Comment avez-vous appris que Futuropolis allait « renaître de ses cendres » ?
Une rumeur circulait au printemps dernier. Mais ce n’est qu’en septembre 2004 que j’en ai eu la confirmation de la part de Gallimard. Je me suis tout de suite opposé à ce qu’on réanime Futuropolis ! On m’a répondu : « Vous comprenez, c’est une marque qui vaut de l’argent. Nous allons la relancer. Vous pourriez y avoir un rôle de consultant, en devenant en quelque sorte une sorte de grand frère, de surveillant ». C’était bien évidement hors de question !
Pourquoi ?
Cette association entre Gallimard et Soleil pour relancer Futuropolis n’est qu’une opération publicitaire. Je connaissais la réputation de Mourad Boudjellal lorsqu’il était librairie à Toulon. On le percevait alors comme un soldeur ! J’ai mis en garde Antoine Gallimard contre cette association hasardeuse. Pourquoi vouloir déterrer ce pauvre Futuropolis que l’on a enterré en accord avec Antoine Gallimard ?
Gallimard et Soleil ont confié la destinée de cette maison à Sébastien Gnaedig. Il a une excellente réputation, et a insufflé une nouvelle dynamique aux éditions Dupuis en créant les collections Expresso, Empreintes, etc.
Je l’ai rencontré lors d’un déjeûner. C’est un charmant garçon, qui est sans doute un bon directeur de collection. Mais ce n’est pas un éditeur ! Il a toujours œuvré chez les autres et n’a jamais créé une structure éditoriale. Sera-t-il capable de gérer une maison d’édition ?
Comment les éditions Gallimard sont-elles devenues propriétaires de Futuropolis ?
J’avais créé cette maison d’édition avec Florence Cestac, qui fut pendant de nombreuses années ma femme. Elle a revendu ses parts à Gallimard. Ils nous ont ensuite aidé à passer un cap difficile en injectant de l’argent dans la maison. En 1994, j’ai revendu les +/- 10% restant pour le franc symbolique. Antoine Gallimard et moi-même avions d’un commun accord décidé d’arrêter de publier de nouvelles oeuvres.
Certaines mauvaises langues disent que je suis parti avec la caisse ! Cela me blesse profondément car j’ai toujours vécu d’autres travaux. Futuropolis était en quelque sorte ma danseuse ! Je suis avant tout graphiste et j’ai fait la maquette de nombreux journaux en parallèle avec Futuropolis [NDLR : Métal Hurlant et A Suivre, notamment]. En 1982, je suis devenu le directeur artistique de Canal+. J’ai également travaillé pour M6, la 7, Arte, etc.
Les livres édités n’ont jamais été soldés
Effectivement. Antoine Gallimard a respecté sa parole. Je lui avait demandé de maintenir les ouvrages disponibles d’auteurs tels que Baudoin ou Götting qui avaient, à l’époque, fait quasiment l’entièreté de leur production chez Futuro. Il était dès lors inconvenant de ne plus distribuer ou même de solder ces ouvrages.
Pourriez-vous définir l’esprit Futuropolis ?
C’est avant tout une démarche éditoriale ! J’étais éditeur, et je diffusais moi-même mes livres. Je m’impliquais dans les différents stades de la fabrication du livre : la maquette, la photogravure, l’impression, etc. C’est ce que j’appelle un véritable travail éditorial ! D’après ce que j’ai pu comprendre, Sébastien Gnaedig ne sera qu’un directeur de collection, pas un éditeur !
Pour vous, l’esprit Futuropolis, c’était donc de « l’Edition Artisanale », au sens le plus noble du terme ?
Exactement ! Ma démarche était à l’opposé de ce que veulent faire Gallimard & Soleil. J’ai été surpris en entendant qu’ils allaient publier à nouveau les anciens albums de Futuropolis. Vous savez, je n’ai jamais utilisé le terme « album » ! Si l’on se réfère au sens des origines latines de ce mot, un album réunit des pages pré-publiées dans les journaux.
Et puis, j’éditais des livres d’auteurs. Je n’ai jamais parlé de scénariste ou de dessinateur. Il y a une nuance importante entre un « auteur » et un scénariste ou un dessinateur. Cela me blesse lorsque j’entends les « repreneurs » parler d’albums, de scénaristes ou de dessinateurs ! Ils vont se servir d’un label auquel je suis profondément attaché. Nous avons toujours eu une très grande éthique éditoriale chez Futuro.
Que ressentez-vous aujourd’hui par rapport à cette reprise ?
Je suis très enflammé, car je suis blessé ! Je me retrouve dans une situation proche de la suivante : imaginez que l’on vous pique votre femme. Vous êtes encore amoureux d’elle et son nouveau compagnon vous dit : « Ne vous inquiétez pas ! Elle sera très heureuse avec moi, je lui procurerai beaucoup de plaisir ! ». C’est une situation difficile à accepter. Vous savez, être éditeur, c’est aussi avoir un rapport affectif avec « ses » auteurs, ses livres et son label !
Aviez-vous marqué votre désaccord lors de la publication de La Débauche et de la Boîte Noire en 2000 ?
Bien évidement. J’ai rencontré les différents intervenants, dont Didier Platteau (ancien directeur chez Casterman). Vous avez là l’exemple type d’une expérience éditoriale lamentable. La Débauche est en soi un beau livre, mais n’a strictement rien à voir avec ce qu’aurait pu éditer Futuropolis ! Ce livre a été imprimé sur du papier de mauvaise qualité et n’a bénéficié d’aucune approche graphique. C’était simplement un coup éditorial ! Des éditeurs tels que Casterman ou Dargaud auraient pu le publier.
Mais vous aviez publié Tardi pourtant.
Oui. J’ai également provoqué la rencontre entre Tardi et Léo Mallet. Ils ont publié un portfolio chez Futuropolis (La Déprime). C’était un véritable travail éditorial. Vous connaissez le brio avec lequel ils ont fait Nestor Burma aux éditions Casterman. Je les ai soutenus et j’ai réalisé les mises en pages des premiers albums. A cette époque, j’étais directeur artistique de Casterman, et m’occupais d’(A Suivre). Futuropolis n’était pas armé pour éditer Nestor Burma ! Ce n’était pas chez Futuropolis que les auteurs (ou moi-même) gagnaient leur vie. On y était pour faire des expériences éditoriales. Thierry Groensteen écrivait chez nous des choses difficiles d’accès , mais qui avaient le droit d’exister.
Ce nouveau Futuropolis est une chance pour les jeunes lecteurs de lire les œuvres que vous avez éditées.
Tant mieux ! Mais Gallimard va recevoir une pluie de lettres recommandées. Certains auteurs tels que Florence Cestac n’ont plus reçu de relevé de droits depuis des années. Et ça, ce n’est pas la faute des éditions Soleil !
N’avez-vous pas envie de créer une nouvelle maison d’édition ?
Futuropolis est une histoire ancienne ! Je suis toujours très actif dans le monde de la télévision. Je suis avec beaucoup d’intérêt le parcours de l’Association, vu que j’y suis « sociétaire ». J’assume le poste de directeur artistique pour un film d’animation qui est en cours de réalisation, Peur(s) du Noir. Blutch participe d’ailleurs à l’aventure. Tout cela en plus de mon travail chez Canal+, bien sûr.
Une adresse e-mail (futuro.dead.for.ever@free.fr)a été créée pour récolter les messages de soutien.
C’est un ensemble de libraires, d’auteurs et de journalistes qui sont contrariés par cette affaire. J’ai reçu près de six cents mails de soutien. Certaines personnes souhaitent que je réagisse, comme par exemple l’éditeur Taschen.
(par Nicolas Anspach)
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La photo de Etienne Robial est (c) DR.
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