Entre parodie et représentation documentaire, l’exposition décrypte les stéréotypes générés par ces représentations notamment au travers de cinq éléments qui structurent notre imaginaire : les outils, le feu, les animaux préhistoriques, l’art paléolithique et les mégalithes.
Les deux commissaires de l’exposition, Helena Bonet, la directrice du musée et le spécialiste de bande dessinée espagnol Álvaro Pons, nous ont concocté un parcours qui met les BD en parallèle avec les objets du musée et des albums, des planches originales et des vidéos où sont interviewés de divers auteurs espagnols et français ayant travaillé le sujet, de véritables experts ! Une idée originale qui mériterait peut être un petit détour cet été et au-delà puisque l’exposition se poursuit jusqu’en novembre.
Pour accompagner cette initiative, nous vous offrons ce petit feuilleton de l’été qui revisite ce thème dans la BD franco-belge. Il a été réalisé à partir d’un texte écrit pour le catalogue de cette exposition.
ENTRE PÉDAGOGIE ET PARODIE, LA PRÉHISTOIRE DANS LA BANDE DESSINÉE FRANCOPHONE
La représentation de la préhistoire dans la bande dessinée franco-belge est indissociable l’évolution de l’histoire culturelle de la nation. Son iconographie est née au XIXe siècle, sous le Second Empire et sous la IIIe République, au moment où l’historiographie de la Préhistoire en France s’emploie à asseoir une identité qui remonte aux Gaulois et si possible au-delà, afin d’affirmer la cohérence d’une nation qui, pourtant, a pris sur le tard le nom d’un peuple envahisseur : les Francs.
Ce corpus historique est contemporain des travaux sur l’hérédité de Charles Darwin (De l’origine des espèces, 1859) qui créa la surprise et l’incrédulité en affirmant la possibilité que l’homme puisse descendre du singe. Les caricaturistes lui prêtent aussitôt les traits d’un primate et ce syncrétisme s’installa pour longtemps dans l’imaginaire collectif. Les découvertes successives de fossiles distincts de l’Homo Sapiens : "L’Homme de Neandertal" en Allemagne (1856) et de "l’homme de Cro-Magnon" en France (1868) popularisèrent cette période de l’histoire en confirmant l’intuition de Darwin, même si aujourd’hui, d’autres découvertes ont relativisé ces analyses.
Ce corpus s’accompagne aussi de l’élaboration d’une « théorie des races » popularisée par les travaux de Joseph-Arthur de Gobineau (Essai sur l’inégalité des races humaines, 1853) donnant une justification pseudo-scientifique au destin des peuples civilisés supposés dominer les peuples frustes, que l’on considérait proches des premiers hominidés. Sous le prétexte du triomphe de la raison, ce fatras scientiste fit le lit d’un racialisme criminel, mais aussi, plus prosaïquement, de prétexte moral à l’aventure coloniale européenne en Asie, en Afrique et aux Amériques conférant à l’Occident une place de figure de proue de la civilisation.
Grande pourvoyeuse d’idées reçues, la bande dessinée colporte d’autant mieux ces clichés qu’elle s’inscrit dans une tradition scolaire qui, suivant les recommandations du philosophe David Hume, utilisait l’image pour l’éducation des jeunes.
La reconnaissance du 9e Art s’est établie, on le sait, progressivement, en une cinquantaine d’années par le biais de la démonstration de sa valeur éducative dans la seconde moitié du XXe siècle.
De La Guerre du Feu à Tarzan
Dans le domaine de la fiction, l’influence du romancier belge J.-H. Rosny aîné et de son ouvrage le plus connu, La Guerre du feu (1909) joua un rôle déterminant dans la définition iconique de l’homme préhistorique. L’auteur situe son intrigue 100 000 ans dans le passé, au temps des "hommes des cavernes". Il met en concurrence deux héros, l’un altier, fin, élancé et raffiné : Naoh, fils du Léopard ; il fait face à Aghoo, fils de l’Aurochs, décrit sous la forme d’une brute "velue", à l’allure simiesque.
Un autre modèle vient se superposer à cette représentation : c’est le personnage d’ Edgar Rice Burroughs, Tarzan of the Apes (1912), "l’homme-singe", dont la publication est contemporaine au Lost World (Le Monde perdu, 1912) d’Arthur Conan Doyle. On le retrouve par exemple déjà dans Tumak, fils de la Jungle de Raymond Poïvet et Georges Fronval, adaptation d’un film d’Hollywood (One Million B.C. de Hal Roach & Hal Roach Jr, 1940), dans L’Intrépide en 1948.
Le roman de J.-H. Rosny aîné est adapté aussi bien par le Belge Fred Funcken dans le magazine L’Explorateur (1948) que par le Français René Pellos dans Zorro (1950). Autant le Belge nous livre une démarque préhistorique de Tarzan, comme en témoigne son pagne en peau de léopard, autant la version de Pellos, un dessinateur populaire grâce à ses dessins sportifs mais aussi grâce aux Pieds Nickelés qu’il avait repris au décès leur créateur Louis Forton depuis 1934, se distingue par une caractérisation dans la droite ligne des idéologies du XIXe siècle : Naoh est une espèce de Kouros glabre et réfléchi, dont le profil apollinien n’est pas sans évoquer la statuaire fasciste, face à des êtres poilus et voûtés, stupides et agressifs, plus proches des grands singes que de l’Homo Erectus.
L’approche pseudo-historique
La Loi de censure de 1949 pour la protection de la jeunesse suscita une production intense de bandes dessinées édifiantes, notamment historiques, dont Les Histoires de l’oncle Paul dans l’hebdomadaire Spirou ou Les Histoires vraies dans Le Journal de Tintin sont l’exemple.
Fournisseur de récits historiques pour Spirou, l’écrivain Xavier Snoeck inspire la série des Timour (1953) dont la lignée des générations raconte l’histoire du monde. La première aventure raconte les aventures de La Tribu de l’homme rouge. Une lutte entre clans pour de la nourriture aboutit à un massacre. Le jeune guerrier roux Timour et un jeune assaillant blessé, Naoûm, décident de s’unir pour survivre. Ils affrontent divers animaux sauvages (mammouths, aurochs, ours géant...), tout en découvrant leurs congénères : pêcheurs des marais, tribus troglodytes... En permanence, c’est la lutte pour la survie, dans un contexte relativement réaliste.
Cette séquence ne dure que le temps d’un volume, la famille des Timour ayant d’autres siècles à découvrir. Elle donne peut-être l’idée à Édouard Aidans de lancer en 1962 dans le Journal Tintin la série Tounga. L’inspiration vient nettement, une fois de plus, du roman de J.-H. Rosny aîné. Tounga, le plus vaillant guerrier de la horde des Ghmours, défend les siens contre les tribus ennemies, les mammouths, les tigres à dents de sabre (ou smilodons), les aurochs, les gorilles géants et même un tyrannosaure ! Le dessin est davantage réaliste que celui de Timour, mais ce vérisme évolue vers une atmosphère plus fantastique sous l’influence de Rahan qui lui succède quelques années plus tard.
Le fils des âges farouches
Créé dans le numéro un de Pif gadget du 3 mars 1969, soit sept ans après Tounga, Rahan, "Le Fils des âges farouches", a pour dessinateur le talentueux André Chéret qui introduit dans la bande dessinée française les anatomies emphatiques de la bande dessinée américaine, comme dans le Tarzan de Burne Hogarth ou les Fantastic Four de Jack Kirby.
En raison du contexte de sa publication, cette bande dessinée a eu un impact déterminant sur le public francophone. Cette publication du Parti Communiste Français s’attachait à instiller dans se séries des valeurs éducatives et "sociales" défendues par le Parti : collectivisme de bon aloi, éminence du progrès, diabolisation du profit capitaliste, ce à quoi le scénariste de la série, Roger Lecureux, se plia sans rechigner...
Avec son physique avantageux, ses cheveux blonds et ses grands sentiments, Rahan combat l’obscurantisme, le refus d’évoluer, l’inintelligence, les superstitions, les idées du passé. C’est une des BD les plus diffusées dans les années 1970, le personnage ayant droit à son mensuel personnel, assorti comme il se doit du gadget approprié : Le coutelas ou le collier de dents de fauve en plastique.
Chéret, excellent dessinateur animalier, y convoque la plupart des créatures du bestiaire préhistorique qu’il décrit avec une grande puissance graphique et narrative. Comme pour les précédentes, cette série ne s’encombre pas trop de considérations historiques : Rahan se lave avec du savon et se rase avec son coutelas. On y aborde le thème du profit corrupteur, du féminisme, voire des méfaits de la drogue. Une certaine sexualité affleure, sans jamais verser cependant dans la vulgarité.
(A SUIVRE)
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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"Prehistòria y cómic"
Museu de Prehistòria de Valencia
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Jusqu’au 27-11-2016
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