Interviews

Dufaux & Jamar : « Pas question d’écrire un récit didactique sur Napoléon »

Par Nicolas Anspach Martin Grillard le 25 octobre 2004                      Lien  
{{Martin Jamar}} fait partie de ces auteurs discrets qui ont un talent inné. Après une licence universitaire en droit, il n'a pas hésité à assouvir sa passion. Il s'est logiquement tourné vers la bande dessinée, et s'est forgé son propre style graphique sans s'inspirer d'autres auteurs. Autodidacte donc, mais aussi volontaire. Après avoir signé avec {{Jean Dufaux}} la surprenante série {Les Voleurs d'Empire} (chez Glénat), il nous revient enfin avec son complice. Dufaux et Jamar réinventent une fois de plus l'Histoire, et plus particulièrement celle de Bonaparte !

Vous avez terminé de dessiner le dernier album des Voleurs d’Empire en 2002. Vous semblez vous être accordé une grande pause entre cette série et Double Masque...

Martin Jamar : Le temps minimum, plutôt ! Histoire de ne pas y laisser ma santé. Je me suis arrêté quelques semaines. Puis j’ai rapidement entamé Double Masque. Nous avions ce projet dans nos cartons depuis quelques années.
Dès le quatrième ou cinquième Voleurs d’Empire, nous savions que nous allions faire quelque chose ensemble après cette série. L’idée du Premier Empire et de Napoléon s’est imposée à ce moment-là.

Vous avez travaillé deux ans au dessin de ce premier album...

MJ : J’ai passé environ dix-sept mois sur le dessin du premier tome. Et si l’album sort seulement maintenant, c’est parce que l’éditeur a souhaité rapprocher la parution des deux premier albums...

Donc le tome 2 est prévu pour...

MJ : Il est terminé ! Je ne me suis pas tourné les pouces (rires). Il doit sortir en février ou mars 2005. Bertrand Denoulet peaufine actuellement les couleurs... Je viens d’attaquer le troisième, et nous espérons le sortir fin 2005.

Combien d’album avez-vous planifiés pour cette série ?

MJ : Aussi longtemps que nous aurons envie de continuer ! Nous souhaitons consacrer un album ou un diptyque par année du règne de Napoléon.
Les deux premiers tomes forment un cycle traitant de l’année 1802. Le tome 3 sera une histoire complète qui se déroulera en 1803. 1804, si je me souviens bien, est l’année du sacre... donc nous aurons bien besoin de deux tomes... Nous pourrions facilement arriver, à ce rythme jusqu’en 1815, et peut-être traiter de la période « Saint Hélène ».

Dufaux & Jamar : « Pas question d'écrire un récit didactique sur Napoléon »
Double Masque
La Rencontre entre Napoléon & La Torpille.

La série Double Masque aurait pu avoir sa place dans la collection Vécu de Glénat, pourquoi avoir changé d’éditeur ?

MJ : Nous étions moyennement contents de l’attitude de l’éditeur vis-à-vis de notre série. Glénat a une politique qui consiste à sortir beaucoup d’albums en faisant un minimum de promotion. Ensuite, ils attendent de voir ceux qui sortent du lot, pour investir dans ceux-là.
Les auteurs ont l’impression que les albums sont un peu livrés à eux-mêmes. Nous nous sommes dit que les Voleurs d’Empire auraient mérité un meilleur traitement. Cette série avait un potentiel commercial qui n’a pas été exploité comme il devait l’être !

Votre trait est plus épais, plus rond par rapport à celui de votre précédente série.

MJ : La raison est relativement simple : j’ai changé le format de mes planches. Je travaille sur un papier aux dimensions plus petites, mais avec les mêmes outils. La planche est moins réduite lors de la reproduction, et le trait paraît logiquement plus épais dans l’album.
J’ai également voulu retravailler mon trait. J’avais envie de l’accentuer. Dans les Voleurs d’Empire, je le trouvais un peu fluet. J’aime un trait un peu vigoureux, pas trop faiblard. Il est aussi plus rondouillet parce que j’ai envie d’aller vers un aspect un peu plus caricatural des personnages.

Double Masque
Ex-Libris pour la librairie Fantasmagories.

Votre graphisme dans Double Masque est donc plus léger...

MJ : Oui. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’ai décidé de réduire le format de la planche. Je me suis dit que ça allait être un moyen de m’empêcher de dessiner trop de détails, de m’obliger moi-même à simplifier.

Votre collaboration semble être harmonieuse avec Jean Dufaux. Quelles en sont les raisons ?

MJ : L’Histoire nous passionne tous les deux ! Avant de se lancer dans un projet, on en discute pour voir les intérêts de chacun. Il apprécie mon dessin, et connaissait mes albums précédents. Jean avait l’impression que j’avais les moyens de progresser. De mon côté, je connaissais plusieurs de ses séries, et spécialement Giacomo C. J’ai contacté Jean en lui disant que j’aimerais faire quelque chose avec lui. Il avait le projet des Voleurs d’Empire dans un de ses tiroirs...

Double Masque

Et pour Double Masque ?

MJ : L’idée vient un peu plus de moi. En tout cas concernant le choix de la période du Premier Empire et du Consulat. C’est une période que j’avais abordée à mes débuts (en 1985). J’avais commencé une série, François Julien, qui se situait à cette époque.
J’ai eu envie d’y revenir car c’est une série qui avait été un peu avortée. Ou du moins pas portée jusqu’à son terme.

Vous vous essayez à la technique de la peinture sur toile pour Double Masque...

MJ : Effectivement. Chacune des couvertures de Double Masque représentera le portrait d’un personnage. Je n’utilise pas de la peinture à l’huile, mais plutôt de l’acrylique. J’avais déjà réalisé quelques portraits de famille lorsque j’étais adolescent, mais tout cela remonte à des années ...

Martin Jamar, quelles sont vos sources documentaires ?

MJ : Les livres ! Ceux qui contiennent évidement un maximum d’iconographie. Mais j’aime également ceux qui ne contiennent pas d’illustrations : ils me permettent de me plonger dans l’ambiance de cette époque. On retrouve des descriptions de lieux fort intéressants dans les textes anciens...

Vous parvenez à retranscrire cela sur le papier ?

MJ : Oui. Je pense au bureau de Napoléon, aux Tuileries. Nous le représentons dans Double Masque. Cette partie du bâtiment n’existe plus. Je me suis basé sur un texte, puis ai miraculeusement déniché un dessin le représentant...

Fouché


Pourquoi avoir ouvert et fermé le récit avec des planches ne représentant qu’un seul dessin ?

MJ : Jean Dufaux l’a fait pour bien introduire le lecteur à la fois dans l’ambiance du récit, ainsi que dans le contexte historique. Ces deux planches se répondent l’une à l’autre. Et puis il y a cette troisième grande planche qui décrit les jardins du Palais Royal.
Jean adore l’Histoire et, d’une manière générale, la culture. Il ne s’agit donc pas de faire un album didactique, mais de communiquer ses goûts. D’ailleurs, toute cette histoire est un mélange de petites histoires et de l’Histoire avec un grand H.

On peut même se demander si Napoléon n’est pas le personnage principal du récit, au détriment de la Torpille...

Jean Dufaux : Cette série contient incontestablement une part de fantastique. Le passé historique de Napoléon s’entremêle dans le récit. Dans Double Masque, nous le découvrons au début de sa carrière. Bien avant que son mythe ne s’édifie. Par ailleurs, nous avons donné vie à des personnages issus de notre imaginaire. Leurs histoires se chevauchent, se percutent parfois et font surtout la gaieté de la série. Il était hors de question d’écrire une histoire didactique sur la vie du futur Empereur... Trois niveaux de lecture s’offrent au lecteur de Double Masque

Les éléments fantastiques ne sont finalement guère présent dans le premier album...

JD : Effectivement. Il y a une légère veine fantastique qui va parcourir le récit. Le livre s’ouvre par une séquence de ce type. Et puis, il y a le destin qui est symbolisé par Fer Blanc.

Qui est ce personnage ? Un Manipulateur ?

JD : Non ! C’est tout simplement le destin. Nous pourrions le comparer au personnage incarné par Pierre Renoir dans Les Enfants du Paradis. Fer Blanc apparaît pour mettre de l’ordre dans le destin du personnage. Il a également un passé, que nous ne dévoilerons pas pour le moment...

Le petit Charles semble être vieux pour ses douze ans, non ? C’est une prémonition quant à son avenir ?

MJ : C’est possible. C’est vrai qu’il a l’air un peu marqué. On sent que c’est un enfant sur lequel pèse quelque chose d’un peu particulier. Le fait qu’il n’arrive pas à détacher le masque de son visage, c’est le symbole d’un destin qui lui colle à la peau. Il est conditionné par son destin.

Ce destin qui colle à la peau, c’est quelque chose en quoi vous croyez ?

MJ : Jean y croit, c’est certain. Moi je pense que le destin est un mélange de volonté et de détermination. Il y a des choses qu’on a en soi dès la naissance et qui font qu’on est l’individu qu’on est. Par exemple, je crois que si je suis devenu dessinateur, c’est que j’étais plus fait pour ça que pour devenir avocat.
Mes parents s’imaginaient que j’allais devenir avocat parce que c’était une tradition dans la famille. Mais, je ne me voyais absolument pas au barreau. Je préférais dessiner. Après avoir décroché un diplôme universitaire en Droit, je me suis donc orienté vers le dessin. Je suis autodidacte...

La Torpille, à travers sa démesure, me fait penser à Giacomo C...

JD : Ils se ressemblent effectivement. La Torpille est un jeune homme qui se glisse très facilement dans les différentes couches de la société. Sa moralité est élastique, et c’est un joyeux compagnon. Il fait partie de ces personnages qui sont un petit peu solaires dans mon travail : ceux qui courent après le temps, l’argent, les femmes.
Ce sont, dès le départ, des personnages éminemment sympathiques, afin de faciliter l’identification du lecteur à ceux-ci. Ces héros ont bon caractère. Ils aiment la vie et parviennent à ruser avec l’histoire pour se sortir d’un mauvais pas.
Pour ma part, même si je m’identifie totalement à eux, je serais beaucoup plus maladroit pour me sortir de tels ennuis !

La Torpille est aussi un vecteur d’humour. Je songe à la fameuse scène où il vole la bourse de la personne qui l’a introduit dans la demeure de Napoléon.

JD : L’humour est une composante de la vie. Mais il y a des intrigues qui ne se prêtent pas à l’humour, car le sujet est tragique. Murena, par exemple. Comment imaginer insuffler tant de gaieté dans un tel destin familial tourné vers la tragédie ?
Giacomo C, Double Masque ou les Rochester sont des sujets où les portes débouchant sur l’humour peuvent être poussées et ouvertes. C’est passionnant car cela permet un tempo très différent : le découpage fonctionnera plutôt autour du dialogue. Ce sont des scènes qui sont moins évidentes pour le dessinateur, car le dessin se doit d’être au service du scénario.

Certains scénaristes réalistes ont énormément de mal à écrire des scènes d’humour...

JD : Le troisième tome s’ouvrira avec de l’humour. C’est un « timing » que j’aborde sans trop de problème. Je vous l’ai déjà dit : c’est une question de tempo. Le rythme des conversations doit être rapide, pour que le dessin donne l’impression de filer sous un dialogue. À ce moment-là, les héros, figés dans le dessin, deviennent des personnages de théâtre. Puis, on revient au cinéma car on replace les caméras autour des personnages pour des scènes d’action. J’aime beaucoup alterner ces scènes car cela offre une respiration fort naturelle au récit.

Est-ce que Charles et la Torpille vont parvenir à avoir un destin un peu moins sombre que celui des personnages des Voleurs d’Empire ?

MJ : C’est une des premières choses que j’ai dites à Jean quand nous avons commencé à parler de l’après Voleurs d’Empire. Je voulais une histoire qui soit plus légère, plus gaie. Il y avait des choses extrêmement dures dans la série précédente. Par exemple, quand je repense à cette case d’un bébé mort dans son berceau, je me dis que c’est vraiment horrible.
Au moment même, j’étais dans l’histoire et ça me semblait logique, mais aujourd’hui je n’ai pas du tout envie de me complaire dans ce genre d’ambiance. J’avais vraiment envie que Jean m’écrive une histoire différente au niveau du ton. Et j’ai le sentiment qu’il se débrouille bien. Dans Double Masque, on a des scènes truculentes, des scènes de comédies...

Pourquoi la série s’appelle-t-elle Double Masque ?

JD : Deux masques. Deux personnalités. Deux sens à l’histoire. L’histoire de la lumière, des abeilles. L’histoire de l’ombre, des fourmis.

(par Nicolas Anspach)

(par Martin Grillard)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Lire une critique

Images (c) Jamar, Dufaux & Dargaud.

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Nicolas Anspach,Martin Grillard  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Agenda BD  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD