On croyait que les sorties scandaleuses de Lewis Trondheim en 2006 sur les journalistes et sur Michel-Édouard Leclerc faisaient partie du passé. L’année dernière, en effet, José Munoz avait réconcilié toute la bande dessinée autour d’un festival plutôt réussi. Il semble que ce ne soit malheureusement pas le cas cette année. Nous nous félicitions de leur nomination mais, en faisant aujourd’hui leur première conférence de presse à Angoulême, les co-présidents Philippe Dupuy et Charles Berberian semblent repartis dans un discours polémique, d’autant plus navrant qu’il met en cause Henri Filippini, éditeur historique des éditions Glénat.
Rapportée par Armel Le Ny dans La Charente Libre datée du 21 mai 2008, l’intervention des co-présidents 2008 se faisait sur le mode enjoué, comparant le statut de « Grand Prix » à celui du « Label rouge » sur les poulets, « ou presque ». Ils approuvent plutôt la méthode de sélection des 50 nominés d’Angoulême, soulignant la nécessité pour le Festival de donner une visibilité à son palmarès en temps de surproduction. Ils se montrent limite méprisants vis-à-vis des chasseurs de dédicaces, « en tout cas leur côté fétichiste un peu triste », mais s’en accommodent finalement, non sans insister sur le fait que le Festival, « c’est autre chose » : les concerts de dessin, les rencontres internationales, les master-classes…
C’est en revanche sur le chapitre des éditeurs « qui n’ont pas lu les BD qu’ils publient » (de qui parlent-ils ? De Dupuis ? De Fluide Glacial ? Des Humanoïdes Associés ?) qu’ils se montrent le plus incisifs : « Tout ce qui les intéresse, c’est d’occuper le terrain, disent-ils.Ils font énormément de tort à la BD. » Et ils citent un nom, un seul : Henri Filippini, l’éditeur historique des éditions Glénat, l’homme qui lança François Bourgeon, André Juillard, Laurent Vicomte et bien d’autres auteurs dans les années 1970-1990 :
« Il a noyé un tas de copains dans des rivières de merde, disent-ils. À cause de types comme ça, on a cru au début des années 90 que la BD était morte. Les librairies spécialisées vendaient plus de chaussettes et de cravates que d’albums. On pourrait d’ailleurs créer un prix Filippini pour l’éditeur le plus pourri. Mais ce ne serait pas un prix, ce serait une corde. »
Même si ces propos ont pu être dits sur le ton de la plaisanterie, ils sont scandaleux. Filippini et Glénat ont contribué à populariser la bande dessinée adulte à partir des années 1970. Collaborateur de la revue Phénix, l’une des premières revues spécialisées en bande dessinée dès les années soixante, Filippini a été de tous les combats pour défendre le 9ème Art : animateur de revues spécialisées (Les Cahiers de la bande dessinée…), auteur d’encyclopédies (notamment l’Encyclopédie Bordas de la BD), il entre chez Glénat en 1974, créant les magazines Gomme et Vécu, contribuant à la découverte d’auteurs comme François Bourgeon, André Juillard, François Dermaut, Bernard Yslaire, Pierre Makyo, Laurent Vicomte, Patrick Cothias, Adamov, Jean-Charles Kraehn, Frank Giroud..., excusez du peu ! Il est toujours aujourd’hui l’un des responsables éditoriaux des Éditions Glénat. Scénariste, journaliste (il anime encore aujourd’hui un éditorial mensuel dans dBD), historien de la BD, il est une des figures incontournables de la profession. Sincèrement, il ne méritait pas des propos aussi venimeux.
Nous espérons que le président bicéphale contestera d’avoir jamais tenu des propos aussi irresponsables s’il ne veut pas que notre profession finisse dans une bataille rangée. En ce qui nous concerne, nous saluons Henri Filippini pour son formidable travail et nous lui exprimons notre soutien.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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En médaillon : Dupuy et Berberian le jour de leur élection. Photo : Nicolas Anspach.
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