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En dépit du retour de la Première, la Seconde Guerre mondiale fait toujours recette

Par Charles-Louis Detournay le 16 mai 2014                      Lien  
Devoir de mémoire ou vivier inépuisable d’expériences humaines face à l’atrocité, les albums traitant de la guerre 1939-45 continuent à bien se placer en librairie. Tour d'horizon de ce genre qui ne s’essouffle au travers de quelques récents albums : "Airborne 44", "L’Armée de l’ombre", "Omaha Beach : 6 juin 1944", etc.

En dépit du retour de la Première, la Seconde Guerre mondiale fait toujours recetteNous vous présentions encore récemment la trilogie Opération Overlord qui paraît chez Glénat depuis quelques semaines. À quelques jours de la commémoration des 70 ans du Jour J, Falba, Fabbri, Le Galli, & Dalla Vecchia nous proposent d’analyser en détail la plus grosse opération maritime de tous les temps. Si le souci historique est de rigueur, un certaine raideur des personnages et les effets numériques ne permettent pas toujours de s’imprégner de la tension de ces heures décisives. Néanmoins, le souci documentaire permet d’appréhender au mieux les détails et les affrontements de cette bataille décisive.

Airborne 44 : le retour à la Bataille des Ardennes

Alors que les albums commémorant la Première Guerre mondiale continuent de fleurir sur nos étals, on constate que le sujet de la Seconde Guerre est quant à lui bien loin d’être épuisé. Cette année anniversaire de la "Grande Guerre" n’éclipse pas les affrontements mondiaux de 1939-1945. On aurait u croire que, depuis toutes ces années, livres, films et séries télévisées en avaient abordé le sujet sous toutes les coutures. Que du contraire !, dans une période où les albums continuent de tomber, ces périodes historiques sont une thématique-refuge, et ces guerres atroces vécues sur nos terres et dans la chair de nos familles, ces moments charnières de l’Histoire continue de fasciner. L’envie de comprendre comment le monde a pu basculer dans la tragédie, et le quotidien de ces hommes et femmes ordinaires, mis aux prises avec des moments intenses et dramatiques, tout ce contexte demeure évocateur pour le lecteur.

Comme le sujet a déjà largement été évoqué depuis 70 ans, il devient cependant nécessaire se différencier ! Au compte-rendu réalisé par Opération Overlord, Airborne 44 a préféré opter pour une incursion plus intime dans le vécu de certains protagonistes : soldats d’un camp ou l’autre, et civils embarqués dans un conflit omniprésent.

Après avoir réalisé Mémoires de cendres, Philippe Jarbinet n’avait pas convaincu avec la série contemporaine Sam Bracken. Décidé à évoquer en couleurs directes un épisode de la guerre qui s’était déroulé non loin de chez lui, l’auteur ardennais avait tenté de placer son projet dans différentes maisons d’édition, avant que Casterman n’accepte, mais seulement si les deux tomes sortaient simultanément. Il est vrai que les lecteurs ne se fient plus toujours aux premiers tomes. Et puis, la Seconde Guerre mondiale, n’était pas un sujet très neuf...

Mais contrairement à ce qu’on pouvait penser de prime abord, Airborne 44 rencontre un vif succès. Le traitement est documenté et bien mené, le trait est fin et les couleurs sont superbes. Mais plus que tout, l’incursion psychologique dans la vie des personnages donne une dimension authentique et vécue de ce tournant de la guerre qu’est la Bataille des Ardennes, même si la majorité du récit se déroule loin du tumulte des champs de batailles.

Après un crochet par le Débarquement lors du deuxième diptyque, Airborne 44 fait le grand écart, en revenant, d’un côté au cœur de la Bataille des Ardennes avec l’encerclement de Bastogne, et, d’un autre côté, en proposant une immersion au cœur des États-Unis juste avant leur entrée en guerre, alors qu’ils sont encore rudement touchés par les conséquences de la dépression. Portés par des destins forts, les personnages sont une fois de plus les éléments accrocheurs de cette réussite : une femme aviatrice, deux frères situés dans deux camps opposés, et une grande gueule qui n’a pas demandé à aller se faire tuer loin de chez lui.

« Lorsque la crise a frappé l’Europe ces dernières années, j’ai immédiatement fait le rapprochement avec la Crise de 1929 et ses conséquences à long terme, explique Jarbinet. J’ai donc voulu évoquer ce moment compliqué, et surtout cette sortie de crise qui conditionne l’entrée en guerre des États-Unis. 1941 et Pearl Harbor ont transformé l’Amérique en ce qu’elle est aujourd’hui : une super-puissance, grâce à la fierté nationale, à l’investissement dans l’économie en allant rechercher l’épargne chez les familles craintives ! »

« Les femmes ont joué un grand rôle dans l’aviation avant la guerre, ce qui était vraiment étonnant continue l’auteur. Elles volaient aussi bien que les hommes, sinon mieux. Je voulais donc mettre cela en avant, tout en présentant ce milieu de l’aviation lors de la Seconde Guerre mondiale. Puis j’aime les femmes qui ne font pas ce qu’on attend d’elles ! Il s’agissait pour la plupart de femmes de caractères. Cette incursion me permettait aussi de mettre en avant les relations entre les différents protagonistes, afin de donner une unité psychologique à l’ensemble. »

L’Armée de l’ombre : le quotidien du Front de l’Est

Une fois de plus, c’est la nouveauté de l’angle de vue qui caractérise l’intérêt et la réussite de L’Armée de l’ombre. Jugez plutôt : après deux séries fantastique et SF chez Joker, Olivier Speltens sort du lot avec cette série. Poliment refusée par de grandes maisons d’éditions, elle aboutit chez Paquet qui a misé sur la carte gagnante avec un premier tome qui dépassait les treize mille exemplaires vendus avant que le tome 2 de cette tétralogie ne paraisse.

Comment analyser ce succès ? Si la part documentaire est indéniable (le dessin des chars, des uniformes, ses avions et autres matériels militaires retranscrit la vérité historique avec beaucoup de fidélité), c’est une fois de plus l’angle d’attaque qui prédomine. Exit le GI Joe, L’Armée de l’ombre s’intéresse à un simple fantassin allemand, à sa participation logistique sur le front russe, mais surtout aux conditions épouvantables qui y régnaient.

Après un premier tome certes bien mené, mais qui n’excluait pas quelques petites approximations de réalisation, le tome suivant confirme que nous avons affaire à une très bonne série ! Déjà présent dans le premier tome, le travail des couleurs de Speltens a encore gagné en densité, ce qui permet de vivre au plus près des soldats allemands. Caméra à l’épaule, l’auteur nous fait littéralement participer aux affrontements, de la boue du champ de bataille aux villes dévastées par les combats.

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Intelligemment construit, ce deuxième tome profite d’une pause salutaire lors de la permission du personnage principal. Impossible de parler de « héros » : nous sommes ici confrontés simplement à un homme, voire un grand gamin au début du conflit. Ce retour en Allemagne, la prise de contact avec sa famille et sa petite amie, le ressenti des populations allemandes qui vivaient protégées des conflits, sous la cloche aseptisée de la propagande, tous ces éléments réels et peu évoqués confèrent beaucoup de caractère à cette série.

La permission terminée, c’est le retour sur le champ de bataille : tout d’abord l’avancée dans les champs de blé, tapi derrière un char pour éviter les balles des opposants russes. Mais bientôt, c’est le retour du froid, avec le terrible hiver de 1943. La césure de la permission permet de renforcer l’identification au personnage central tout en développant l’intensité de la troisième partie du récit. Alors que les troupes allemandes commencent à se démembrer, les réflexions du personnages face à la sédition sont fascinantes, ce qui rend au projet un intérêt indéniable.

Capa : le choc des photos

À quelques jours de la commémoration du Débarquement, la sortie attendue d’Omaha Beach, 6 juin 1944 permet de changer encore de décor et de camp pour revenir sur les plages normandes. JD Morvan & Dominique Bertail ont décidé de s’intéresser à la photographie, en lançant Magnum photos, une série d’albums liés à des clichés célèbres. un projet éditorial porté par l’éditeur Thierry Tinlot, ancien rédacteur-en-chef de Spirou, puis de Fluide Glacial.

Ce premier tome est consacré à Robert Capa et à sa photo mondialement connue et prise à Omaha Beach le 6 juin 1944. Elle évoque la guerre, le danger, l’incroyable tension de ce moment unique. L’album de Magnum Aire Libre se propose de revenir sur revenir sur le seul photographe à avoir participé de près au Débarquement. Mais l’album nous invite également à suivre plusieurs fils entrelacés : ceux de l’histoire du monde, de l’histoire de la photographie, de l’histoire d’un regard et d’un langage...

En format à l’italienne, Omaha Beach, 6 juin 1944 se compose d’une cinquantaine de planches réalisées par Bertail, et qui se focalisent sur Robert Capa et son expérience unique du Débarquement. On retrouve ensuite toute une série de photos qu’il a prises à ce moment-là, et qui ont servi de fil rouge au récit. Le tout est enrichi d’une trentaines de pages d’archives photographiques de l’agence Magnum Photos, d’interviews, de planches-contact, de témoignages sur la Guerre et sur Capa lui-même. L’album permet de comprendre les sentiments qui poussèrent cet homme à affronter le destin, son appareil photo à la main.

Derrière les faits, ce sont donc finalement les hommes et femmes qui sont mis en avant dans ces récits. Leurs personnalités les enrichissent. Leur différence de point de vue donne du caractère à ses ouvrages, dans des traitements graphiques à chaque fois spécifiques. Ceci démontre qu’il y aura donc sans doute encore beaucoup à dire sur ces guerres, histoire de ne pas oublier...

(par Charles-Louis Detournay)

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Lire l’interview de Philippe Jarbinet : « Les auteurs doivent aborder des projets qui leur tiennent à cœur ! » ainsi que notre article consacrée à Airborne 44

Lire l’interview d’Olivier Speltens : « "L’Armée de l’ombre" se veut surtout humain et apolitique. »

 
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