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Dominique Goblet : un "Souvenir d’une journée parfaite" à ne pas oublier

Par Frédéric HOJLO le 7 août 2017                      Lien  
Le Frémok a publié ce printemps une nouvelle édition de "Souvenir d'une journée parfaite" de Dominique Goblet. Premier récit long de l'artiste, il permet d'entrer dans une œuvre dense et complexe, où les frontières entre fiction et autobiographie se brouillent et où les sensations et réflexions se mêlent intimement pour laisser au lecteur un souvenir digne de celui d'une journée parfaite...

La première édition de Souvenir d’une journée parfaite datait de 2001. Le Frémok a eu la bonne idée d’en publier une nouvelle version, sous une belle couverture cartonnée, rendant de nouveau disponible ce travail de Dominique Goblet, dessinatrice mais aussi artiste plasticienne à l’écriture - au sens propre comme figuré - si personnelle.

Souvenir d’une journée parfaite raconte la quête et la construction d’un souvenir : recherche d’un souvenir du père, invention du souvenir d’une vie. Alors que l’artiste, en visite au cimetière, tente de retrouver le nom de son père parmi une foule de patronymes, elle finit par reconstituer la vie d’un certain Mathias Khan - si nous pouvons l’écrire, car cette reconstitution ne se fonde sur aucun indice. Une vie ordinaire et singulière, comme elles le sont toutes, et dont l’essentiel est noté dans un carnet très justement intitulé "a present time book".

Dominique Goblet ne parvient finalement pas à faire resurgir le nom du père qu’elle était au départ venue chercher. Mais elle gagne ce Souvenir d’une journée parfaite, ouvrage à l’équilibre subtile, vaguement mélancolique sans être triste, à la sensibilité aussi sincère que contenue.

Dominique Goblet : un "Souvenir d'une journée parfaite" à ne pas oublier
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017

Souvenir d’une journée parfaite est le premier récit long écrit et dessiné par Dominique Goblet. En partie réalisé à l’Atelier de l’Échangeur Narratif et bien qu’ayant bénéficié du soutien de Thierry Van Hasselt (co-fondateur avec Olivier Deprez de Fréon en 1994, maison d’édition à l’origine, avec Amok, du Frémok), ce livre est le résultat un travail très personnel. Au point de départ de ce Souvenir se trouve en effet une démarche autobiographique - du moins en apparence.

Comme l’a souligné Dominique Goblet, elle a essayé avec ce livre de s’éloigner du simple récit à la première personne pour s’orienter plus franchement vers la fiction. Mais il est en fait difficile, sinon impossible, de démêler le réel de l’imaginaire dans son travail : "Dans le cas de ce récit, c’est un vrai chassé-croisé d’une chose qui se voudrait une fiction et qui devient une autobiographie et d’une chose qui se voudrait autobiographie et qui devient le récit fictionnel." [1]

En résulte un ouvrage tout en finesse, à l’étrange vérité, où les instants de la vie de Mathias Khan ne semblent pas moins justes que ceux de Dominique Goblet. Celle-ci passe de la trace introuvable du père disparu - ou de la trace disparue du père introuvable - au sillage éphémère d’un être réel mais au destin imaginaire. Aux épisodes inventés de la vie de cet homme inconnu répondent les pensées et les images nées du temps passé par la dessinatrice dans le cimetière d’Uccle.

Mais la frontière est ténue : "Toutes les scènes de cimetière, dessinées de façon très réaliste, sans personnages, sont des scènes purement autobiographiques. Toutes les scènes qui partent dans le personnage sont une fiction. Mais la vérité, c’est que c’est une fiction uniquement nourrie par ma vie. De fait, plus on essaye d’imaginer un personnage, plus on ne fait que projeter sa propre réalité. (...) D’ailleurs, quand je lis un récit autobiographique, je me demande toujours jusqu’à quel point ce que je lis est « juste », quelles sont les inventions dans cette histoire ?" Ainsi Dominique Goblet dépassait-elle les apories de l’autobiographie à un moment, le début des années 2000, où il devenait à la fois légitime et en vogue de la traiter en bande dessinée.

Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017
Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017

Le graphisme de Dominique Goblet accompagne idéalement cette réflexion sur l’autobiographie, en donnant naissance à des sensations qui elles aussi mêlent réalisme et étrangeté. Le discret travail sur la matière, sur les masses d’ombre et de lumière, ainsi que sur les formes conduit le regard à s’arrêter sur les cases - jamais plus de deux par page et parfois muettes. Le lecteur gagne alors à s’attarder : chaque dessin acquiert ainsi une nouvelle densité, où le réalisme ne vient pas de la description - du décor, des objets, des personnages - mais de la transcription d’un regard et d’une impression.

Le crayon gras utilisé par la dessinatrice, ses repentirs assumés, son trait marqué et pourtant précis contribuent à prouver l’importance qu’elle accorde à la trace et à l’empreinte. Trace du souvenir dans notre mémoire et empreinte de l’image sur notre rétine. Trace de l’écrit et empreinte du dessin dans son œuvre. Et peu importe qu’il s’agisse de réalité ou de fiction.

Souvenir d’une journée parfaite © Dominique Goblet / Frémok 2017

Voir en ligne : Le site de l’autrice

(par Frédéric HOJLO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782390220022

21 x 26,5 cm - 52 pages en quadrichromie - couverture cartonnée - collection Amphigouri - parution en mai 2017 - commander ce livre chez Amazon ou à la FNAC.

Consulter une notice biographique.

Lire quelques études détaillées sur le travail de Dominique Goblet :
- Jan Baetens, "Dominique Goblet : écrire au féminin ?", dans Interférences littéraires/Literaire interferenties, n° 14, octobre 2014, pp. 163-177
- Catherine Mao, "Ecriture du lieu, écriture des liens", neuvième art 2.0, juin 2017
- Frédéric Paques, "Dessiner le temps qui passe", neuvième art 2.0, juin 2017
- Christian Rosset, "D’une écriture qui ne serait pas du semblant", neuvième art 2.0, juin 2017

Lire des entretiens avec l’autrice :
- en juillet 2001 sur le site du Frémok
- en janvier 2003 sur France 3
- en janvier 2011 sur ActuaBD
- en avril 2011 sur du9.org

A lire également sur ActuaBD :
- Faire semblant, c’est mentir par Dominique Goblet – l’Association
- Les Hommes-Loups - Par Dominique Goblet - FRMK

[1Cette citation, ainsi que les suivantes, sont extraites d’un entretien accordé par Dominique Goblet à Pierre Polomé en juillet 2001.

 
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