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Druillet & Di Rosa : "L’argent donne aussi une valeur positive à un art car cela signifie que nous existons"

Par Christian MISSIA DIO le 26 mars 2013                      Lien  
La galerie Petits Papiers Sablon franchit une nouvelle étape dans les rencontres entre l'art contemporain et la bande dessinée qu'elle organise, en proposant cette fois-ci l'exposition "Cosmos". Un projet totalement original où Philippe Druillet et Hervé Di Rosa éblouissent le visiteur avec leurs œuvres sombres et cosmiques.

Druillet & Di Rosa : "L'argent donne aussi une valeur positive à un art car cela signifie que nous existons"
Philippe Druillet
Photo : DR

Druillet, vous considérez-vous toujours comme un auteur de BD ?

Druillet : J’ai toujours dessiné. Je réalise des toiles depuis que j’ai 17 ou 18 ans, mais c’est la BD qui m’a toujours animé et je savais très tôt que j’avais un avenir là-dedans. J’étais aussi convaincu que la bande dessinée serait le futur art contemporain du vingtième siècle. Carrément ! J’y ai cru, je me suis battu pour cela et aujourd’hui, c’est gagné, car nous sommes acceptés partout, que ce soit dans les musées ou les galeries d’art, en passant par les ventes aux enchères et chez les collectionneurs, même chez les plus grands !

Nous avons mené un combat culturel. Les œuvres de nos maîtres, Hergé, Franquin, Jacobs, font des scores incroyables. Certains disent que c’est surcoté mais ceux-ci ne comprennent pas que l’argent a aussi une valeur positive sur un art, car elle l’anoblit. Cet art devient sérieux et nous, ses artisans, existons. Toutefois, cela ne nous empêche pas de "délirer" dans notre travail, sans penser au pognon et aux factures qui nous attendent chaque mois.

Chacun à son propre chemin à suivre et, en ce qui me concerne, j’ai fait beaucoup de choses. Mes activités vont de la bande dessinée à la sculpture, en passant par le cinéma et la 3D. J’aime aussi bien travailler en équipe que seul dans mon atelier. Et je suis toujours à la quête de la perfection. Une perfection que je n’atteindrai jamais !

Hervé Di Rosa
Photo DR

Di Rosa : Moi, c’est le contraire ! On croit parfois que je fais de la BD alors que ce n’est pas le cas.

J’ai accepté de faire cette exposition suite au grand débat initié par Christian Balmier qui s’est ouvert à propos des ventes publiques autour de la BD et de l’entrée de celle-ci dans les musées.

Lorsque j’ai commencé à faire de la BD, au début des années 1980, et que j’ai voulu faire une exposition au Musée Matisse de Nice, on se foutait de moi ! Aujourd’hui, ces même personnes ne s’y connaissent pas plus en 9e art mais ils se rendent bien compte que de plus en plus en de monde aime cela.

Pour moi, la BD c’est comme le cinéma dans le sens qu’à l’origine, c’étaient des outils de divertissement mais que certains les ont détournés de leur sens premier pour en faire autre chose.

La démarche de cette opération menée par Petits Papiers, c’est de mettre en valeur notre travail et de mener une réflexion. Et puis, certains auteurs se considèrent comme des artistes, d’autres par contre se voient plus comme des artisans. Finalement, je pense que tout cela n’est qu’un problème de distribution. On retrouve cela aussi dans l’art contemporain.

Cosmos 2
Acrylique sur toile. 80x100 cm.

Druillet : C’est pareil au cinéma. Il y a une querelle entre un cinéma dit d’auteur et un cinéma dit populaire. Il n’y a qu’aux États Unis où on ne se pose pas la question ! C’est un problème d’écoles. C’est dû à la nouvelle vague, ce style à la con que j’ai toujours détesté ! Ça a foutu un bordel pas possible ! Claude Chabrol, qui faisait partie de cette équipe, s’est mis à faire un cinéma qui l’appelait du cinéma. Quand à Jean-Luc Godard, c’est le plus grand escroc de la planète ! Il s’est pris pour Dieu alors qu’il n’a jamais fait vraiment d’entrées en salle ! La France est le seul pays au monde où tu entends parler de deux vedettes tous les jours : Marcel Proust et Godard. Le reste, n’existe pas ! Lorsque la BD a explosé, les intellectuels et la presse se sont rendus compte qu’il ne fallait pas passer à côté de ça. De l’autre côté, au cinéma et dans la littérature, la science-fiction a aussi été totalement méprisée en France. Le seul qui passait à peu près, c’était Ray Bradbury. Puis un jour, Stanley Kubrick a fait 2001, l’Odyssée de l’espace. Là, tous les critiques l’ont eu dans le cul ! Lorsque nous défendions Planète interdite dans les années 1950, on se faisait traiter de débiles mentaux par ces même personnes. Comme je vous le disais tout à l’heure, pour la BD, cela a été un combat. C’était la même chose en musique et pour la littérature de science-fiction. Tout cela, c’était en France. Toutefois, je dois mettre un bémol à mes propos en citant le film Blade Runner de Ridley Scott, qui fut un échec aux USA mais c’est l’Europe qui l’a sauvé.

Black old cars / toiles
Acrylique sur toile. 100 x 125 cm.

Di Rosa : Tout à fait d’accord avec toi, sauf pour Godard, qui est cité par tous les cinéastes américains, à l’instar de Quentin Tarantino. S’ils le citent tous, c’est qu’il a dû avoir un certain talent.

Pour en revenir à la BD vis à vis de l’art contemporain, je pense que la chance de la BD, c’est qu’il n’existe plus de grand mouvement dans l’art contemporain. Par exemple, avant, lorsque l’on se rendait dans une foire d’art contemporain, il y avait une sorte de dominante chaque année.

Cosmos 6
Acrylique sur toile.38x66 cm

Selon vous, quel est le grand mouvement dans la bande dessinée d’aujourd’hui en France ?

Druillet : Aujourd’hui, nous avons un courant d’écrivains graphiques dans la bande dessinée, avec les Sfar, Blain et Larcenet, qui sont dans la continuité de Reiser ou Claire Brétécher. Par exemple, le travail de Riad Sattouf sur La Vie des jeunes publié dans Charlie Hebdo [Publié chez L’Association. NDLR] va rester parce que c’est le témoignage d’un siècle, d’une époque...

Di Rosa : Comme le travail de Reiser...

Druillet : Effectivement, comme Reiser. Tu me l’as ôté de la bouche, si j’ose le dire (rires).

Donc, ce n’est pas encore un mouvement comme on pu avoir le mouvement Pilote, par exemple, mais on assiste à un retour sur la réalité, sur le social. Il y a une interrogation sur la société sous la forme d’écriture dessinée. Je trouve cela tout à fait honorable !

Un jour, quelqu’un m’a dit qu’aujourd’hui, il n’y avait plus de grands dinosaures comme Moebius ou moi. Je lui ai répondu qu’on en avait rien à foutre, car l’intérêt de la bande dessinée c’est que c’est un moyen d’expression à multiples branches. Et cette activité actuelle qui est un mouvement littéraire graphique fait entièrement partie de la bande dessinée. C’est la diversité !

Je suis passionné par les nouvelles générations, que j’adore ! Riad Sattouf est génial ! Sfar, qui s’est lancé dans le cinéma, prouve encore la richesse des gens de notre milieu. Osons un parallèle avec la période du Quattrocento, la Première Renaissance dans l’art, on voyait que les artistes faisaient aussi bien du dessin que de la peinture et de la sculpture ; ils dessinaient des jardins, etc. Aujourd’hui, on vois un peu la même chose car les auteurs de BD deviennent des vrais touche-à-tout. On fait du multimédia. J’ai compris que pour grandir dans mon art, il fallait que je m’ouvre à tout les domaines de la création et de l’artisanat, et je fais cela depuis 30 ou 40 ans. On voit aussi cela dans les nouvelles générations.

Di Rosa, êtes vous d’accord avec Druillet ?

Di Rosa : Oui, grosso modo.

Di Rosa

Dans le cadre de cette exposition, au niveau de votre art, qu’est ce qui vous relie à Druillet ?

Di Rosa : Peut être que l’influence n’est pas visible au premier abord mais dans ma démarche artistique, j’ai été un des premiers à reconnaitre l’influence importante de certains auteurs de BD sur ma formation intellectuelle et formelle, au même titre que mes autres influences classiques comme Matisse et Jean Dubuffet.

Certains artistes comme Philippe Druillet m’ont marqué. C’est pour cela que j’ai accepté de faire cette exposition, parce qu’elle prouvait que je ne m’étais pas trompé. Je savais que Philippe travaillait sur une série en noir et banc et que moi, étrangement, en 1982 ou 83, je n’ai peint qu’en noir et blanc. Lorsque les gens de Petits Papiers sont venu me proposer cette expo avec Druillet, j’ai eu envie de me remettre dans cette démarche de noir, de gris sur du blanc. C’est ça qui fait écho. Philippe avait déjà fait son travail et c’est moi qui fait écho à son œuvre en proposant quelque chose qui peut alimenter ce fameux débat de ce qui est art et ce qui est bande dessinée.

Vous savez, j’ai créé il y a treize ans un musée, à Sète ma ville natale, qui s’appelle le Musée international des Arts Modestes [1]. On a fait trente expositions, trente catalogues. On a invité six-cent artistes venus du monde entier et appartenant à toutes les générations. L’objectif de ce musée est de s’intéresser à la relation qui existe entre la création contemporaine, l’art savant et la création dite populaire, qui vient de l’industrie, c’est à dire la bande dessinée ou encore le cinéma, etc.

Donc, c’est un questionnement qui me préoccupe. Je ne prétend pas donner des solutions mais j’ouvre un dialogue entre deux mondes qui ne se connaissent pas forcément. Ce qui m’intéresse c’est d’alimenter la curiosité des artistes et du public. Donc, accepter cette exposition avec Druillet était naturel pour moi. Ne pas le faire aurait signifié me renier dans ma démarche artistique ! C’est un risque que je prends car ce n’est pas toujours bien vu dans l’art contemporain de flirter avec la BD.

Cosmos 13
Acrylique sur toile.92x73 cm

(par Christian MISSIA DIO)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Exposition "Cosmos" de Di Rosa & Druillet. Du 8 au 31 mars 2013.

CONTACTS BRUXELLES Sablon
GALERIE PETITS PAPIERS SABLON à Bruxelles
8A rue Bodenbroeck
Place du Grand Sablon
1000 Bruxelles

http://petitspapiers.be/?fond=index_be

Tél. +32 (0) 2 893 90 30

Mobile +32 (0) 478 319 282

Courriel : contact@petitspapiers.be

Ouvert du mercredi au dimanche de 11h à 18h30

http://www.dirosa.org/

http://www.miam.org/

http://www.druillet.com/

[1MIAM

 
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15 Messages :
  • On n’a rarement l’occasion de lire autant de conneries. C’est affligeant.

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    • Répondu le 26 mars 2013 à  16:58 :

      Ce n’est pas totalement vrai, des "conneries" on en lit tous les jours. Pour en revenir à cet interview, qu’est-ce qui vous hérisse le poil dans tous ça ?

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      • Répondu par Geraud le 26 mars 2013 à  19:18 :

        Salut,

        Ce n’est pas totalement vrai, des "conneries" on en lit tous les jours.

        Parfaitement exact.

        En voilà d’ailleurs une de belle taille :

        On n’a rarement l’occasion de lire autant de conneries. C’est affligeant.

        Répondre à ce message

    • Répondu par Bardamor le 27 mars 2013 à  01:16 :

      Dès que le pognon paraît, il faut s’attendre à des blaireaux. En voilà une belle paire. Ce truc de vouloir être reconnu à tout prix, je sais pas d’où ça vient ? Bercé trop près du mur, je supppose.

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      • Répondu par Sly le 27 mars 2013 à  15:37 :

        @Bardamor : C’est vrai, l’argent c’est sale...

        Mais ça ne répond pas à la question : qu’est-ce qui vous hérisse dans cette interview ? L’argent (ça c’est fait...) ? La transversalité ? Le besoin de reconnaissance ? Complétez à votre gré...

        Résumé l’interview à "c’est des conneries, c’est affligeant." , c’est un peu lapidaire, non ?

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        • Répondu par Bardamor le 28 mars 2013 à  18:47 :

          La reconnaissance sociale, qu’elle soit abstraite (la gloire), ou plus sonnante et trébuchante (le pognon), ne détermine pas plus l’artiste que le boulanger, le footballeur ou le concierge.
          Ces lascars confondent l’art avec la propagande ou la publicité, qui vise, elle, à sidérer un maximum d’ahuris. Les propagandistes finissent d’ailleurs aux oubliettes de l’histoire ; leur production est la plus démodable.

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          • Répondu par Sly le 28 mars 2013 à  21:30 :

            Hummmm... je vois. Intéressant point de vue. C’est un aspect politique. Mais les intéressés se rendent-ils compte eux-mêmes de faire de la propagande ? Et d’ailleurs l’art n’est-il pas une forme de propagande ? Et (c’est là le plus intéressant) quelle propagande dénoncez-vous ? Celle de l’argent ?

            De ce point de vue il y a beaucoup à dire... Mais de là à dire que ce sont des « "ce que vous voulez de pas gentil sur ces gens... »"... L’argent c’est ce que l’on en fait : ça paye les factures, ça permet des choix (politiques (donc culturels) par ailleurs) et une foultitude de choses... et puis parfois ça permet de faire des choses moins glorieuses...comme tout plein de choses inventées par les hommes.

            J’ai une question : quelle propagande voulez-vous dénoncer ?

            Pour finir, personnellement, je trouve exagéré vos incriminations, alors que toute une profession "pleure" du manque de moyens et de reconnaissance...

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            • Répondu par Bardamor le 31 mars 2013 à  03:20 :

              C’est lier la vocation d’artiste à la reconnaissance sociale qui n’a aucun sens. Je suis Français, et les plus grands artistes français sont anarchistes (Rabelais, Molière, etc.), et n’ont rien à cirer de la reconnaissance sociale. Si Druillet, Di Rosa ou je ne sais quel footballeur veut de la reconnaissance sociale et qu’il l’a, tant mieux pour lui.
              - Pour ce qui est de lier la reconnaissance sociale au pognon, je laisse la responsabilités aux deux compères.
              - 40 ans n’est rien. Les artistes à la mode sombrent dans l’oubli quand leur régime sombre dans l’oubli. Picasso, dans les dernières années de sa vie, bossait autant qu’il pouvait, à cause du doute qu’il avait, que son art passe la rampe.

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              • Répondu par Sly le 1er avril 2013 à  00:17 :

                Donc c’est bien politique... Je ne chercherais pas à vous convaincre comme vous n’arriverez pas à me convaincre. Laissez donc l’argent à ceux qui en veulent puisqu’il est si sale.

                Quand à Rabelais et Molière, je ne pense pas qu’ils puissent avoir été anarchistes un jour. Et pour Picasso je vous invite à lire un livre très instructif sur le sujet et qui vous éclairera peut-être sur la (?triste ?) condition de l’être humain : http://www.amazon.fr/Les-artistes-toujours-aim%C3%A9-largent/dp/2246769817 (prendre Magritte en exemple m’aurait paru plus judicieux, je crois)

                J’ajouterais que même les artistes ont besoin de manger.

                Ps : comparer Druillet à un joueur de foot fallait oser...

                Répondre à ce message

          • Répondu par xav kord le 28 mars 2013 à  23:24 :

            Entièrement d’accord avec la définition induite de l’art : "ce qui ne se démode pas", au contraire de la publicité, de la propagande (je suis très conciliant), de l’artisanat, de l’esbroufe...

            Et justement, je n’ai pas l’impression que Druillet ou Di Rosa se démodent ; mais bon, on a que 40 ans de recul, attendons encore un peu...

            (Bon, faut quand même reconnaître que ces deux-là, c’est sacrément mal dessiné !)

            Répondre à ce message

  • Druillet et l’argent
    31 mars 2013 12:30, par Polo

    Ph. Druillet : " l’argent a aussi une valeur positive sur un art, car elle l’anoblit." Vous avez quatre heures.

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    • Répondu le 31 mars 2013 à  22:03 :

      Et moi qui croyais que l’argent pourrissait tout !

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      • Répondu par Oncle Francois le 1er avril 2013 à  18:10 :

        Comme le dit si bien Sly un peu plus haut "Laissez donc l’argent à ceux qui en veulent puisqu’il est si sale". Monsieur Druillet est un formidable visionnaire, mais avant d’obtenir une réputation internationale avec son Lone Sloane, il a connu des périodes moins fortunées. Il est donc normal qu’il apprécie maintenant de vivre avec plus de confort, de luxe et de liberté, car chacun vise à connaitre une amélioration de sa condition. Si ce n’était pas le cas, il serait déjà parti vivre à Cuba, en Répub Démo de Chine ou en Corée du Nord, mais c’est vrai qu’en général, les évasions se font plutôt dans l’autre sens (je veux dire de ces paradis prolétaires vers les pays libéraux ou aisés), parfois au péril de la vie des malheureux candidats à l’exil...

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        • Répondu par JC le 1er avril 2013 à  19:13 :

          avant d’obtenir une réputation internationale avec son Lone Sloane,

          Vous prenez ses désirs pour une réalité. Druillet n’a jamais eu de succès hors francophonie,et même en francophonie son succès n’a jamais été éclatant. Il ne faut pas confondre Druillet et Moebius.

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          • Répondu par Ig le 31 décembre 2013 à  08:21 :

            Voyagez ! voyagez mes amis .. (comme Lone Sloane) et ça vous évitera peut-être de parler du nom de l’international sans quitter votre état de juge et partie.

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