Rocco et Nico, deux jeunes documentaristes, se rendent en 1987 à Salerne, près de Naples, pour y réaliser un reportage sur Antonio Angelicola, qui fut isolé à l’époque fasciste en raison de son homosexualité. "Ninella", c’est ainsi que tout le monde le surnomme, est un vieil homme grincheux, qui accepte de mauvaise grâce de les accompagner sur les traces de son passé. Rocco et Nino veulent l’emmener sur l’île de San Domino, où il fut confiné, comme plusieurs centaines d’homosexuels, sous un chef d’inculpation "politique". Mussolini s’était en effet refusé à édicter une législation spécifique pour les homosexuels car, à la différence d’autres pays, en Italie, il n’y avait "que des vrais hommes"…
Parallèlement au voyage houleux des trois hommes, des scènes du passé resurgissent, qui décrivent le sort de Ninella et de ses camarades : leur vie clandestine, les brimades des autorités et, pour certains, l’arrestation puis le confinement dans des lieux où se crée une vie collective ambiguë. Certes, les conditions sont spartiates, mais on est entre soi : plus besoin de faire semblant ; des amitiés fortes se créent, des tensions aussi ; il n’est pas jusqu’aux carabiniers chargés de surveiller les prisonniers qui ne dévoilent des sentiments inattendus...
La position hypocrite des autorités fascistes vis-à-vis des homosexuels – cette façon de nier leur existence tout en la réprimant – est la source d’un mal-être et d’une honte particulièrement douloureux. Le non-dit, des décennies après, pèse toujours, puisque Ninella est le seul à avoir accepté de témoigner pour Rocco et Nino – mais du bout des lèvres, avec une forte tentation à renoncer.
Du trait épuré de Sara Colaone, de sa bichromie délicate émanent le chaud et le froid : le chaud du Sud de l’Italie, et le froid désespoir de destins brisés. C’est l’histoire d’existences niées, de vies gâchées qui est ici relatée, de façon sobre et d’autant plus poignante ; avec aussi, heureusement, de nombreuses touches d’humour.
L’album est augmenté d’une préface de deux historiens et, en annexe, de la reproduction d’une interview de 1987 qui a amené le scénariste Luca De Santis à s’intéresser au sujet.
(par Arnaud Claes (L’Agence BD))
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