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Dupuis : La mise à pied de Claude Gendrot provoque la grève

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 17 mars 2006                      Lien  
Après son directeur général, Dimitri Kennes, démissionnaire, c'est au tour de Claude Gendrot, le directeur éditorial des éditions Dupuis, de prendre la porte. Il a été licencié ce matin en même temps qu'Alain Flamion, le responsable logistique, distribution et informatique de chez Dupuis. Le personnel a aussitôt voté la grève jusque lundi.

Tout avait commencé par un coup de poker : démissionnaire depuis 24 heures, Dimitri Kennes faisait savoir que les propositions qu’il avait faites à Média-Participations, dont un Management Buy Out (MBO), en d’autres mots un rachat de la société par ses cadres, avait été refusées par celle-ci et avait justifié sa démission. Hors de l’entreprise, Dimitri Kennes a réitéré son offre, pour un prix de 102 millions d’euros, soit le montant payé par Média-Participations il y a deux ans, lors du rachat de Dupuis à la CNP d’Albert Frère. Les dirigeants de Média-Participations lui opposèrent une nouvelle fois un refus ferme et définitif. Les deux parties se sont exprimées sur ces choses dans nos pages.

Deux jours plus tard, la fronde s’amplifie. Dans un premier temps, quelques auteurs affichent sur notre site leur attachement à Claude Gendrot et leur solidarité avec Dimitri Kennes qui affirme avoir derrière lui tous les cadres de l’entreprise, sauf un. Une lettre ouverte de 112 auteurs que nous avons publiée hier est ensuite adressée à Claude de Saint-Vincent.

Salon du Livre de Paris

Hier soir, à l’inauguration du Salon du Livre de Paris, l’ambiance était à la mobilisation sous l’œil goguenard des concurrents de Dupuis. Tout le staff éditorial (belge) du Lombard était présent dans le stand Dupuis, de même que Vincent Montagne, le Président Directeur Général de Média-Participations. Le ton des responsables éditoriaux était à l’appel au calme. « Jamais Média-Participations n’a interféré dans mon travail éditorial », affirmait Yves Schlirf. Même discours du côté d’Yves Sente. Quelques auteurs, vieux routiers parfois publiés dans les deux maisons, déploraient cette affaire qui, selon eux, « n’apportera rien ». D’autres auteurs plus jeunes, le plus souvent publiés dans la collection Aire Libre, affirmaient à qui voulait l’entendre que leur soutien à Claude Gendrot était entier et déterminé.

Claude de Saint-Vincent était absent de cet important rendez-vous éditorial. Resté à Marcinelle, il organise la contre-offensive, multipliant les interviews dans la presse belge et étrangère, soulignant l’absurdité de la proposition de Dimitri Kennes, puisque « Dupuis n’est pas à vendre », tandis que le discours se fait plus incisif à l’endroit du meneur de la révolte. « Média se sent trahi, nous dit l’un des responsables du Lombard. Média faisait une totale confiance à Dimitri. C’est un peu comme si on lui avait filé les clefs de la Porsche et qu’il s’était barré avec ! » Un auteur du Lombard nous dit : « Là, ils vont obtenir le contraire de ce qu’ils veulent. Après ce que leur a fait Dimitri, ils vont tout verrouiller. » Vincent Montagne, quant à lui, se veut rassurant, pense qu’il est encore possible de revenir à une situation plus apaisée, plaide la bonne foi de Média-Participations. Étonnant : Claude Gendrot est là, perpétuellement pendu à son portable. Ses propos sont très diplomatiques. On le voit même discuter avec Vincent Montagne. Les deux hommes n’ont pas l’air de s’engueuler. Dans le stand Dargaud, responsables éditoriaux et auteurs nagent entre deux eaux. La génération Poisson-Pilote évite tout commentaire. L’heure est à la prudence.

Dupuis : La mise à pied de Claude Gendrot provoque la grève
Claude Gendrot & Vincent Montagne
hier soir au Salon du Livre. Photo : Laurent Boileau

Claude Gendrot et Alain Flamion licenciés « pour faute grave »

« Ce matin, raconte Hugues de Caluwet au journal de 13 heures de la Radio Télévision belge, le directeur éditorial de Dupuis, Claude Gendrot, a été licencié. » Claude Gendrot le confirme dans une interview auprès de la radio nationale belge. Il est licencié en même temps qu’Alain Flamion, le responsable logistique, distribution et informatique de chez Dupuis, « pour faute grave » nous dit l’édition du midi du quotidien belge La Libre Belgique. Aussitôt, le syndicat SETCA décide une grève immédiate jusque lundi prochain. Son représentant principal, M. Joël Marit, fait lui aussi une déclaration sur les ondes et exige la réintégration des deux dirigeants.

Il est clair donc que, face à la crise, Claude de Saint-Vincent a décidé d’agir radicalement. En décapitant les deux principales têtes de l’entreprise, il sanctionne une position ambiguë : celle, d’une part, de soutenir le raid de Dimitri Kennes sur Dupuis et, d’autre part, de continuer à être l’employé de Média-Participations, donc aux ordres de son directeur général adjoint. Claude de Saint-Vincent est venu à Marcinelle pour évaluer quels éléments de l’entreprise étaient encore gouvernables, en l’absence du DG démissionnaire. Il a choisi la manière forte. Pour l’exemple ? L’épreuve de force continue. On est certain désormais qu’il n’y aura pas de vainqueur et que cette affaire laissera des blessures.

Claude Gendrot, hier
lors du salon du Livre de Paris. Photo : D. Pasamonik.

Un éditeur charismatique

Car Claude Gendrot était présent depuis dix-sept ans chez Dupuis. Certains auteurs lui doivent toute leur carrière. Après avoir été rédacteur-en-chef de l’hebdomadaire Pif Gadget, puis du mensuel Métal Hurlant en même temps qu’éditeur des Humanoïdes Associés aux côtés de Bruno Lecigne, Claude Gendrot avait rejoint les éditions Dupuis en 1987 où il a été l’adjoint de Philippe Vandooren, directeur éditorial, jusqu’au décès brutal de ce dernier en l’an 2000. Il assumait depuis le poste de celui qu’il considérait comme son mentor. Chapeautant une équipe d’éditeurs, ce Français qui était parti vivre en Belgique, continuait à diriger personnellement la collection « Aire Libre » qu’il avait contribué à développer.

Son principal apport aux éditions Dupuis a été d’avoir su gommer, au fil des ans, l’image "jeunesse" qui collait à la peau de l’éditeur de Marcinelle, accueillant dans son catalogue des auteurs aussi différents que Gibrat, Blain, David B. ou Baudoin, sans pour autant renier les canons traditionnels de l’humour et de l’aventure.

Son limogeage intervient quelques jours après la démission de Dimitri Kennes, l’ancien directeur général de Dupuis. Claude Gendrot nous disait récemment : « Je partage beaucoup de choses avec Dimitri Kennes. Nous avons la même philosophie éditoriale et la même conception du métier d’éditeur ». Ce signe clair d’allégeance explique sans doute pourquoi Média-Participations a décidé de se séparer de son éditeur.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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(En collaboration avec Nicolas Anspach et Laurent Boileau). En médaillon : Claude Gendrot. Photo : Nicolas Anspach.

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10 Messages :
  • > Dupuis : La mise à pied de Claude Gendrot provoque la grève
    17 mars 2006 20:13, par moi, média participation, je respecte moyen

    Toute cette afaire est bien triste, car Dupuis est une maison d’édition formidable, et les collections Aire Libre, Expresso et Repérage sont parmis les plus intéressantes de la BD.
    On avait déjà constater le premier effet : agmentation des prix des albums, est alignement parfait sur ceux de Dargaud/Lombard. La médiaparticipationtouch ?

    En espérant que médiaparticipation ne coule pas ce fleuron de la BD qu’est Aire Libre.
    Parce que’en face, y’a rien... Long courrier, Signé ???

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    • Répondu par eric liberge le 18 mars 2006 à  11:59 :

      Les amis,
      Alors que le scénario implacable se déroule sous nos yeux incrédules : la mise à pied de Claude Gendrot, chaque auteur Dupuis commence à carresser l’opinel qu’il tient dans sa poche. mais ne déplions pas les lames. Pas encore.

      Certains appellent à la grêve des auteurs, d’autres au retrait de leurs projets du catalogue "media-participation". Je crois qu’il faut nuancer ces 2 positions extrêmes et se dire que quoi qu’il arrive, les financiers de Média n’en ont strictement rien à faire. Un projet perdu, et dix autres sont immédiatement sur la ligne. Un financier ne voit que les chiffres. BD, yaourts ou confiture, pour eux, il s’agit de vendre. Donc je crois que ces menaces ne les impressionneront pas du tout, et nous plongeront nous dans une merde noire.

      Et à terme (tout de même assez rapidement), si elle persiste dans ce sens, Media-Participation verra forcément les auteurs Dupuis partir ailleurs, et en premier les plus "bankable" d’entre nous, en quête d’un lien de confiance chez un autre éditeur digne de ce nom (y en a-t’il ?...). Il y aura forcément du mouvement, une hémorragie comme on dit. Il faut que la poussière retombe. Pour l’instant, nous n’avons aucune donne fiable dans ce paysage de tremblement de terre.

      Chacun tient à l’oeuvre qu’il édifie, et cette oeuvre est évidement liée à une maison. Nous entretenons déjà tout cet esprit à travers notre travail. A nous de le faire perdurer, quel que soit le paysage des éditeurs. Je souhaite de tout coeur la continuité avec Dimitri et Claude. c’est mon voeu de plus cher. Mais bossons, pendant que la poussière retombe. Et faisons confiance au déroulement des choses. Le temps ou nous ferons du manga à la chaine en atelier n’est pas encore venu les amis. pensez-y ! C’est par la continuité du travail qui donne l’énergie. Nos albums sont là pour défendre notre maison, alors faisons les !

      Je ne choisirai jamais de me mettre en grêve sur mon travail. Par contre, je choisirai toujours et en connaissance de cause A QUI je confierai sa publication. Pour ma part, c’est Dupuis, avec Claude et Dimitri.
      Courage et portez-vous bien.
      E. LIBERGE

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      • Répondu le 18 mars 2006 à  16:09 :

        Cher Éric,

        Je n’ai pas de certitudes absolues sur la position à tenir dans ce conflit . Quel engagement pertinent et efficace peut avoir un auteur ?

        Je n’ai pas de certitudes, mais j’ai quand même des idées sur la question.

        Tu l’as dit, il ya beaucoup de débats en ce moment : que les auteurs parlent entre eux, en étant réactifs aux évenements, sans oublier les salariés de Dupuis ( qui eux aussi j’imagine ont des point de vue très "variés" sur ce qui se passe dans leur entreprise).

        Si des positions et actions communes sont prises, quelles qu’elles soient, elles auront de la force (et je ne préjuge pas de l’issue des débats).

        Mais je ne crois pas que ce forum, public, lu par tous y compris les actionnaires de Média, soit le meilleur endroit pour afficher nos différences (pour ou contre la grève des auteurs, soutien ou pas soutien aux salariés etc...).

        je t’embrasse

        cyril

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        • Répondu par eric liberge le 18 mars 2006 à  19:45 :

          Hello Cyril !

          j’espère que tu tiens le choc dans cette crise. Comme on disait au Goinfre, ce n’est "hélas que de la BD avec un dessin dans chaque case", et voilà ou on en est. Je crois qu’au final, c’est le poids des chiffres qui pèsera. Si nos collègues auteurs les plus "bankable" (comme on dit des acteurs dans le cinéma) de Dupuis, c’est à dire les plus grosses ventes, restent à nos côtés jusqu’au bout dans cette crise, la revendication conservera toute son importance. C’est tout ce que je souhaite. Pour l’heure, je continue à avancer sur mes projets, plus ils seront "concrets" et plus je sentirai la BD que nous défendons... exister au moins pour moi !
          Bises et courage !
          E.

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      • Répondu par cyril Pedrosa le 19 mars 2006 à  09:43 :

        Cher Éric

        J’ai essayé de te répondre dans un précedent post, mais j’ai du faire une mauvaise manip quelque part....

        Je n’ai pas de certitudes absolues et définitives sur l’attitude à avoir dans ce conflit : quelles sont les actions les plus efficaces à mener de notre place d’auteur ?
        À défaut de certitudes, j’ai quand même quelques idées sur la question. Nous avons des débats entre nous, ce serait une sacré langue de bois de prétendre que nous sommes tous d’accord .

        Mais ce forum est public, lu par tous, y compris les actionnaires de Média...

        Tu remarqueras que ces dits actionnaires discutent assez peu sur les forum pour savoir quelle doit être la stratégie de leur groupe.

        Je me dis qu’on a peut-être intérêt à nous aussi garder nos différences ( elles sont légitimes, bien sûr) pour nos débats entre nous ( soutien aux grévistes ou pas, aux cadres licenciés, grève des auteurs ou pas, soutien de la MBO ou pas etc...) et à communiquer sur un front uni...

        je t’embrasse

        cyril

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        • Répondu par eric liberge le 19 mars 2006 à  19:27 :

          Ah là là, si Mr claude de St Vincent avait vu le beau film de Ridley Scott, il aurait peut être hésité avant de faire tomber les têtes de nos chers éditeurs. Et cela va peut-être continuer. Commode, lui, avait compris qu’en tuant Maximus, il risquait d’en faire un martyre et de retourner toute la plèbe contre lui. CSV n’en a eu cure. Erreur monumentale. Sabrer Claude, c’est nous frapper en plein coeur. Mais nous ne sommes pas encore morts. Ce coup de fouet sonne d’ailleurs un formidable "debout les morts" ! Quant à Machiavel, CSV peut lire "Le Prince", et méditer sur la manière de savoir s’entourer pour règner.
          Voilà les amis. Bien à vous et avec vous demain par l’esprit. Courage.
          EL

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    • Répondu par skymarshal le 18 mars 2006 à  21:29 :

      C’est vrais ! depuis le "raprochement" Dupuis/dargaud/lombard les prix se sont harmoniser...à la hausse ! Mais aussi la qualité du papier, du cartonnage, de la reluire...à la baisse !

      Pour le première fois j’ai vu des albums "Repérage" avec des couv gondolées, ou encore des pages ondulées (the PPO Graphic quality ?) !

      Ok, faites ça sur les albums dargaud, mais PAS sur les albums Dupuis svp !

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  • hélas !
    18 mars 2006 02:15, par bédéphile

    d’accord avec vous, le rachat n’a produit pour les lecteurs aucun bon effet ; tout ça est navrant...

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  • Communiqué de presse

    de Philippe Decloux, Echevin du Tourisme de la Ville de Bruxelles et Vice-Président de l’asbl Bruxelles-BD
    À propos de la grève du personnel de la maison d’édition Dupuis

    Cosignataires :
    Henri Simons, Premier Echevin de la Ville Bruxelles, en charge de la Culture
    Bruno De Lille, Echevin de la Ville de Bruxelles et administrateur de Bruxelles-BD

    Les événements qui agitent les éditions Dupuis après la démission de son Directeur Général, ainsi que la grève du personnel annoncée aujourd’hui, suscitent à nouveau l’inquiétude des acteurs culturels. A nouveau, la logique économique menace l’indépendance éditoriale et la créativité artistique, jusqu’à coûter le licenciement pour faute grave de Claude Gendrot (Directeur Editorial) et d’Alain Flamion (Directeur de la Distribution), alors que hier encore, la maison-mère Média-Participations avait certifié qu’aucune perte d’emploi n’était prévue.

    Dupuis représente une marque prestigieuse et hautement importante de l’édition belge. C’est aussi le lieu d’expression d’une créativité propre à notre pays, qui contribue à diffuser dans le monde entier une image novatrice de la Bande Dessinée belge. Dans cette optique, la liberté éditoriale de Dupuis doit absolument être garantie face aux décideurs financiers. La liberté créatrice des auteurs ne peut souffrir aucune limitation autre que celle imposée par le respect de la dignité humaine.

    Indépendamment de savoir quel est le mode de gestion idéal de la maison d’édition et si elle doit être rachetée ou non par ses employés, nous soutenons les revendications du personnel en grève et des auteurs de Dupuis concernant le maintien d’une indépendance éditoriale totale et le réintégrement immédiat des deux directeurs licenciés.

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    • Répondu par un lecteur le 18 mars 2006 à  21:22 :

      En tant que lecteur de BD, moi aussi je soutient "les revendications du personnel en grève et des auteurs de Dupuis concernant le maintien d’une indépendance éditoriale totale et le réintégrement immédiat des deux directeurs licenciés".

      J’ai beau être français, je préférais Dupuis Belge !

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