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EXCLUSIF ! Franck Bondoux (Festival International de la Bande Dessinée d’Angoulême) : " Ce qui est intéressant dans la médiation, c’est de bâtir un projet public-privé."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 2 avril 2016                      Lien  
Alors qu'un médiateur vient d'être nommé par la Ministre de la Culture, M. Jacques Renard, un énarque, ancien membre du cabinet de Jack Lang et grand défenseur des auteurs-interprètes, nous avons interrogé Franck Bondoux, patron de 9eArt+, la société qui gère le FIBD pour faire le point.

Quel est votre sentiment suite au communiqué des éditeurs de BD et à leur démarche conjointe avec les auteurs auprès du ministre de la culture pour demander une médiation à propos du Festival International de Bande Dessinée ?

Je pense qu’il y a une relation très compliquée entre ce festival et les éditeurs depuis presque 43 ans. Je pense que cette médiation du coup a un sens parce qu’elle permet de poser de façon utile les débats et j’en attends aussi qu’on définisse un peu mieux certaines règles du jeu.

Vous êtes donc pour la nomination d’un médiateur ?

Je suis favorable à une réflexion commune parce que de toute façon ce festival ne peut se faire qu’avec la profession. Maintenant, pour en revenir à ce communiqué, il y a des termes qui mériteraient d’être plus mesurés et j’y vois des contradictions absolument majeures. Il fait par exemple référence à un article de Livres-Hebdo qui dénonce globalement une organisation à la dérive. Or, dans son communiqué et dans l’éditorial de Fabrice Piault, il est dit qu’il y a là un très grand événement et qu’il est l’un des trois événements culturels qui rayonne le plus à l’international avec la FIAC et Cannes. Comment est-il possible que d’un côté, on ait une organisation qui n’est pas là depuis six mois, mais depuis plusieurs années, et qui soit aussi délétère, pour le dire gentiment, et que cet événement ait atteint ce niveau-là ? Je trouve qu’il y a là un problème dialectique, il y a quelque chose qui ne va pas.

EXCLUSIF ! Franck Bondoux (Festival International de la Bande Dessinée d'Angoulême) : " Ce qui est intéressant dans la médiation, c'est de bâtir un projet public-privé."
Frank Bondoux lors de l’inauguration du dernier FIBD

Cela ne nous semble pas très contradictoire. Un événement peut avoir pris de l’importance et rencontrer des difficultés à un moment.

Je suis depuis trente ans dans l’événementiel. Un événement ne grimpe pas tout seul, cela n’existe pas par la seule présence d’exposants.

Cela veut dire que votre action n’est pas critiquable, que l’on ne peut pas faire un bilan ?

Ce n’est pas ce que je dis. Je dis qu’il faut prendre du recul et regarder ce qui s’est passé depuis huit ans. On est passé de cinq expositions à une vingtaine, de deux spectacles vivants à une dizaine. De quelques rencontres d’auteurs à 100 ou 150. C’est cela que je dis. Et je pense que ce rayonnement, il est la résultante d’un travail sur plusieurs années. Cela ne se fait pas, tous les gens qui sont dans l’événementiel le savent, par l’opération du Saint-Esprit.

La réunion au ministère ne s’est pas faite qu’avec des éditeurs, il y avait aussi des représentants des auteurs. Comment expliquez-vous cela ?

Je crois qu’il est aussi dit dans le communiqué que le festival aurait trahi le 9e Art. Je remarque que tous les autocollants sont en place sur les livres primés. Il semblerait donc que le label "Angoulême" ait une véritable valeur. Je relève aujourd’hui que lorsque je vais au Salon du Livre [Livre Paris. NDLR], je vois que les stands, celui de Casterman et celui de Guy Delcourt dans l’artère principale, est décoré avec des livres agrandis sur lesquels il y a le logo d’Angoulême. Là aussi, j’y vois comme une contradiction. Je vois que dans son éditorial de la revue Planète [revue promotionnelle des éditions Delcourt. NDLR.], Guy Delcourt parle du festival. Pour lui, c’est un bon festival : le stand n’a pas désempli, les auteurs étaient contents. Il invite d’ailleurs les libraires -c’est une revue destinée à tous les libraires de France- à découvrir dans ce numéro de mars-avril, ceux qui, dans son catalogue de nouveautés, seront les pépites, les primés du festival... de 2017 !

Je pense aussi ce qui est à l’œuvre, c’est la complexité d’un événement culturel. Ce qui est complexe, c’est que, à notre sens, un événement culturel aujourd’hui est là pour mettre en avant les génies de la bande dessinée -Les Tardi, les Morris et les autres- et pour s’intéresser aux nouveaux talents. Dans la dernière décennie, ce festival a beaucoup mis en avant, promu, la nouvelle bande dessinée, les nouveaux formats, les Blain, les Satrapi, les Guibert, les Sattouf... Aujourd’hui, sur un plan artistique, on s’aperçoit que cette bande dessinée rencontre le grand public.

C’est une impulsion qui date d’avant votre arrivée... L’Association, c’est les années 2000, quand même...

Mais le festival a beaucoup fait ça, a beaucoup encouragé cet avènement.

Il aurait été une caisse de résonance quelle que soit la BD qui aurait émergé.

Il y a une ligne éditoriale dans ce festival. Benoît Mouchart, par exemple, a tenu une ligne éditoriale. Aujourd’hui, cette bande dessinée rencontre le public. Elle est un relais de croissance pour l’industrie. Mais, pendant toutes ces années écoulées, chaque année, nous avons été critiqué pour ces choses, et c’est là où il y a un problème : quand, à un moment donné, un grand directeur général dit : "C’est une honte de primer Marjane Satrapi, ce livre ne se vendra jamais à plus de 5000 exemplaires...", il le dit très violemment.

Cet éditeur a manifestement eu tort. Les faits l’ont démenti.

Il faudrait arriver à fixer une règle du jeu qui n’est pas simple : cet événement ayant effectivement grandi. Le palmarès a une dimension culturelle qui, pour moi, travaille sur le moyen et le long terme. Et puis, il y a le très court terme d’un évènement qui fait partie de la stratégie marketing immédiate des éditeurs. Et cela c’est quelque chose qui a été mouvant et que j’ai connu tous les ans, et que Jean-Marc Thévenet a connu avant moi. Je me souviens de lui revenant blême d’une réunion du groupe BD du SNE [Syndicat National de l’Edition] pour ces raisons. J’ai des courriers écrits des éditeurs qui disent qu’il faut donner des consignes aux jurys...

Cela ne veut pas dire que j’ai toujours eu raison. Je n’ai pas dit cela. Je dis que ce festival, il n’est pas parfait, on peut se tromper. Mais on doit le regarder avec du recul. Cet événement qui est un événement d’intérêt général pour la bande dessinée a apporté une reconnaissance majeure du 9e art. Il y a besoin de refixer des règles, des accords. Il y a besoin de dire qu’il y a un niveau régional, national et international. Il y a dans le dialogue avec les éditeurs quelque chose de très important qui est la question de l’intégration de l’événement dans le projet du territoire. Il y a la nécessité de concilier toutes ces missions et cela, ce n’est pas simple.

Essayons d’établir un état des lieux. Aujourd’hui le festival, c’est combien de personnes et qui sont les principaux responsables ?

C’est une équipe qui n’est pas très importante parce que, bien que ce soit un grand événement, il n’y a pas forcément aujourd’hui toutes les ressources humaines ni les ressources financières pour répondre à toutes les attentes. Il manque beaucoup de choses à ce festival, de vrais professionnels. Il faudrait doubler son parc de voitures, par exemple, mais il y a beaucoup d’autres exemples. Il y a là à l’année entre 8 et 12 personnes qui organisent cet événement, et puis on amalgame évidemment au fil des mois d’autres contributions. On travaille aussi là-dessus, le moment venu, avec l’Association du FIBD pour arriver à assembler cet événement.
C’est un événement qui est très important par rapport à ce qu’est l’économie de la bande dessinée. Si l’on fait la comparaison avec Cannes et la FIAC, on n’est pas sur les mêmes économies mais en revanche les attentes sont assez comparables. On exige que tout cela soit extrêmement carré, professionnel.

C’est vrai que l’on a fait des progrès considérables sur ce plan-là, y compris sur l’accueil des professionnels. On a des services qui leur sont dédiés qui sont de plus en plus importants que l’on essaie d’améliorer chaque année.
Incontestablement, il a aussi besoin de renforcer les partenariats. Là, on travaille avec la Cité pour mettre en place une convention triennale. Donc, on a commencé à travailler ensemble, on est tous d’accord sur cela. On a deux années d’expérience avec la Cité maintenant, notamment sur l’exposition Charlie Hebdo et cette année sur l’exposition Morris.

Autre chose qu’il me paraît importante de dire et qui est omise dans le communiqué des éditeurs, c’est que l’on a créé un comité de concertation ensemble, avec un communiqué de presse en avril 2015. on s’est beaucoup réunis quand même. On a eu des réunions pour préparer 2016 ensemble. Après ce qui s’est passé en janvier, j’ai eu évidemment un dialogue bilatéral avec certains éditeurs, mais on ne s’est pas encore réunis. Cela ne veut pas dire qu’il n’est pas intéressant d’avoir un projet public-privé.

Vous ne pouvez pas dire qu’il ne se passe rien. Il y a un communiqué de l’ensemble des éditeurs et, avec les auteurs, ils sont réunis ensemble chez le ministre...

Moi aussi, j’ai été reçu pendant une heure et demi par les mêmes interlocuteurs mais je n’ai pas fait de communiqué. Moi aussi, je pense avoir une écoute bienveillante. Si je suis là aujourd’hui, c’est pour parler avec quelqu’un qui connaît le sujet. Je pense que vous savez que dans la bande dessinée, il y a aussi une problématique lourde : les auteurs qui se sont servis récemment du Festival d’Angoulême comme caisse de résonance. C’est un élément majeur, parce que lorsqu’on regarde ce Festival aujourd’hui qui est tellement connu, évidemment il est un lieu où on peut défendre une cause, on peut prendre la parole pour parler de quelque chose, comme d’une erreur, d’un incident commis par l’organisation. Tout n’est pas parfait.

Quand on voit aujourd’hui que la paupérisation des auteurs est un vrai sujet, je rappelle que grâce au Festival, les états généraux ont pu avoir lieu.

Ce n’est pas une initiative du Festival. Vous avez juste prêté votre infrastructure.

Oui, mais ça se passe au Festival. Je n’ai jamais vu de toute ma carrière dans l’évènementiel un événement seul qui soit une telle caisse de résonance, qui a à un moment donné, ait une telle résonance médiatique. J’ai vécu aussi le Festival douloureusement, contrairement à ce que vous pouvez penser. Mais quand on regarde les retombées de l’exposition Morris, elles sont considérables. Donc, c’est cela aussi que le Festival apporte au 9ème art : une reconnaissance, une occasion de s’exprimer. Si les Etats Généraux l’avaient voulu, ils auraient pu faire une déclaration de presse à Paris. Le Festival permet donc ça aussi.

C’est une fenêtre de communication comme pour les comédiens à Avignon et à Cannes.

Oui, c’est un événement, et un événement ça s’assemble difficilement. Un événement, c’est fragile. On essaie d’avoir des partenariats privés, des partenariats publics.

Comme nous sommes un support spécialisé, on va essayer de tenir des propos un peu moins généraux que dans la presse généraliste. Rappelez-moi quel est le budget du Festival. Comment ça se répartit entre les fonds publics et les fonds privés ?

Le budget est d’environ 4 millions d’euros sur le dernier bilan, pas celui de 2016 qui n’a pas encore été fait. On est sur 46% de fonds publics et 54% de fonds privés.

Comment se répartissent les fonds privés ?

Entrées, exposants, partenariats.

Partenariat, c’est à dire sponsors.

On dit plutôt partenariat. Le partenariat est sensé inclure aussi les apports en terme de savoir-faire…

Est-ce que cette répartition était la même avant que vous arriviez, il y a dix ans ? Parce qu’au fond, on vous a recruté pour ça, pour aller chercher des partenaires.

Non, je ne pense pas.

Au départ, c’était ça même si après vous avez pris une place plus importante.

C’est vrai. Au départ c’était ça.

On a quand même l’impression que les partenariats décroissent avec le temps. Est-ce qu’il y a un problème, là ?

Oui, il y a un problème. Mais je voudrais aussi revenir sur la baisse de la fréquentation. Je vois qu’il y a une forme d’instrumentalisation. On vit aujourd’hui dans un état d’urgence dans notre pays. Le Festival est arrivé quelques semaines après les attentats de Charlie Hebdo et quelques semaines après ceux du 13 novembre. Quand on regarde en prenant de la hauteur ce qui se passe au niveau de la fréquentation des évènements culturels, des salles de spectacle, on constate une baisse partout.

Le Salon du Livre est en baisse de 15%, comme beaucoup d’autres salons en raison des événements.

Merci de le dire. Il y a une certaine forme d’indignité à parler de notre baisse de fréquentation comme cela. Je trouve que la profession devrait quand même s’intéresser à cette problématique. Nous sommes entrés dans un temps où nous pensions tous que les évènements de 2015 seraient ponctuels et, a priori, ils ne sont pas ponctuels. Il se trouve qu’un événement comme le Festival qui doit déployer des effectifs de sécurité sur tous ses sites, c’est d’une très grande complexité, ce n’est pas juste une entrée et une sortie. Donc, aujourd’hui, ça entraîne un coût considérable pour le Festival à l’échelle budgétaire et ça mobilise l’Etat.

Le Grand Prix 2015, Otomo, passe le relais au Grand Prix 2016, Hermann.

Il y a un autre facteur qui n’est pas négligeable, c’est le prix qui a considérablement augmenté ces derniers temps.

Qui peut dire ça ? Je peux vous faire passer une grille des prix...

C’est 16 euros par jour je crois.

C’est entre 11 et 15 euros. Je vous incite à aller aux Rencontres d’Arles. On est à 26 euros pour une offre un peu similaire. Dans la journée, on ne fait pas le tour. On est à 15 ou 14 euros et 11 euros pour les scolaires. Franchement vous ne pouvez pas dire une chose pareille.

Le salon du livre est à 12 euros.

Je peux vous sortir la grille des tarifs. On a une offre qui, en termes de contenu, est incomparable.

C’est quoi la fréquentation ? On dit que les chiffres sont beaucoup gonflés. Il paraît que 200 000, c’est du flan.

La fréquentation est une chose complexe. Il y a beaucoup d’entrées gratuites, d’invitations, il y a beaucoup de flux d’entrées et de sorties et la comptabilité est donc compliquée. Ça fait longtemps qu’on est sur le projet de portillons. L’année 2015 comptabilisait 250 000 visiteurs.

Il n’y a pas de moyen de vérifier ? Il y a des organismes pour ça.

Il y a des clarifications qu’il faudra faire aussi. Je dirais aussi que les éditeurs savent pourquoi ils vont là-bas. J’ai lu dans un article quelles étaient les recettes et les dépenses des éditions Delcourt : une recette de 200 000 euros et un coût de 250 000 euros. Ça voudrait dire que pour participer au premier événement de la profession, ça coûte 50 000 euros. Allez voir dans d’autres secteurs d’activité combien ça coûte le fait d’être présent dans le premier salon de la profession.

Un chiffre d’affaires n’est pas une marge ; sur ces ouvrages, il faut payer l’imprimeur, l’auteur,...

OK, mais par ailleurs, la médiatisation d’un tel événement a une valeur, les retombées de presse ont une valeur et quand on a des prix, ce qui est le cas de la maison Delcourt, au final quel est le coût véritable de la participation au Festival d’Angoulême ? Ce que je dis simplement, encore une fois, c’est d’inviter au recul.

L’histoire de l’absence de femmes dans la liste des Grands Prix a été un truc énorme.

Je vous invite à lire l’article de Zoo [ - Le gratuit Zoo a publié un article intitulé "Le monde de la BD est-il sexiste ?. ]Je vous invite à parler avec tous les spécialistes de la bande dessinée. Ce que je vois, moi, aujourd’hui, c’est que les auteures ont utilisé cet événement, cette erreur, cet incident, pour parler d’elles. Je pense que ça révèle qu’il y a un vrai sujet..

Nous étions là pendant le discours que vous avez fait au moment du passage de la proclamation du Grand Prix pour Hermann. Alors que le scandale avait déjà éclaté, vous en arrivez encore à dire que les femmes étaient "surreprésentées" dans la sélection, c’est le mot que vous avez utilisé. vous auriez pu dire "correctement représentées", "suffisamment représentées"... Ça manque un peu de sens politique non ?

Mais quand Patrick Cohen dit à 7h20 sur France Inter que cette année, il n’y aura pas de femmes dans la sélection du Festival d’Angoulême, ce n’est pas un manque de professionnalisme, ça ?

C’est une erreur de presse généraliste. Ils ont confondu nominations au Grand Prix et sélection officielle. Nous, par exemple sur ActuaBD, nous n’avons pas fait cette erreur.

Au final, le problème demeure. Au final, ce n’est pas le Festival qui édite les auteures. Je pense que le silence des éditeurs sur ce sujet était assez assourdissant. Tous les éditeurs disent qu’il n’y a aucune différence entre les hommes et les femmes alors qu’il y a même des différences de salaire d’après les états généraux. Donc, tant mieux si le Festival a servi à mettre en avant cette cause et à la faire évoluer, et notamment dans les grands médias nationaux qui ne sont pas du tout allés au fond et qui ont voulu rester sur cette idée qu’il n’y avait pas de femmes sélectionnées au Festival.

Peut-on un peu revenir sur la remise des prix où on a un peu l’impression que vous vous défaussiez sur le présentateur alors que nous avons eu confirmation auprès de vos services que vous avez eu le texte du déroulé de la soirée et que vous avez pu tout vérifier. Pourquoi vous ne prenez pas vos responsabilités ?

Mais c’est ce que j’ai fait. Dans la première communication que j’ai faite , j’ai dit que cet homme avait une émission sur Radio Nova et qu’il connaissait bien la Bande dessinée. Après on est allés s’excuser auprès des auteurs et des éditeurs concernés.

Mais vous n’avez pas tenu le même discours tout le temps.

Mais, après il a fait cette Carte blanche dans Le Monde. Personne ne lui a demandé d’écrire ça. Ce n’est pas moi qui ai demandé à l’interviewer.

Il a du se sentir un peu visé.

Non, même pas. Cet homme qu’on ne connaissait pas, que je ne connaissais pas, je l’ai défendu. Et puis, il a pris de lui même l’initiative de faire cette tribune dans Le Monde. Je trouve qu’on était à ses côtés et lui, il a décidé de faire ça : « J’assume, je n’ai pas fait ce qu’il fallait faire au bon moment, etc.. » Il a fait cette tribune libre librement, donc du coup, il a assumé, lui, mais à aucun moment on ne lui a tapé dessus. Je suis assez en colère, mais globalement, ça indique qu’aujourd’hui, il y a de vraies questions sur la bande dessinée : quand on parle de surproduction, quand on parle de la place des femmes, quand on parle de la paupérisation des auteurs...

Est-ce que vous trouvez aujourd’hui que la structure même du fonctionnement du Festival avec cette Association, vous comme prestataire de service, sont adaptés aux enjeux actuels ?

La réponse est oui, dans un partenariat. Ce qui est intéressant dans la médiation, c’est de bâtir un projet public-privé. Moi, personnellement, ça fait des années que j’appelle à ça. J’ai des écrits de ça, aux collectivités, aux préfets de l’époque etc. Aujourd’hui, il y a un comité des financeurs. On devrait créer un comité de concertation avec les éditeurs, qui a fonctionné pour 2016. Il y a une association et son partenaire qui ont repassé un accord pour dix ans.

Soyons sérieux, cette association n’est plus adaptée du tout, les gens qui en sont membres sont complètement déconnectés du milieu. Est-elle encore disponible pour cet événement ?

Je vais vous dire ce que je pense. Je pense que ça a été très difficile pour cette association de passer du stade de l’organisateur de l’événement avec des salariés qu’elle gérait, qui ont été tous repris par 9e art+ qui a une expertise unique comme d’autres évènements culturels français, les Eurockéennes, les Francofolies, le Festival de Bourges, etc. ont leur expertise.

Cette association a eu du mal à retrouver sa raison d’être. Je pense que tout ce qui s’est passé ces derniers mois, cette dernière année l’a amenée à se remettre en question et à s’interroger sur son propre projet. Et je pense aussi qu’il n’y a pas de grand événement en France sans la contribution des bénévoles. L’Euro 2016 qui va avoir lieu en France ne pourrait pas se faire sans la contribution des bénévoles. Aux vieilles charrues, il y a 6000 bénévoles, par exemple. Je pense que dans un projet commun public-privé, une association de bénévoles peut parfaitement et doit même avoir sa place.

Le problème est que là, on dépend d’une association de bénévoles qui n’a pas forcément une vision, qui n’a pas forcément une stratégie, voire des compétences. Là-dedans, je pense qu’il y a des collectionneurs très honnêtes mais aujourd’hui, vu les enjeux à l’international et la technicité de la manifestation, ils sont un peu largués… D’ailleurs, au fond, et il semblerait qu’on vous le reproche, quand il y a une assemblée générale de l’association, on a l’impression que c’est vous qui parlez, que c’est vous qui la dirigez.

Si c’était si simple, pourquoi tout ce qui s’est passé depuis un an se serait passé si l’association était la marionnette de Bondoux ? On aurait signer sur un coin de table et ça aurait été validé en trente secondes. C’est bien la preuve qu’il y a eu un débat dans cette association. Sinon, ça aurait été très simple.

Il y a eu un débat, mais en même temps, si nous avons bien compris, le contrat a été reconduit tacitement alors qu’il y a eu une lettre de dénonciation qui a été envoyée...

Tout est décidé par une majorité de membres dans une assemblée interne qui nous dit : "retravaillons pour trouver un accord", mais ce n’est pas mon propos aujourd’hui.

Il y a eu un vote de l’Assemblée générale de l’Association pour reconduire le contrat ?

C’est très simple, mais ce n’est pas le sujet aujourd’hui.

C’est au contraire le sujet, il nous semble.

C’est très simple. Il y a eu en mars 2015, une Assemblée générale et un Conseil d’Administration de l’Association. Ces deux assemblées ont voté pour que l’Association travaille sur la refondation d’un accord avec 9ème art+. Ça a été voté à une grande majorité.

Si l’on se souvient bien, il était question de redéfinir l’accord.

C’est exactement ce que je suis en train de dire.

Ce n’est pas la même chose que la reconduction tacite d’un contrat.

Je n’ai pas dit ça. J’ai dit qu’un CA et une Assemblée votent en majorité pour dire "Travaillons pour refaire un accord, retrouver un accord".... Pas le même, mais un accord. Il y avait d’autres options possibles mais ils ont choisi de voter ça.

Votre professionnalisme n’est apparemment pas remis en cause. Ce qui achoppe, c’est plus l’esprit du contrat que le contrat lui-même. Comment vous expliquez qu’on puisse faire aujourd’hui un contrat où la part des fonds publics est substantiellement importante sans qu’il y ait d’appel d’offre pour une durée de dix ans reconductibles, alors que les contrats publics ne dépassent pas trois ans en général ?

Premièrement, je vous invite à voir ce qui se fait partout en France et comment des sociétés privées parfaitement légitimes reçoivent des fonds publics de la même manière… Je vous invite à aller voir ce qui se passe aux Francofolies, au Festival de Bourges…

Ce sont des mandats de dix ans ?

Non, ils sont propriétaires des évènements et ils reçoivent des fonds privés. Point final.

Par ailleurs une association et une entité qui est 9eart+ qui est une société avec des obligations très lourdes qui n’existent pas dans les sociétés dont je vous parle. Ces sociétés-là reçoivent des fonds publics et des sommes considérables. Donc, on est parfaitement dans une norme de légalité qui a été reconnue par les services de contrôle de la Préfecture et vous vous doutez quand même que les fonds qui sont versés font l’objet de contrôles, de droits de regard qui sont fournis par des commissaires aux comptes. Donc, pour répondre à votre question, il n’y a rien qui soit anormal. Levez le nez et regardez ailleurs. On trouve des tas d’exemples parfaitement similaires avec des sociétés privées qui, elles, vont potentiellement donner des dividendes à leurs actionnaires. Nous, on est pas du tout là dedans.

Cela dit, pas mal de vos entités partenaires se sont exprimées. Je pense à la mairie, je pense aux éditeurs qui appelaient à mettre fin au contrat et à le remplacer par un autre.

C’est précisément le travail que l’on fait.

Ça me permet de vous raccrocher. Qu’est-ce qui s’est passé en mars 2015 ?

En fait, ces deux assemblées votent pour que l’on refonde un accord. À ce moment là, toutes sortes de pressions s’exercent sur l’Association. Je ne rentrerai pas dans le détail de ça.

Quelles pressions ? Vous pouvez faire une liste ?

Non, je n’ai pas envie. Je pense qu’à un moment donné il faut comprendre qu’il y a un environnement qui intervient auprès de l’Association. À partir de là, sous la pression, le président prend l’initiative d’envoyer une lettre. Cette lettre contredit le mandat qui lui a été donné parce que le mandat qui lui a été donné par ces assemblées, c’est précisément de trouver un accord et de se représenter devant elles, pas de signer l’accord, pour faire état d’un texte commun, d’un accord qui a été signé.

C’est tout simplement de la part du président une mesure conservatoire. Par ailleurs, le contrat obligeait de produire un avis de dénonciation à partir d’une certaine date.

Cette question pourrait faire l’objet d’une interview à part. Ce n’est pas que je sois gêné mais c’est du juridique. Sur le plan juridique, la réponse est non. Allez voir les statuts de l’Association et les pouvoirs du président de l’Association. Il n’a pas ce pouvoir-là. Il a été mandaté par ces assemblées pour trouver un accord avec le partenaire de l’Association ou le prestataire de l’Association, si vous voulez. Il n’est pas mandaté pour envoyer une lettre qui dénonce le contrat parce que sinon il aurait pu le faire dans le temps de la réunion.

Il a bien un mandat de gestion de l’Association ?

Non, vous vous trompez. Vous confondez un président de société et un président d’Association. Vous ne connaissez pas les attributs, la fonction, d’un président d’Association.

Qui gère cette association alors ? Personne ?

Non, ce n’est pas ça. Si vous regardez dans les statuts d’une entreprise, un directeur général peut faire certaines choses, un président d’autres choses.

On peut être quand même étonné qu’un président ne puisse pas décider de procéder à une protection des intérêts de l’association de façon conservatoire sans que ce soit contradictoire.

Ça l’est. Quand vous êtes président et qu’on vous donne un mandat pour passer un accord avec une autre société et que finalement vous faites le contraire.

Je comprends très bien ce que vous me dites, mais permettez-moi d’être étonné.

Permettez-vous de vous renseigner et permettez-vous de regarder les statuts. Dans les statuts d’une association, le mandat d’un président n’est pas le même que le mandat d’un président de société. C’est comme cela que ça fonctionne.
En octobre-novembre 2015, donc après cette histoire, l’Assemblée générale de l’Association se réunit de nouveau pour dire : « n’allons pas sur le terrain juridique, trouvons un nouvel accord »

Où en est cet accord ?

On a commencé à travailler. Dans le CA, d’il y a quinze jours [L’entretien a été réalisé le 21 mars 2016. NDLR.], on a présenté un avenant potentiel. Finalement on a décidé que compte tenu de ce qui se passait là, il valait mieux attendre un peu pour voir comment la médiation allait se faire. On est dans la discussion. L’Association a un but : celui de rester attaché à l’artistique et d’être entendu.

Il y a eu assemblée générale du CA pour dire : retrouvons un accord, c’était en mars 2015. Puis, en octobre-novembre 2015, elle a dit de nouveau la même chose. Les gens ont parlé, ce n’est pas Bondoux qui a décidé ça. Donc, ça, il faut quand même l’entendre. Donc, on en est là et l’accord est reconduit et confirmé par courrier comme étant reconduit en attendant que nous retrouvions une relation en fonction d’un nouveau projet…

Un nouveau projet qui annulerait l’accord précédent ? Parce que vous n’êtes pas obligé de l’annuler puisqu’il est reconduit.

Qui l’annulerait ou qui le transformerait.

Est-ce que cette habilité juridique, appelons les choses par leur nom, ne va pas finalement se retourner pas contre vous ?

Non, pourquoi ? Pour moi, il y a une association qui depuis ces assemblées, CA et AG de mars disent qu’il y a des gens qui savent faire notre festival, qui ont été bons collaborateurs, qui ont une expertise qui est peut-être, c’est prétentieux, assez unique en France, voire même en Europe. Pourquoi se priver de leur savoir-faire ? C’est la même chose pour tous les évènements.

Pourquoi ces donneurs d’ordre devraient se priver d’un appel d’offres qui permettrait de comparer vos qualités d’organisateur avec celles d’un autre ?

Pour les raisons que je viens d’exprimer et que vous ne voulez pas entendre. Allez voir ailleurs : est-ce que vous voyez des appels d’offres pour remplacer l’équipe des Eurockéennes, l’équipe du Festival de Bourges, les Francofolies… Je ne vois pas ça, moi. Cela me paraît important de dire ça.

Donc, c’est normal qu’il n’y ait pas d’appels d’offres ?

Sur un plan juridique, oui, ce n’est absolument pas une condition sine qua non. Par ailleurs, quand vous regardez comment les choses se passent en France pour tout un tas d’évènements culturels, parfois ce sont les associations qui organisent directement, parfois ce sont les entreprises.

Est-ce qu’on peut dire quand même qu’à partir de cette bronca, qu’il y a un malaise entre l’association et vous, entre les éditeurs et vous ?

Je pense qu’il y a une forme de prise de conscience. Effectivement il faut rediscuter de ce bail, rediscuter des objectifs de cet événement par rapport aux objectifs de la profession. Moi, c’est ce qui m’intéresse aussi : quelles sont les attentes véritables de la profession ? Il y a cette dimension d’infrastructure et de service mais il y a une place dans la politique du territoire. Quand par exemple, le ministère des Affaires étrangères nous dit qu’il est prêt à nous accompagner pour exporter ce Festival, il est bien évident qu’il faut qu’il y ait une concertation avec la profession. On ne va pas décider qu’on va aller là ou là, si la profession nous dit que leur priorité est plutôt sur ce marché là.

Pour synthétiser, il est évident que tout le monde n’a pas les mêmes attentes. J’ai moi aussi des discussions bilatérales avec les uns ou les autres. Je ne suis pas sûr que les deux syndicats d’éditeurs, quand il faudra définir le nouveau projet du Festival, aient la même vision. Donc là aussi, il va falloir faire des synthèses, au niveau régional, au niveau national et international. Le Festival doit-il faire plus de presse média, doit-il rester dans son identité et garder son ADN culturel ? Cette question est pour moi est un sujet fondamental.

Quand est-ce que vous rendez les marques déposées par 9eArt+ et qui sont la propriété de l’association ?

Elles lui ont été rendues depuis un an, un an et demi. L’Association en est propriétaire depuis un an, un an et demi. Un an je vais dire.

À un moment est sorti dans la presse régionale un schéma qui montre que vous avez une structure à côté, très contrôlée par vous, dans laquelle transitent les ressources financières. Vous vous payez deux fois : à la fois comme directeur du Festival et à la fois en prenant des commissions sur une société que vous contrôlez à côté ? Expliquez-nous.

Il y a une structure qui trouve des partenaires pour le Festival. Cette structure est rémunérée par un pourcentage sur ce qu’elle trouve, mais que sur les fonds privés, rien à voir avec les fonds publics. Donc, si cette structure ne trouve pas d’argent, elle n’a pas de rémunération et je pense que peu de gens travaillent aujourd’hui dans cet esprit. Si elle trouve des partenariats, elle est rémunérée sur la base de ce que l’Association lui avait accordé quand elle avait signé son contrat antérieurement à ma prise de fonction. Donc rien n’a changé.

C’est un contrat qui est donc antérieur à votre nomination ?

Les termes de ce contrat n’ont pas changé et ont été validés par un ancien président de l’Association qui était à l’époque Yves Poinot et un directeur général qui était Jean-Marc Thévenet. Il n’y a donc pas eu intervention de ma part. Par ailleurs, j’ai aujourd’hui un partenaire qui demande beaucoup, beaucoup de travail. Donc, rien n’a changé par rapport à l’accord qui a été passé initialement avec l’Association.

Comment s’appelle cette société ?

Partnership. Bien évidemment, ces documents sont détenus par le commissaire aux comptes, par les pouvoirs publics. Donc, il y a un espèce de fantasme à ce sujet.

Peut-être parce que vous êtes à la fois le dirigeant de 9ème art+ et le dirigeant de cette société ?

Il est surtout dû à la velléité de certains qui prétendent qu’il y a là une opacité. Là aussi, on peut considérer que différents acteurs de la puissance publique qui ont connaissance de tous ces éléments n’ont jamais jugé bon de remettre en question ce schéma parce que justement il y a une grande transparence.

Est-ce que vous avez été contrôlé par la puissance publique ?

Elle nous contrôle parce que nous remettons nos comptes tous les ans et les documents qui vont avec. On a un commissaire aux comptes et un expert-comptable qui est inscrit à l’Ordre des experts-comptables. Quand on questionne ce sujet là, on questionne aussi l’honnêteté professionnelle des gens qui sont inscrits sur les listes de leur Ordre. Là, on est dans la réalité.

Les pouvoirs publics ont ces comptes ?

Oui, bien sûr. Ils ont le détail de tous ces comptes.

Quelles sont selon vous, car tout le monde le réclame, ou devraient être les grandes lignes de cette réforme du Festival ?

Nous avons construit depuis huit ans un véritable projet sur cet événement. Ce n’était pas du coup par coup, année après année. On a eu une vraie vision sur ce que devait être cette manifestation. Je reviens un peu en arrière mais on a quand même fait des expos sur les Schtroumpfs, les Tuniques bleues, Léonard,... On a fait beaucoup de choses mais je n’en entends pas beaucoup parler. Il n’y a pas que le Festival très très pointu. Je parlais tout à l’heure des extrêmes que sont Tardi, Morris, Pratt et d’autres d’un côté et de la découverte de la nouvelle bande dessinée à laquelle on assiste aujourd’hui, mais entre les deux, il y a eu beaucoup de choses.

Dans les éléments majeurs que nous devons prendre en compte, il faut une infrastructure de service nécessairement à la base de tout grand événement. Ce que je veux dire, c’est qu’aujourd’hui il faut pouvoir apporter des services professionnels, il faut pouvoir accueillir les professionnels dans les meilleures conditions possibles, il faut développer le B to B [Business to Business, le service aux professionnels. NDLR.], il faut développer l’international. Selon moi, ce sont des axes absolument essentiels. Il y en a d’autres.

Et que se passe-t-il si finalement les éditeurs décident de ne pas rejoindre le Festival l’année prochaine ?

Je veux croire que ce ne sera pas le cas.

Propos recueillis par Didier Pasamonik le 21 mars 2016

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD) sauf médaillon : DR (c) FIBD

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