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Duval : " Je n’ai pas envie de faire les bouquins que les lecteurs attendent"

Par Laurent Boileau le 10 décembre 2005                      Lien  
2005, l'année des 10 ans de Série B, s'achève avec la parution quasi simultanée des derniers Travis et Carmen Mac Callum. À cette occasion, le scénariste Fred Duval évoque ses derniers albums en compagnie du dessinateur de Travis, Christophe Quet.

Vous êtes un des 3 principaux scénaristes de Série B, quel bilan tirez-vous de ces 10 années ?

F. Duval : Personnellement, le bilan de 10 années de Série B, c’est d’avoir réussi à allier qualité et popularité. On peut avoir la meilleure des volontés et faire de magnifiques bouquins, la véritable récompense c’est de trouver un public. Nous partions de l’héritage d’auteurs comme Charlier ou Greg, mais il n’était pas question d’envisager Série B comme quelque chose de nostalgique mais plutôt d’aborder ce type de scénarios avec les thèmes d’aujourd’hui.

Pourquoi avoir créé deux héros (Carmen et Travis) différents dans un même univers ?

Duval : " Je n'ai pas envie de faire les bouquins que les lecteurs attendent"
Carmen, la mercenaire
© Gess/Duval/Delcourt

F. Duval : Carmen est une mercenaire très active dans le monde dans lequel elle évolue et j’avais envie d’avoir un second point de vue sur l’univers. Et le point de vue de quelqu’un qui était victime. Le thème principal de Carmen et Travis, c’est la main mise des entreprises privées sur l’économie et le monde politique. J’avais besoin d’un personnage au service de la "machine" et d’un autre victime de cette "machine".

Et pour les spin-off ?

F. Duval : Il y une grosse différence entre Carmen+Travis et Travis Karmatronics. Le premier répondait à la demande de Pavillon Rouge, l’ancien magazine des éditions Delcourt. Il y avait à la fois une volonté d’ouverture à de nouveaux auteurs en se donnant un cadre pour les tester, et même temps une volonté d’enrichir l’univers et de le préciser par petites touches. Mais là où le bât a blessé, c’est que, graphiquement, on était "un poil" trop gonflé. On a décontenancé le lectorat avec des graphismes moins classiques. Je ne m’attendais pas à des réactions aussi radicales... Travis Karmatronics était un projet important pour moi, pas du tout anecdotique. C’est un projet ambitieux où je me suis amusé à réfléchir sur le dessin de Fred Blanchard. Ça n’a pas rencontré un large public, mais ça m’est totalement indifférent. J’assume totalement. Je suis vraiment fier d’avoir fait ce bouquin et je le défendrais bec et ongle. C’est une histoire qui aurait pu s’insérer dans la série normale.

C’est peut-être un peu compliqué à déchiffrer ?

F. Duval : Moi je trouve que c’est assez simple à lire. Les gens ont peut-être du mal à passer le cap du dessin et des couleurs. C’est vrai que ce n’est pas classique et que ce n’est pas dans la ligne "Travis" ou "Carmen". Mais je n’ai pas envie de faire les bouquins que les lecteurs attendent. Tout de même, nous savions qu’on en vendrait un nombre limité... Nous avons eu des réactions très positives de personnes qui ne lisaient pas forcément Carmen et Travis. Et là, on rejoint bien ce que je recherchais : avoir un univers à plusieurs entrées. De toute façon, il est impossible que toutes les séries se vendent de la même manière, ça marche pas comme ça dans la vie ! Donc pour moi, ce n’est pas grave !

Travis Karmatronics
© Blanchard/Duval/Delcourt

Y aura-t-il une suite ?

F. Duval : C’est difficile de se lancer dans un album en le faisant que pour la gloire. Si ça ne prenait que 3 mois pour le faire, pourquoi pas ! Mais en l’occurrence, Fred Blanchard a bossé pendant deux ans et demi (il faut dire qu’il a d’autres activités). Quitte à ce qu’il fasse un bouquin en 2 ou 3 ans, peut-être faut-il mieux faire un autre one-shot...

C’est une mauvaise expérience ?

F. Duval : Il faudrait qu’on m’apporte la preuve que les expériences nuisent aux autres séries. Sur Travis, par exemple, on a amené un nouveau dessinateur en cours de cycle. Nous n’aurons pas de médaille à Angoulême pour ça, mais on s’en fout ! Nous ne le faisons pas pour nous faire remarquer mais parce que nous trouvons intelligent et intéressant de la faire.

le "très sérieux" Christophe Quet
© Laurent Boileau

Christophe, Fred Duval est-il un scénariste directif ?

C. Quet : Non. Il me donne un découpage précis. Mais, en fait, je prends beaucoup de libertés sur les séquences d’action. C’est ce qu’il y a de plus visuel en BD. Je cherche le meilleur angle, je joue avec le décor et les personnages, comme si j’étais le chorégraphe ou le cascadeur de la séquence. Les albums les plus sympas à dessiner sont les albums où ça bouge beaucoup. J’ai pris beaucoup de plaisir à dessiner les tomes 3 et 5.

Votre 3ème série de Série B, Hauteville House, est par contre assez différente de Carmen et Travis...

F. Duval : Dans la SF de type Carmen et Travis, il faut souvent expliquer les inventions, etc. Cela rajoute du texte au détriment de l’action. Dans Hauteville House, c’est différent car nous partons d’éléments et de références connus : le Western, le Mexique, Jules Verne, etc. Nous n’avons pas besoin d’expliquer comment une machine à charbon fonctionne pour que les gens comprennent qu’en faisant de la vapeur, on peut avoir de la pression, et que ça peut faire un aérofrein pour des mecs qui sautent en parachute ! Si sur un Travis, on a 30% de pages d’action, sur Hauteville House, je peux monter à 50-60% pour le même contenu ! J’ai juste les explications en moins. Tout cela donne un côté plus fluide aux histoires et me permet de passer plus de temps avec les personnages.

À vous entendre, vous prenez manifestement beaucoup de plaisir sur cette série...

F. Duval : C’est vachement jouissif à écrire. C’est une trame simple. Je n’aurais pas pu le faire il y a 10 ans. Quelque chose de très simple, c’est très compliqué à faire ! Avec Christophe (Quet), on arrive à une certaine fluidité parce qu’on a fait sept Travis ensemble. Quand nous faisons la mise en scène (découpage, dialogue, storyboard), nous avons toute l’expérience des Travis et du coup, nous ne gardons que "le muscle". Nous pouvons nous amuser à faire des mises en scène complexes. Derrière, on sait que le dessin classique de Thierry (Gioux) apportera le détail historique. C’est beaucoup de plaisir !

Extrait du Tome 2 de Hauteville House
© Gioux/Duval/Delcourt

C. Quet : Pour moi, c’est l’occasion de faire autre chose que de la SF pure et dure. Je n’ai pas besoin de créer du design vraisemblable puisque c’est Thierry qui le fait ! Je ne fais que le storyboard. Le plaisir de "boarder" et le plaisir de dessiner sont différents. C’est une série beaucoup plus "fun" que Travis car il y a un côté James Bond et western. Du coup, on aime bien faire un découpage assez incisif, assez cinétique.

Pourquoi n’avoir pas pris en charge le dessin ?

C. Quet : Moi j’ai plus une influence comics, manga et cinématographique. Thierry Gioux vient plutôt du "Glénat historique", donc avec une autre approche, une autre école. Il va plus penser au dessin dans la case qu’à l’interaction entre les cases. Fred voulait garder la marque de fabrique de Série B, c’est-à-dire ce côté cinéma dans la narration. Hauteville House, c’est un peu le mélange des deux écoles...

Sur le dernier cycle de Travis, vous abandonnez l’espace...

C. Quet : Dans le tome 4, les séquences dans l’espace sont un peu "claustro" à faire. Ce huit clos se passe entièrement dans une station orbitale. Il a fallu créer un espace et le maîtriser. Les personnages vont se mouvoir dans cet espace pendant 46 pages. Parfois, c’est un peu "prise de tête" pour la recherche d’axe narratif ! Il faut donc imaginer le décor en 3D car l’action risque de nous montrer l’envers... du décor. C’est de temps en temps oppressant. Je ne faisais que des cosmonautes qui se battaient dans les coursives de vaisseaux spatiaux ! Une fois terminé, on ressent le besoin de dessiner de la nature !

Extrait de Travis (tome 7)
© Quet/Duval/Delcourt

(par Laurent Boileau)

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Photo Duval © Olivier Roller/Delcourt

 
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