Nous étions à la fin des années 60 et rares étaient ceux qui prenaient la bande dessinée au sérieux. Les enfants l’adoraient, certains adultes aussi (mais achetaient encore leurs albums en demandant un emballage cadeau - "c’est pour offrir au gamin, vous comprenez ?"), sans oser l’avouer. Quelques intellectuels commençaient déjà à s’y intéresser, mais dans un cercle tellement restreint qu’ils avaient peu d’impact auprès du grand public. Et la presse, elle, l’ignorait superbement. Jusqu’au livre de Philippe Vandooren.
"Comment on devient créateur de bande dessinée", il s’appelait. Philippe Vandooren était l’un des responsables, chez Marabout, de la collection "Marabout Université". C’était aussi une bonne plume. Un dessinateur. Un amoureux fou de la BD. Et un ami de Franquin et de Jijé. Autant d’ingrédients qui ont mené au premier livre racontant précisément ce qu’était le métier d’auteur de BD. A partir d’une double interview, de Franquin et de Jijé, qui en abordait les plus petites facettes. Comment ça se passe avec un éditeur, comment on met en couleurs, combien on est payé, quelles sont les techniques, est-ce qu’il est possible de gagner sa vie avec ça, quels sont les meilleurs formats, le papier, la plume ou le pinceau ?
Il démystifiait ainsi un métier fabuleux, en posant les bonnes questions à deux de ses plus dignes représentants. Un métier dont Franquin disait : "Je crois que le ’don d’enfance’ est indispensable. Evidemment, ça ne se cultive pas : on l’a ou on ne l’a pas. Et il ne faut surtout pas faire semblant de l’avoir quand on l’a perdu, c’est plutôt attristant comme résultat ! Dans ce métier, il me semble qu’il faut travailler pour soi-enfant, se dessiner des trucs pour l’enfant qu’on était, et qu’on est un peu resté".
Plus de trente ans après, alors que la bande dessinée a connu de profondes mutations, ces paroles restent d’actualité. Le livre a été réédité agrémenté de dessins originaux de Franquin et jijé, et annoté par Thierry Tinlot, rédacteur en chef de Spirou, et Claude Gendrot, successeur de Philippe Vandooren à la Direction Editoriale des Editions Dupuis.
Un petit bijou. Dont ce jugement sans concession de Jijé à propos des écoles de dessin justifie déjà l’achat : "Ah, c’est une anomalie, l’école ! L’atelier, ça c’est quelque chose ! Dans les écoles, le plus souvent, on a affaire à des professeurs médiocres qui sont parfois en poste depuis trente ans et qui barbotent dans de vieilles ornières. Les élèves perdent leur temps, évidemment ! Et ce qui est terrible, c’est qu’ils ne le savent pas." Ca aussi, trente ans après, reste cruellement d’actualité.
(par Patrick Albray)
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Aux Editions NIFFLE.
Couverture de GIR
Dessin de Franquin
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