En effet, de 2008 à 2010, cette dernière s’est amusée à réaliser de nouveaux strips et à les insérer au sein de la trame narrative déjà existante. Une sorte de préquelle qui paraissait dans la presse en alternance avec les rediffusions. L’anthologie Something Old, Something New, qui vient de paraître aux éditions Andrews McMeel Pusblishing (l’éditeur associé au syndicate), est une compilation de ces strips, anciens et nouveaux.
En 2007, alors que Johnston s’apprêtait à boucler sa série, son syndicate propose de rediffuser ses anciens strips dans les journaux. Mais l’auteure juge alors son travail de débutante avec sévérité : les strips des années 1979-1981 lui semblent insuffisamment développés et son humour manque parfois de finesse ou de subtilité. Il serait gênant de les publier tels quels. Pourquoi ne pas prolonger les intrigues en y insérant, de temps à autre, de nouveaux gags ? L’auteure décide alors de créer ces « pre-runs » ou « pré-diffusions », qui seront publiés dans la presse, en alternance avec les strips plus anciens. Une première dans l’histoire du strip anglo-américain ! C’est ainsi que Something Old, Something New est une version « augmentée » et commentée des trois premiers recueils de la série : I’ve got the One-More-Washload Blues…, Is this « One of Those Days », Daddy ? et It Must Be Nice to Be Little.
À cette époque, FBOFW d’abord et avant tout une série humoristique familiale de style « gag-a-day » (elle deviendra par la suite un feuilleton aux ramifications complexes). Le strip met alors en vedette Elly Patterson, femme au foyer, mère de deux enfants, Michael, quatre ans et Elizabeth, deux ans. Son mari John est dentiste. Ceux-ci habitent dans une petite municipalité canadienne. Au fil des strips, Michael commence l’école, la famille adopte le chien Farley (nommé ainsi d’après l’auteur canadien Farley Mowat), et Elly, insatisfaite de sa vie au foyer, décide de terminer ses études universitaires en s’inscrivant à des cours du soir.
Au sein de l’anthologie, l’auteure a choisi de publier les strips selon un ordre narratif aussi cohérent que possible. C’est ainsi que le neuf et le vieux se côtoient ; seul un astérisque placé dans la marge prévient le lecteur que le strip a été réalisé en 2008-2010 et non en 1979-1981. Ce choix, sans doute le plus intéressant (compte tenu de la logique interne du recueil), s’est révélé être un véritable puzzle pour l’auteure. Aussi la version définitive de l’ouvrage n’est pas exempte d’erreurs : certains gags se répètent et quelques anachronismes se glissent parfois dans la trame narrative (ex : Michael s’inquiète du sort son chien Farley alors que celui-ci n’a pas encore été officiellement introduit dans la série). Enfin, certains gags sont, de l’avis de l’auteure, ratés. Ces erreurs, Johnston les assume parfaitement. Ainsi, plutôt que chercher à dissimuler ses défauts, Johnston choisit de nous livrer un portrait complet (et honnête) de son œuvre.
Outre les nombreux commentaires de l’auteure, les anecdotes personnelles et les photos familiales que celle-ci insère dans l’anthologie (Johnston s’étant inspirée de sa propre famille pour créer la saga des Patterson), le véritable intérêt de Something Old, Something New est sa manière de nous faire sentir la marque du temps. Graphiquement, d’abord, le style de Johnston a beaucoup évolué en trente ans de métier. En ce sens, les astérisques qui dénotent les nouveaux strips sont quasiment inutiles ; un œil avisé repère facilement les nouvelles illustrations. De même, comme Johnston le fait remarquer, chercher à imiter son style de jeunesse s’est avéré un véritable défi, même pour une dessinatrice chevronnée.
D’un point de vue narratif, certains strips, de par leurs thématiques, trahissent également leur âge. En tant que femme au foyer, Elly occupe un rôle parfois ingrat auquel se refuseraient nombre de femmes aujourd’hui. De même, la question de la fessée peut difficilement, en 2011, être considérée comme un sujet d’humour. Certains gags, d’ailleurs, n’ont pas reparu dans les journaux, même s’ils ont été inclus dans l’anthologie. Enfin, la présence de vêtements ou d’objets des années 1980 sont autant d’indices qui nous plongent dans une autre époque : Johnston a même jugé bon de redessiner un ancien strip contenant une dactylo, un objet qui, à ses yeux avait une connotation trop ancienne.
Bref, Something Old, Something New aura été une aventure unique dans le monde du strip et, surtout, une expérience jouissive : « Je crois que j’ai réussi à améliorer le tout. Ce qui est sûr, c’est que j’ai eu du plaisir. Essayer de dessiner comme je le faisais à cette époque était un défi plaisant. J’ai beaucoup aimé jouer avec les enfants, le chien et les adultes en mode « slapstick ». Les intrigues plus sérieuses et plus complexes qui sont venues quelques années plus tard ont rendu mon travail un peu moins drôle et moins fluide. J’ai pu à nouveau faire de la comédie domestique, de l’humour peau de banane, utiliser des onomatopées comiques [1] . » Il semble donc que Lynn Johnston, que l’on surnomme « la grande dame de la BD canadienne », ait réussi son pari.
L’anthologie Something Old, Something New fait 404 pages. Celle-ci est disponible au Canada et aux États-Unis, et devrait également être distribuée en Europe en version originale anglaise. Quelques albums de la série For Better or For Worse ont été traduits en français et publiés en France chez Vents d’Ouest, sous le titre Family Life. For Better or For Worse est souvent désigné comme étant « le strip canadien ayant connu le grand succès de tous les temps ». Grâce à celui-ci, Johnston a remporté, en 1985, le prestigieux Reuben Award, remis annuellement par la National Cartoonist Society, aux États-Unis.
(par Marianne St-Jacques)
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Lire notre interview avec Lynn Johnston
Lire notre article « Au cœur du strip »
Le site officiel de For Better or For Worse (en anglais seulement)
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[1] « Well, I think I succeeded in making things better. I certainly had fun. Trying to draw the way I did back then was a challenge I enjoyed. It was fun to play with kids and the dog and slapstick adults. The serious story lines of the later years had made my work less fluid and less funny, and now I was drawing pratfalls, writing goofy sound effects, and doing domestic comedy again. » Traduction libre.
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