute sur mon dessin pour ce projet dans les premières années, car je ne me sentais pas à la hauteur de ce que j’avais à illustrer. Mais cela ne m’a empêché de continuer et de progresser.

Après autant d’albums, participez-vous au scénario en insufflant des idées ou des propositions de développement ?

J’ai bien fait quelques propositions, mais en travaillant sur une base mythologique, on ne pouvait pas faire partir le scénario dans n’importe quelle direction. Et Nicolas connaissait le sujet plus solidement que moi, alors je lui ai fait entièrement confiance. Pour la série Saint-Germain, j’ai proposé le personnage et l’idée de base à Thierry Gloris. De ce squelette, Thierry en a tiré un colosse bien en chair ! Dommage que cette série n’ait pas continué…

Comment adaptez-vous votre technique au style que vous devez dessiner ?

J’adapte mon dessin en fonction du ton du récit que j’ai à illustrer. Quelquefois, c’est très subtil, mais j’ai toujours comme objectif de mettre mon dessin au service du récit et non l’inverse. Je sais que cette approche déconcerte certains lecteurs, mais je ne me considère pas comme un artiste monolithique et immuable. Parmi les choses que je crains dans mon métier, c’est d’être prisonnier d’un carcan ou de tomber dans une routine de fonctionnariat.

Quels sont les outils dont vous disposez pour varier les styles ?

J’aime bien utiliser l’informatique quand elle apporte quelque chose à l’histoire ou quand elle me facilite la tâche. Dans White Crows, je n’ai pas lésiné sur les effets électroniques dans la coloration puisque cela collait parfaitement avec le sujet de SF. Pour ce qui est du dessin, l’utilisation de l’ordinateur est là pour accélérer la construction de ma mise en scène. Grâce à Photoshop, je peux recadrer et corriger mon crayonné pour fluidifier au maximum ma narration. Par contre, je suis encore de ceux qui réalisent leurs planches sur carton. Le « tout numérique » n’est pas encore pour moi, mais qui sait ?, dans l’avenir...


Avez-vous une époque/un genre qui vous convient particulièrement ? Ou vous retrouvez-vous avant tout dans l’alternance ?

Je suis un touche-à-tout et c’est le luxe du métier d’auteur BD que de pouvoir explorer différents univers, de passer d’un style à l’autre si le propos le permet. Ce sont des défis que j’aime surmonter et qui ne me font pas faire du sur-place artistiquement.

Quelles pourraient être vos futures envies ?

De la bande dessinée jeunesse un jour, un autre récit SF plus sérieux aussi, quelque chose sur les Amérindiens, qui sait ? Pour le moment, je fonce tête baissée dans Broadway et dans l’univers des années folles. Je laisse mes envies futures rangées bien sagement dans le coin de mon esprit. Je complèterai donc le tome 9 du Crépuscule des dieux avant d’entamer la conclusion de Broadway, ce qui donnera une sortie pour ce tome 2 quelque part en automne de l’an prochain. Après, l’avenir nous le dira !

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Commander :
- Broadway T1 chez Amazon ou à la FNAC
- L’intégrale des 3 premiers tomes du Crépuscule des Dieux chez Amazon ou à la FNAC
- Le Crépuscule des Dieux T8 chez Amazon ou à la FNAC

A propos de Djief, lire également :
- la chronique de White Crows
- la chronique de Tokyo Ghost
- la chronique du T1 de Saint-Germain ainsi que l’interview de Jean-François Bergeron (alias Djief) & Thierry Gloris : « Saint-Germain est issu d’une amitié franco-québécoise. »

Découvrir le site Djief

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Charles-Louis Detournay  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD