Jean Dufaux, c’est d’abord un style, un rythme, une voix. Une voix off qui ouvre le récit, une voix de conteur qui sait profiter de la pénombre et du jeu dansant des flammes pour mettre ses héros et ses lieux en valeur. Ils portent des noms aux résonances ancestrales : Walta, Halgerr, Valgar, Thorgerr, Astridr... ou encore Txlaka, Oczu, Tenochtitlan... Ce sont des rocs au milieu desquels s’insinue un récit capable de chanter comme un ruisseau ou de vrombir comme un torrent.
Car Dufaux impose son rythme, balade le lecteur d’un point de vue à l’autre, d’un lieu à l’autre, d’un personnage à l’autre, dans une fluidité sans heurt, avec une science consommée. Il suffit de comparer les deux albums qui sortent presque concomitamment en librairie : Conquistador, un diptyque dessiné par Philippe Xavier qu’il signe pour Glénat, s’articule sur les souvenirs d’un survivant mais dont le point de vue s’étend bien au-delà de celui du témoin. L’artifice fonctionne à merveille.
Si dans cet album, nous sommes dans le Mexique de Cortès, dans Saga Valta, une nouvelle série dessinée par Mohamed Aouamri pour le Lombard, nous sommes dans la légende nordique. Le conteur ne se dissimule pas : "Maintenant, la Saga nous mène vers la côte sud de l’Île..."
Dufaux, c’est une langue emprunte d’un lyrisme désuet, qui nous emmène dans un registre fantastique dont la Belgique a quelque peu le secret : souvenons de Jean Ray, de Thomas Owen, de Michel de Ghelderode et même d’Henri Vernes. La méthode de travail du scénariste est souvent la même : il exige de son dessinateur de lui montrer ses pages au fur et à mesure. Il adapte alors son récit au vibrato du dessin qui s’offre à lui.
Ce dessin, parlons-en. Philippe Xavier, le dessinateur de Conquistador, a la "touche américaine", il va à l’essentiel. Son héros a la gueule carrée et ses femmes sont ravissantes. Nous ne sommes pas dans un réalisme vériste "à la belge", ce qui ne l’empêche pas de s’attarder avec talent sur les entrelacs d’un casque, sur le détail de la crosse d’un pistolet ou sur le dessin d’un bijou. Les couleurs de Jean-Jacques Chagnaud font le reste. Le lecteur est happé par son atmosphère.
Mohamed Aouamri s’inscrit dans la tradition des Giraud et des Rosinski. Mais le dessinateur de la nouvelle Quête de l’Oiseau du temps n’est pas dans la position d’un élève ou d’un suiveur : il est leur égal. Il faut regarder de près ces planches, en particulier dans leur version noir et blanc qui paraît en même temps que l’édition régulière au Lombard : le jeu des lumières, la vigueur du trait, cette clarté entre les avant-plans et les arrière-plans, la sûreté des angles de vue, la justesse des visages et des anatomies, nous sommes face à un des meilleurs dessinateurs réalistes du moment.
Avec un tel équipage, Dufaux peut voir venir. Il peut conquérir une bonne part des larges territoires de nos lectures.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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