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Dominique Roques & Alexis Dormal : "Les adultes oublient peut-être qu’ils n’étaient pas stupides lorsqu’ils étaient petits"

Par Nicolas Anspach le 27 janvier 2010                      Lien  
Sélectionnés à Angoulême pour l'Essentiel Jeunesse cette année, {{Dominique Roques}} et {{Alexis Dormal}} ont publié à la fin de l’année dernière le troisième tome de {Pico Bogue}. À travers des courtes saynètes d’une demi-planche à deux pages, les auteurs mettent en scène l’univers poétique d’un gamin-philosophe qui partage avec sa famille et ses copains ses réflexions sur la vie…

Dominique Roques & Alexis Dormal : "Les adultes oublient peut-être qu'ils n'étaient pas stupides lorsqu'ils étaient petits"Pico Bogue s’est imposé rapidement auprès du public. Votre série a eu un excellent accueil de la critique et vous avez reçu de nombreux prix, comme celui du « Prix des Écoles d’Angoulême »… Comment vivez-vous cet accueil ?

Dominique Roques : J’ai du mal à répondre à cette question. Je connais peu le monde du livre et de la bande dessinée. Je ne réalise donc pas l’importance de tout cela. Tout ce que je remarque, et cela me fait chaud au cœur, c’est que lorsque nous nous rendons en librairie pour dédicacer nos livres, nous sommes bien reçus. Le public est vraiment sympathique avec nous !

Alexis Dormal : Nous étions ravis du prix à Angoulême. Nous avons rencontré les enfants qui nous l’ont donné. Il y en avait notamment un qui nous encourageait pour notre prochain album. C’était mignon, car d’habitude ce sont plutôt les adultes qui ont ce genre de propos …
Nous sommes bien sûr rassuré que Pico Bogue ait rencontré un public. Nous avons travaillé deux ans pour monter cette série. Et cela fait donc plaisir de voir quelqu’un avec notre album sous le bras. En 2009, nous avons dédicacé au Salon du Livre de Paris. Nous avons passé un peu de temps à flâner dans les rues et nous sommes entré dans une librairie. On a vu une femme qui tenait le deuxième tome de Pico Bogue sous le bras et qui attendait à la caisse. Elle ne savait pas que j’étais là, et elle achetait le bouquin... C’était incroyable de voir cela. J’étais tellement heureux que je lui ai proposé de lui dédicacer. Évidemment, elle ne savait pas qui j’étais. Elle m’a pris pour un fou ! Je lui ai alors montré mon badge du Salon du Livre. Je lui ai dédicacé le livre sous le regard interloqué des vendeurs et des vigiles du magasin (Rires). C’était un petit bonheur !

Votre manière de travailler a-t-elle changé depuis la création de la série ? Lors d’une précédente rencontre, vous m’aviez confié qu’il y avait un très fort élagage dans les choix des gags…

D. Roques : Forcément ! Alexis est toujours aussi difficile et m’envoie revoir ma copie régulièrement. Mais, avec le temps, on prend plus rapidement conscience de la qualité du gag. On connaît mieux l’esprit de la série. Et Alexis a beaucoup plus d’aisance pour dessiner les personnages.

A. Dormal : Le troisième tome est construit de la même manière que les autres, sous la forme de sketchs, mais nous avons essayé de créer une histoire, un fil conducteur, entre un certain nombre de ceux-ci. Beaucoup sont axés sur la thématique hivernale, c’est-à-dire la neige ou les traumatismes d’Ana-Ana par rapport au Père Noël. Plus Dominique écrivait des sketchs, plus on avait des idées pour approfondir le sujet. C’est un réflexe que l’on essaie de conserver aujourd’hui …

La mère de Pico ressemble beaucoup à Dominique Roques, votre mère…

A. Dormal : Ce n’est pas voulu ! Par contre, les grands-parents de Pico ressemblent beaucoup aux miens. On a retranscrit quelques tics qui leur appartiennent.

Extrait de Pico Bogue T3
(c) Dormal, Rocques & Dargaud.

Vous parliez de votre dessin qui a évolué. Des internautes vous ont reproché sur le forum d’actuabd.com de vous inspirer du travail de certains auteurs.

A. Dormal : J’ai lu effectivement les interventions qui se sont tenues sur votre forum suite à notre précédente interview. Nous avons tous les deux lus les albums de Mafalda et de Calvin & Hobbes. Même si je n’ai plus ouvert depuis des années les albums de Mafalda, les gags et le style sont toujours ancrés dans ma mémoire. Ils sont en moi ! Quand on a commencé à monter Pico Bogue, j’ai forcément été revoir des dessins d’auteurs que j’appréciais. Mais plus j’essayais de trouver un style, plus je m’enfonçais… Je n’arrivais à rien de cohérent et d’original. Je me suis donc vidé de toutes ces influences pendant quelques mois. Je n’ai plus rien lu, plus rien ouvert. Même la musique, je ne la supportais plus ! Il a fallu que je sois dans mon propre univers pour créer. Ce n’est que quand j’ai été totalement déconnecté de tout cela, que j’ai commencé à bâtir mon propre univers. Cela ne m’atteint pas du tout lorsque je lis dans vos pages que l’on aurait fait du copier/collé de tel ou tel univers. Nous savons comment nous avons travaillé et ces critiques ne m’affectent pas ! D’autant plus qu’elles émanent d’internautes anonymes. L’anonymat leur retire toute valeur, toute légitimé. Quelqu’un qui n’aime pas notre série peut en profiter pour écrire n’importe quoi. D’autre part, ce sont les seuls "reproches" qui m’ont été faits sur le sujet des auteurs que j’admire.

Vous vous basez en partie sur votre vécu pour écrire les histoires. Cette source ne va-t-elle pas s’épuiser ?

D. Roques : Le vécu est tellement vaste ! Et puis nous continuons heureusement à vivre. On peut donc espérer que l’on rencontre encore des moments amusants ou poétiques. Les idées peuvent également venir de réactions à ce que j’entends à la radio ou à ce que je lis. Je les remets en situation par rapport à l’univers de Pico. Ce sont généralement des situations que tout le monde peut avoir vécues !

Alexis Dormal, donnez-vous parfois des idées à votre mère ?

A. Dormal : Je lui donne de plus en plus une situation de départ, et Dominique trouve une chute. Sur le quatrième album, nous essayons de privilégier les petits moments qui se succèderont, et qui donneront une histoire plus vaste.

Chaque tranche d’âge ne trouve-t-il pas quelque chose dans Pico Bogue ?

A. Dormal : Oui. Les lecteurs préfèrent rarement les mêmes sketchs. Nos lecteurs nous confient parfois leurs anecdotes : ils partagent avec nous les paroles "étonnamment adultes" de leurs enfants. Mais ces phrases ou ces situations, qui sont comiques dans leur contexte, ne peuvent pas forcément constituer un sketch. Contrairement à ces enfants, Pico parle, lui, tout le temps comme un adulte. Le décalage doit donc être ailleurs et porte généralement sur une vision de la vie qui étonne. Souvent, ce que les lecteurs estiment être des chutes, sont pour nous des situations de départ.

Certains lecteurs nous disent parfois que c’est gênant que Pico parle comme un adulte. Pourtant, je n’ai pas le sentiment que Pico est un personnage anormal. Où on ne verrait qu’un adulte en lui. Non, il reste un enfant. Pico est dans la lignée de Mafalda ou des comics américains comme les Peanuts, Calvin & Hobbes. En fait, Pico Bogue est un fantasme !

D. Roques : Je n’ai pas la nostalgie de l’enfance. Mais il y a des tournures de phrase que je ne lui fais pas dire, et donc que je corrige. Car cela fait trop adulte.

Extrait de Pico Bogue T3
(c) Dormal, Rocques & Dargaud.

Il est plus intelligent pour son âge ?

D. Roques : Intelligent, peut-être pas. Il dispose d’un vocabulaire beaucoup plus large. Mais les enfants ne sont pas idiots. Écoutez-vous France Inter le matin ? Caroline Cartier va dans les classes et fait parler les enfants. Ils sont drôles et on est toujours étonné par leur manière de parler. Les adultes oublient peut-être qu’ils n’étaient pas stupides lorsqu’ils étaient petits. Ils écoutaient, et gardaient leurs remarques pour eux-mêmes, parce qu’il ne faut pas toujours tout dire aux adultes. Les enfants ont un vocabulaire plus restreint, mais ils ne sont pas idiots. Je n’ai pas eu envie de restreindre le vocabulaire de nos personnages.

A. Dormal : Le contexte de Pico Bogue est plus dans la fantaisie que le réalisme. J’essaie de cerner l’univers dans lequel nous aimerions parfois être. On aimerait parfois vivre la vie de Pico ou d’Anna-Anna.

Sempé disait : « Quand je dessine des bagarres pour “Le Petit Nicolas”, je sais très bien que les enfants ne se bagarrent pas comme cela ». Il les dessine jouant avec leur pied, comme s’ils faisaient des claquettes, les poings en l’air. Mais en même temps, il n’y a jamais un poing qui touche l’adversaire. Ce sont des bagarres aériennes, comme un ballet. Cela rend sympathique les bagarres d’enfant et le souvenir qu’on en a … Sempé n’a jamais fait que du monde rêvé. Il traite pourtant de tous les maux de la société. On a envie d’entrer dans ses dessins parce que l’on s’y sent bien, tout en sachant que ses illustrations critiquent souvent un aspect de la société. C’est ce qui fait le moteur de Pico Bogue. Nous aussi on a envie de critiquer la société. Si tout allait bien, il n’y aurait pas d’histoire. Les lecteurs nous disent parfois qu’ils aimeraient plonger dans telle ou telle vignette. Il n’y a pas de plus beau compliment que d’entendre cela. Alors que nous passons notre temps à montrer que tel ou tel élément est dérangeant et agace Pico. Notre personnage est humain, et victime de ses envies ou du péché des autres. C’est agréable de montrer cela. Les lecteurs aiment également les scènes plus contemplatives, et aussi que l’on essaie de tisser des liens entre les générations, comme s’il y avait un manque de la part de nos lecteurs de ce côté-là. On ne s’y attendait pas.

Dominique, aimeriez-vous écrire pour d’autres ?

D. Roques : Non. Je n’ai pas l’impression de « fabriquer » lorsque j’écris. Donc, je ne me sens pas être une professionnelle. J’écris pour ma famille avant tout. Alexis est mon fils et il me connaît bien. Il comprend à demi-mot ce que je veux dire.

A Dormal : Il y a un échange, même si on se connaît bien. L’humour est une question de dosage. Le minimum doit toujours être privilégié pour que la page soit efficace. Parfois, je dessine un gag en une page, et je n’en suis pas satisfait. Je le retravaille alors avec Dominique pour qu’il tienne sur une demi-page.

Le mot de la fin ?

D. Roques : J’ai été surprise en découvrant le troisième album de « Pico Bogue ». Mon éditeur a repris en couverture un gag qui est basé sur l’expression « Ne fait pas l’enfant ! ». C’est une phrase que l’on me disait souvent quand j’étais enfant. Pourtant, elle me semblait tellement désuète que je ne l’ai jamais dite à mes fils. Et j’ai hésité à bâtir une histoire autour d’elle. Je suis étonnée que Dargaud l’ait sélectionné. Cela prouve que finalement, elle est actuelle.

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire les chroniques du T3, du T2 et du T1
Lire une interview des auteurs : "Nous voulions avoir du plaisir à nous relire" (Juillet 2008)

et aussi : Voir une interview filmée sur le site de notre partenaire France Télévision (Mars 2009).

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Photos : (c) Nicolas Anspach

 
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2 Messages :
  • Madame, Monsieur les auteurs
    Je viens de lire le Télé7 jours du 24 au 30 août 2013 et notamment l’histoire de PICO BOGUE intitulée " le chocolat"
    que de souvenirs..., il m’est arrivé la même chose !
    J’ai fais découvrir les biscuits FIGOLU à mon fils lui expliquant que enfant,j’adorais ces biscuits et plus particulièrement la confiture de figue qui était à l’intérieur.
    Un jour, m’assurant qu’il avait bien pris son petit déjeuner, je trouve dans son assiette 4 "choses infâmes" comme je m’étonne, il me dit avec un merveille sourire et des étoiles plein les yeux : c’est pour toi Maman !!!
    Il avait trempé les biscuits dans le lait,les avait sucés consciencieusement et m’offrait la confiture de figue dont je raffolais !!!
    Je n’ai pas eu le moindre dégout et c’est avec délice que j’ai dégusté le cadeau
    Aujourd’hui, 25 ans après, j’ai découpé la petite histoire et l’a lui ai offerte !
    MERCI pour toute l’émotion que j’ai ressentie.

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  • "Les adultes oublient peut-être qu’ils n’étaient pas stupides lorsqu’ils étaient petits"

    C’est faux, beaucoup d’enfants sont stupides, ils le restent d’ailleurs et deviennent des adultes stupides. Il ne faut pas croire que les adultes stupides étaient des enfants malins ou intelligents.

    Répondre à ce message

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