"C’est la crise !" n’est pas votre premier album puisque vous en avez déjà commis quelques-uns, il y a une dizaine d’années, chez Triskel notamment.
Mon premier tout petit album a été publié en 1998 chez feue Triskel édition. Il avait pour titre "Ernest-Antoine" et traitait évidemment du patron du CNPF de l’époque. Cet album se voulait grinçant, un humour plus satirique que noir.
Puis j’ai enchaîné chez Déliou éditions par deux albums d’humour sur la parentalité à destination d’un public adulte, et quelques livres pour enfants toujours chez ce même éditeur.
Des petits tirages qui se sont vendus notamment grâce aux nombreux congrès auxquels je participe par le dessin en direct et qui, encore, reste une grosse part de mon activité.
Enfin, un livre chez Crocodile édition ; un livre intitulé "Humour noir dans couloir blanc" qui traite évidemment, comme l’indique son titre, de la mort. Un livre pour le coup très, très humour noir. Ce livre est un recueil de dessins issus justement de dessins réalisés lors des nombreux congrès sur les soins palliatifs dans lesquels je suis très souvent invité à réagir.
Durant cette période qui m’a vu passer d’éducateur spécialisé à dessinateur, j’ai surtout dessiné des outils de prévention qu’on me commandait du fait de mon métier dans le social.
Vous avez travaillé durant une quinzaine d’années comme travailleur social auprès d’un public en grande difficulté. Cela vous a finalement inspiré l’univers de Kévin et Jean-Johnny avec ce premier album : "C’est la crise !" ?
Depuis mon diplôme d’éducateur-spécialisé, je n’ai travaillé que dans l’insertion. Dans un CHRS, d’abord auprès de sans-abris, puis de femmes victimes de violences conjugales.
Dessinateur aujourd’hui, j’ai l’impression de prolonger mon ancienne activité en abordant les mêmes sujets dans mes dessins. En tentant d’y mettre beaucoup d’humour pour éviter tout misérabilisme.
D’ailleurs, face à des situations pénibles au quotidien, les travailleurs sociaux rient beaucoup évidemment pour exorciser. Les pires blagues circulent dans ces centres d’accueils mais seraient complètement inadaptées hors contexte. J’ai aussi entendu les pires blagues parmi les victimes aussi, sans-abris ou même victimes de violences conjugales. J’ai sacrément adouci les textes de Jean-Johnny et de Kévin, car ce livre ne s’adresse pas qu’à des professionnels de l’action sociale, juste des lecteurs attentifs à la misère sociale.
L’humour permet donc de tenir face à cette misère sociale dont vous deviez vous occuper... Vous avez également un regard tendre envers vos personnages ; vous leur dédiez d’ailleurs le livre.
C’est ça. De l’humour mais aussi beaucoup d’attachement pour ces "gueules cassées" que je côtoie encore parfois. Je ne pouvais pas faire autre chose que de leur rendre hommage car ils nourrissent ma vie, me hantent parfois, m’énervent aussi quelquefois d’ailleurs. Je vivais parfois 50 heures durant dans ce centre avec 28 personnes toxicos, alcoolos, dépressives battues, délinquants sortant de prison... Ça criait, ça rigolait, ça tapait aussi, ça vivait quoi.
Avez-vous des références en matière de bandes dessinée humoristique ou plus largement d’humour ? "Kévin et Jean-Johnny" est un peu une antithèse au monde merveilleux de "Boule et Bill"...
Peut-être que je vais surprendre mais ce que je lis, relis et relis encore c’est "Calvin et Hobbes". On y trouve de la tendresse, de la cruauté, des joies, des peines, des rires... Cette série est un chef-d’oeuvre et Bill Watterson est un génie.
J’ai aussi beaucoup lu Brétecher et Pétillon.
En ce moment j’aime lire Xavier Gorce dans le journal Le Monde. J’oublie aussi quand même Quino et Sempé dans un genre différent.
J’aime les dessinateurs vifs qui ont des trucs à dire. Comme Lefred Thouron par exemple. Le dessin n’est pour moi que l’expression du texte.
À quel type de lecteurs destinez vous cet album ? Les plus jeunes peuvent-ils comprendre cet humour ?
Alors là, c’est une question a laquelle je suis bien embêté de répondre. Je suis convaincu que la plupart des livres, surtout dessinés, peuvent être lus par un large public et entendus différemment.
Dernièrement, une lectrice m’a dit que son fils de 10 ans avait lu le livre et que ça avait été l’occasion de parler en famille des situations des autres enfants. Pour moi, ça c’est génial. L’idée de cette BD est celle-là. Je ne m’adresse pas à des fans absolus de BD qui vivent dans une bulle. Je souhaite m’adresser à des gens qui aiment aussi la BD et qui vivent dans notre monde.
Certains auteurs de BD se plaignent souvent, actuellement, de la "crise" qui les touche également dans ce milieu... Comment percevez-vous, vous-même, la situation ?
La BD est évidemment touchée comme l’ensemble des biens dits "culturels" en période de crise.
Mais il me semble difficile de s’en plaindre. On va pas obliger les gens à acheter des livres quand ils ne peuvent finir le mois.
Vous avez également participé au troisième tome du collectif "En chemin elle rencontre..." sur les violences faites aux femmes, aux éditions Des ronds dans l’O... Pouvez-vous nous en parler ? La violence conjugale est déjà présente dans "C’est la crise !", mais celle-ci ne touche pas que les milieux défavorisés...
D’abord j’ai été flatté que Marie Moinard (Éditrice et auteure, fondatrice des éditions Des ronds dans l’O. NDLR) m’invite à participer à ce magnifique album.
Il se trouve que dans mon métier d’éducateur, j’ai participé collectivement à la création d’un lieu d’écoute de victimes de violences conjugales en Bretagne. Ce sujet m’intéresse donc au plus au point. Je participe encore à des réunions avec des femmes victimes.
Non, évidemment, il n’y a pas de frontière sociale à la violence conjugale mais il se trouve que par mon activité, je voyais essentiellement des femmes marquées socialement.
Il faut éduquer, éduquer et éduquer encore les enfants. Le postulat de départ, et on peut en parler des heures pour rien, est que le violence est interdite.
Un homme qui bat sa femme une fois doit être soigné et éloigné de la victime. De nombreuses fois, j’ai rencontré des hommes qui parlaient sincèrement et qui étaient convaincus qu’ils ne recommenceraient pas, mais ils recommencent.
On soigne l’alcoolisme, le cancer. On doit considérer les hommes violents comme des malades psychiques. Mais, avant, on doit protéger les victimes, leur entourage, les aider à prendre leur autonomie, les accompagner. Et parfois soigner aussi psychologiquement ces victimes pour qu’elles se reconstruisent et ne retombent pas dans les griffes de ce genre d’hommes. Car en moyenne, il faut sept départs du domicile conjugal à une victime avant que ce départ soit définitif. J’enrage quand ces femmes retournent chez leurs mecs.
En france, malgré la loi, l’homme violent est celui qui garde le domicile et la femme battue se retrouve en foyer avec ses enfants. Il y a donc beaucoup à faire encore.
Quels sont vos prochains projets éditoriaux ?
J’aimerais un tome 2 de "C’est la Crise". Un 3 aussi d’ailleurs ! Pour développer les personnages. J ’écris en ce moment aussi une BD d’humour sur l’homoparentalité. Je ne l’’ai pas encore soumise à Marie Moinard. En parallèle, je travaille aussi un reportage sur les sans-abris que je continue de fréquenter.
Bref, c’est grave docteur !, que des sujets assez lourds que je vais tenter de rendre légers. Un peu plus en tout cas.
(par François Boudet)
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