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Dracula et Caligula inaugurent la collection des "Méchants de l’Histoire"

Par Charles-Louis Detournay le 27 juillet 2018                      Lien  
Seconde partie de notre dossier consacré aux bandes dessinées historiques. Après les "Une Histoire de Héros" début de cette semaine, voici le revers de la médaille, ceux qui ont marqué l'Histoire par leur méchanceté. Un programme moins sombre qu'il n'y paraît grâce un humour omniprésent !

On le dit souvent : dans la fiction, une bonne histoire nécessite un bon méchant. Dans les bandes dessinées, certains d’entre eux firent même de l’ombre aux personnages principaux. Choc dans Tif et Tondu, Barbe-noire dans Vieux Nick (au point de lui voler la vedette dans les titres), Les Dalton dans Lucky Luke, Zorglub, dans Spirou, qui vient de connaître sa propre série, etc.

Dracula et Caligula inaugurent la collection des "Méchants de l'Histoire"Et dans cette période lors de laquelle la bande dessinée historique a le vent en poupe, et surtout ses figures mythiques pour comprendre qui était l’homme derrière le héros, s’intéresser aux personnages sombres prend toute son épaisseur. Mais cette nouvelle collection de Dupuis n’a pas l’objectif de surfer sur les atrocités commises par ces dictateurs, comme nous l’explique Bernard Swysen, initiateur du concept et scénariste de la collection : « On a de tout temps utilisé l’Histoire comme exemple argumentaire, on la triture, on la tord en fonction du point de vue que l’on veut “imposer”. L’Histoire est un outil de connaissance mais aussi un outil de propagande. Ce qu’on appelle “le roman national” en est l’exemple universel.

Alors pourquoi cette volonté de traiter des méchants ? Parce qu’il me semblait que cette manipulation de l’Histoire prenait un nouvel essor, notamment via les réseaux sociaux, parallèlement, me semble-t-il, à une baisse des exigences scolaires. À force de lire sur les forums ou d’entendre sur les plateaux télés des idioties péremptoires, agacé aussi que si peu de personnes réagissent, j’ai pensé à cette phrase de George Santayana : “Ceux qui ne peuvent se souvenir du passé sont condamnés à le répéter”. »

Bernard Swysen, initiateur, scénariste et organisateur de la collection "Les Méchants de l’Histoire"
Photo : DR.

« Une bonne connaissance de ce passé permet de ne pas se tromper d’ennemi, continue Swysen. De là, il n’y avait qu’un pas à franchir : une collection grand public qui raconte la vrai vie des tordus de l’humanité, mais par le biais de l’humour, et à travers leur parcours, la Grande Histoire ! La seconde motivation consistait à faire connaître la “carrière” authentique de personnages qui font partie de l’imaginaire collectif sans que l’on sache qui ils étaient vraiment. »

« Pour choisir mes "Méchants", conclut-il, je n’avais que l’embarras du choix. Bien malheureusement ! Car chaque époque a connu ses monstres, voire plusieurs en même temps. Ceci dit, il faut bien reconnaître que nous avons été particulièrement gâtés au XXe siècle. J’ai choisi, quelle que soit l’époque, les plus connus, les plus ancrés dans l’imaginaire collectif. Mais leur “notoriété” a, avec le temps, mélangé dans un joyeux melting-pot légendes et réalité. Il s’agissait dès lors de remettre les pendules à l’heure. »

Caligula, Par Fredman & Bernard Swysen (Dupuis)

Un humour forcément noir, mais jouissif !

La collection consacre donc un album complet et unique à chaque personnalité tristement célèbre. Bernard Swysen scénarise tous les albums, coordonne la collection (car chaque récit est pris en charge par un dessinateur différent), et gère les dossiers qui parachèvent le portrait traité. Toutefois, la pagination reste libre, en fonction des faits à évoquer. On peut donc passer d’un 46 planches à un volume plus épais d’une centaine de pages.

Swysen avait déjà fait ses preuves dans la bande dessinée historique, notamment grâce aux deux très belles biographies qu’il avait précédemment consacrées à Victor Hugo et Léonard de Vinci. Fidèle à sa méthode de travail, il a entrepris de conséquentes recherches bibliographiques, ce qui se ressent dans le nombre remarquable de détails présents dans chaque volume. Il fallait pourtant trouver un équilibre entre les anecdotes et les faits primordiaux, la légende et la réalité.

Caligula fit ériger l’obélisque de la Place St Pierre
Caligula, Par Fredman & Bernard Swysen (Dupuis)

« Je désirais remettre les pendules à l’heure, donc séparer le bon grain de l’ivraie historique, explique Swysen. Dracula et Caligula viennent de paraître, mais il y a eu en amont plusieurs années de travail. Tout d’abord, il s’agissait d’ingurgiter tout ce qui avait été écrit sur le personnage concerné et, après avoir digéré tout ça, recouper le tout avec d’autres événements, vérifier si telle personne avait pu être là à tel moment, analyser les motivations du biographe, son objectivité,... Un travail passionnant qui m’a fait vivre des moments extraordinaires, car j’ai pu apprendre une foule de choses que j’ignorais. »

Cette rigueur historique se ressent donc à la lecture, introduite par la préface d’un historien qui permet de mettre en perspective le récit proposé, tout en confirmant son exactitude. Mais avouons-le, tout aussi passionnant soient les sujets de la collection, elle serait restée austère, voire sordide, sans l’humour omniprésent de Swysen.

L’obsession du pal
Dracula, Par Julien Solé & Bernard Swysen (Dupuis)

En effet, l’intelligence du concept profite d’une dérision présente dans chaque planche, voire parfois dans chaque bulle. Cet humour bienvenu et le langage moderne utilisé dans les dialogues permettent au lecteur de prendre de la distance par rapport aux faits évoqués. Ce qui facilite l’analyse de ces personnages anormaux tout en assurant de passer un très bon moment de lecture !

Caligula et Dracula

Ces deux récits ont été choisis pour inaugurer la collection, avant que quatre autres ne paraissent en janvier prochain. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que ces deux premiers tomes bousculent largement nos éventuelles appréhensions.

Dès l’entame de Dracula, deux éléments sautent aux yeux. Tout d’abord, la solidité graphique du dessin de Julien Solé (alias Julien/CDM). Son trait mordant et humoristique lui avait déjà permis d’aborder bien des thématiques complexes (notamment dans Fluide Glacial). Il apporte ici une forme de gouaille communicative qui n’omet pas de souligner les aspects sordides du parcours de Dracula. Chaque case est un régal, et les mimiques du Méchant valent la lecture à elles-seules.

Le ton de Bernard Swysen s’impose d’emblée. Historiquement parlant, il coupe directement le lien que l’imaginaire populaire a tissé entre Dracula et la Transylvanie. Puis l’humour arrive sans attendre, au diapason avec le dessin de Julien Solé. Formidablement efficace !

Pourquoi l’humour dans une collection historique ? Bernard Swysen explique : « Parce que j’adore ça, et parce qu’ensuite c’est, je trouve, un formidable outil mnémotechnique. Je ne voulais pas faire de “L’Oncle Paul”[La célèbre rubrique historique du Journal de Spirou. NDLR.] Ensuite, cela m’a permis d’avoir la chance de collaborer avec des auteurs dont j’admire le travail, qui ont tous une forte personnalité graphique et qui sont des pointures en dessin humoristique. Je voulais par ailleurs élaborer différents degrés de lecture pour m’adresser à un large public. Le défi est qu’il ne faille pas avoir de connaissances particulières pour accrocher à un des personnages et à son époque, mais aussi que le spécialiste ne s’ennuie pas et puisse s’y retrouver. Le dessin humoristique facilite certaines scènes un peu “hard”. Imaginez la forêt d’empalés de Dracula en dessin réaliste... Tandis qu’ici, on peut y aller à fond… si j’ose dire ! »

Dracula, Par Julien Solé & Bernard Swysen (Dupuis)

En dépit de quelques trouvailles extraordinaires en terme d’humour, la succession des trahisons et des campagnes menées par Vlad Dracul provoque quelques légères baisses de rythme, conjuguées à un découpage un peu trop classique, mais cela ne ternit pas la réussite de ce mariage entre Histoire et humour noir.

Second tome à paraître simultanément, Caligula pose la barre encore plus haut ! Le sujet ayant été plus abordé par les historiens de l’époque, la matière est plus conséquente, ce qui permet d’avoir plus d’époques différentes à aborder (l’enfance, l’adolescence, le début triomphant du règne de l’empereur, puis sa folie). Swysen aborde tous les délires de Caligula, extrêmement créatif dans ses errements.

La réussite revient tout autant au dessinateur Fredman qui a trouvé le ton juste pour évoquer les deux facettes de la personnalité de l’empereur. Ses figures grotesques renforcent la farce qui semble se jouer devant nous, on se croirait dans un film des Monthy Python ! Et, que cela soit dans les plans larges ou dans les arrière-plans des petites cases, la vie de Rome est aussi documentée qu’équilibrée. Résultat : un récit de soixante-quatre pages qui se lit d’une traite, et qu’on refermerait presque avec un goût de trop peu, si l’on n’avait le dossier final qui permet de prolonger encore un peu la lecture.

Lorsqu’une délégation d’Alexandrie vient voir Caligula, Swysen ne peut résister à l’écrire en alexandrins, en souvenir d’Astérix !
Caligula, Par Fredman & Bernard Swysen (Dupuis)

Une nouvelle guirlande de méchants pour janvier

Après ces deux premiers albums déjà dans les bacs, les quatre albums suivants paraîtront en janvier. Parmi ces nouveaux « Méchants », Hitler attire l’attention. À la lecture de Dracula et Caligula, comment maintenir ce difficile équilibre entre faits historiques et humour noir, concernant un dictateur dont les méfaits ont marqué le XXe siècle ? Réponse assumée de Bernard Swysen : « Hitler est en effet un sujet plus sensible, car plus proche de nous. Mais il était indispensable de le traiter. Il est primordial de pouvoir comprendre comment un tordu pareil est arrivé au pouvoir suprême, avec les conséquences que l’on sait. Ptiluc l’a réalisé sur le mode animalier, avec le talent qu’on lui connaît. Ce qui nous a permis de ne rien occulter de ce cauchemar. »

Hitler, par Swysen & Ptiluc (Dupuis)

« Les passages dans les camps de concentration sont d’ailleurs illustrés en noir et blanc, détaille le scénariste, C’est une idée de Ptiluc. Nous basculons dans l’horreur absolue et il convenait d’aborder certains épisodes avec finesse. Je peux dire que cela fonctionne magnifiquement bien. Et Johann Chapoutot qui a relu et préfacé l’album, a été enchanté. »

Hitler, par Swysen & Ptiluc (Dupuis)

À la suite de cet Hitler dessiné par Ptiluc, les trois autres tomes qui paraîtront également en janvier prochain seront consacrés à Torquemada (par Marco Paulo), Attila ( par Pixel Vengeur) et Robespierre (par Bercovici). Sacrée brochette !

Swysen nous donne un avant-goût de ces futures publications : « Concernant Torquemada, le problème résidait dans le fait qu’il y a très peu d’ouvrages en français sur ce sujet et que l’on connait très peu de choses de sa vie privée. Il fallait donc recouper les éléments dont je disposais avec la Grande Histoire, et faire traduire de nombreux textes espagnols. »

Torquemada, par Swysen & Marco Paulo (Dupuis)

Le cas de Robespierre est plus délicat. Cet acteur fondamental de la Révolution française a ses détracteurs mais aussi ses défenseurs. « Pour Robespierre, poursuit le scénariste, Le fait de l’avoir placé dans les méchants agite déjà les réseaux sociaux. Il y a en France encore aujourd’hui les pro et les anti-Robespierre, ce qui assez cocasse. Mais une fois de plus, je ne m’attache qu’aux faits. Le lecteur jugera de lui-même si notre révolutionnaire mérite sa sinistre réputation. Il faut reconnaître qu’il a écrit des textes remarquables, en avance sur son temps, contre la peine de mort, pour la liberté de la presse,... Mais il a tout de même fait voler en éclats ses belles idées par la suite, dans ce que j’aime appeler un pétage de plombs. »

Robespierre, par Swysen & Bercovici (Dupuis)

« Et concernant Attila, termine Swysen, C’est intéressant d’apprendre qu’il a eu une éducation romaine, et que le barbare n’est pas celui que l’on imagine. Cette collection, c’est “la vraie histoire vraie” ! »

On le voit, cette collection qui jette un regard ironique sur l’histoire, un peu à la manière d’Astérix, nous permet de la relire avec un sourire. Sa lecture pourrait éventuellement faire reculer certains prescripteurs, comme les enseignants, qui s’inquièteraient que la pédagogie s’en trouve affectée. Outre le fait que bon nombre d’historiens traitent aujourd’hui l’Histoire avec humour, ce type d’ouvrage entretient au contraire un esprit de critique historique, méthode précisément à l’origine de cette discipline. La lecture de l’Histoire ne saurait être figée. Elle évolue avec le temps. La dérision de Swysen permet de s’en rappeler.

Attila, par Swysen & Pixel Vengeur (Dupuis)

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN : 9782800169002

Lire la première partie de ce dossier : Bande dessinée : une Histoire de héros

Concernant cette nouvelle collection des "Méchants de l’Histoire" édité par Dupuis, lire également l’interview de Bernard Swysen : « Avec "Les Méchants de l’Histoire", on comprend que la cruauté est intemporelle, même si nous la tournons en dérision »

Dans le collection des "Méchants de l’Histoire" (Dupuis), commander les deux premiers titres :
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1 Message :
  • J’ai lu les deux premiers tomes de cette nouvelle collection de chez Dupuis.

    Je dois dire que je me suis beaucoup amusé. J’ai compris la démarche des auteurs. Cette manière décalée d’aborder l’Histoire est récréative. L’objectif de cette série n’est selon moi pas éducative (bien que peut-être un peu). Il y a des manuels pour cela. Elle permet plutôt de sourire de ce qu’il nous a été transmis de vrai et de faux. Aussi, il y a de nombreux bons jeux de mots ainsi que des allusions culturelles bien vues.

    Pour "Caligula", il m’a semblé qu’à un moment donné, le scénario souffrait qu’il ne se limite à une succession de séquences sans trop de liens entre elles. C’est le problème lorsqu’on doit résumer très fort l’Histoire et qu’on essaye d’y mettre le maximum.

    Sinon, le ton est résolument moderne. Le dessin est des plus appropriés afin de le servir. A ce sujet, la pléiade de dessinateurs au service de B. Swysen promet de la diversité, du talent, de la surprise.

    Le sujet "Hitler" sera des plus délicats. J’ai toutefois lu un extrait où son discours basé sur le racisme primaire et débile est dénoncé très clairement. A l’heure où certains ne l’ont pas encore compris, il était sans doute effectivement bien vu de l’exposer sous cet angle nouveau. Je ne crois pas non plus que les auteurs et l’éditeur renommé ne l’aient abordé trop légèrement.
    Je demande néanmoins à voir comment ils y sont pris pour élaborer le tome sur ce thème scabreux d’un des personnages les plus néfastes que la planète ait connu.

    Je demande donc à voir la suite de cette collection mais de prime abord, c’est dans l’ensemble assez positif et de bon augure.

    O tempora o mores !

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