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Evangelion s’invite à la Maison de la Culture du Japon à Paris

Par Romuald LEFEBVRE le 2 mai 2014                      Lien  
Le {Third Impact} promis par le réalisateur nippon Hideaki Anno au cours de l'année 2015 commence déjà à se manifester. En effet, cette version postmoderne de l'Apocalypse a engendré un avatar des plus singuliers : la rencontre entre l'univers de l'{anime Evangelion} et celle de la tradition séculaire des sabres japonais. Une exposition de la Maison de la culture du Japon à Paris a pour ambition de présenter une synergie entre ces deux héritages.
Evangelion s'invite à la Maison de la Culture du Japon à Paris
Rei Ayanami, un emblématique personnage de l’univers Evangelion, habillée d’un costume traditionnel japonais pour les besoins de l’exposition.
© khara

Evangelion et les sabres japonais est une exposition qui se tient à la Maison de la culture du Japon à Paris du 30 avril au 21 juin 2014. [1] Cette exposition a la particularité d’être itinérante : après avoir trouvé son public dans plusieurs villes nippones durant l’année 2012, il fut annoncé à la fin de l’année suivante que l’exposition parcourrait les métropoles européennes durant l’année 2014. Paris, capitale du deuxième marché mondial de produits culturels japonais, a dans ce contexte l’honneur d’accueillir une exposition attractive et d’un genre singulier.

Une question simple se pose quand on prend connaissance du sujet de cette exposition : quel rapport peut-il bien exister entre un dessin animé à l’univers futuriste comme Evangelion et l’artisanat traditionnel du sabre japonais ? De prime abord, les deux éléments semblent si éloignés l’un de l’autre qu’il parait difficile de leur trouver des points en commun. Et pourtant...

Selon Ueno Tetsuya, conservateur du Bizen Osafune Japanese Sword Museum, « Les expositions sur les sabres japonais n’attirent que les personnes âgées [au Japon]. Si l’on ne réagit pas, à l’avenir plus personne ne pourra transmettre cette culture, ces traditions et ces techniques. » L’idée à la source de cette exposition fut donc d’associer les meilleurs artisans japonais du sabre, présents dans le collectif All Japan Swordsmith Association, à une œuvre culturelle représentative du Japon moderne et dotée d’un fort degré d’attractivité auprès d’un public plus jeune. Leur choix s’est porté sur Evangelion.

L’un des sabres inspirés par Evangelion : le Counter Sword.
© All Japan Swordsmith Association

Mesurer l’impact d’Evangelion.

« Qu’est-donc Evangelion ? » pourra t-on se demander. Il s’agit d’un univers incontournable de l’animation japonaise dirigé par le réalisateur Hideaki Anno et composé de différents éléments. Le premier des ceux-ci fut la série Neon Genesis Evangelion, diffusée pour la première fois au Japon d’octobre 1995 à mars 1996. [2] La série compte vingt-six épisodes et connut un succès critique et populaire immédiat grâce à son intrigue de science-fiction novatrice, sa réalisation inspirée et très élaborée, mais surtout sa très grande finesse dans la caractérisation des personnages. L’impact de Neon Genesis Evangelion dans les années 1990 fut tel qu’il redonna un nouveau souffle à l’industrie japonaise de l’animation en facilitant les projets inédits et parfois plus matures destinés à la télévision nippone.

Durant le milieu des années 2000, affirmant que rien n’avait fondamentalement changé depuis sa série, Hideaki Anno décide de lancer la seconde phase de son univers : le projet de tétralogie cinématographique Rebuild of Evangelion. Dans ses films (2007, 2009 & 2012), Anno reprend les thèmes qui ont fait le succès de sa série originelle et leur donne une force nouvelle grâce aux dernières technologies de l’animation. Toutefois, il ne rend pas une simple copie améliorée à travers ces films : le déroulement de l’intrigue diffère puis change de direction au fil des films par rapport à la série originelle, ce qui amène les amateurs de longue date tout comme les nouvelles générations à se demander quels nouveaux rebondissements l’auteur va pouvoir apporter à son univers au cours de son dernier film en préparation.

Pour résumer, il y a trois types de films d’animation qui aujourd’hui drainent toutes les générations dans les salles obscures japonaises : les films d’Hayao Miyazaki (lui et Anno sont relativement proches, ayant travaillé ensemble et ce dernier ayant doublé le personnage principal du dernier film de Miyazaki, Le Vent se lève), les films inspirés de One Piece et les films Evangelion. Choix opportun donc si on souhaite s’adresser à toutes les générations dans ce pays.

L’entrée de l’exposition, bien gardée.
© GroundWorks : Co., Ltd.

Petit tour de l’exposition

Dès son arrivée au sein de l’exposition, l’amateur de l’univers Evangelion sera en terrain connu. Le visiteur est ainsi accueilli par une statue de l’EVA-01 de même que par un fond sonore au loin qui rappelle la bande-originale de la tétralogie Rebuild of Evangelion. De quoi raviver immédiatement les souvenirs.

L’exposition qui nous est présentée se compose principalement de pièces d’armes : sabres japonais datant du XIIIe au XIXe siècle, mais aussi sabres contemporains dont la fabrication a été inspirée par l’univers d’Evangelion. Selon les différentes explications données par les panneaux de l’exposition, l’univers d’Evangelion a stimulé la créativité des meilleurs artisans japonais du sabre dans le but notamment de transmettre l’image d’un savoir-faire qui peut répondre à des enjeux contemporains.

© All Japan Swordsmith Association
Une illustration de Yamashita Ikuto qui a inspiré l’un des sabres de l’exposition.
© khara/Ikuto Yamashita

L’exposition prend aussi soin d’expliquer les liens manifestes qui peuvent exister entre les deux thèmes. On retrouve ainsi la trace de ces anciens sabres japonais dans l’univers d’Evangelion dans le Visual Novel Shin Seiki Evangelion ANIMA où de célèbres sabres comme le Bizen Osafune ou le Magokuru Sword sont utilisés par les protagonistes. L’auteur de ce Visual Novel est Yamashita Ikuto, le designer des armes et des véhicules de cet univers. Parmi ses plus célèbres apports, nous soulignerons qu’il est à l’origine du concept visuel de la lance de Longinus et des célèbres Progressive Knives des EVA, leurs armes principales. De nombreux concepts visuels de Yamashita Ikuto ont donc inspiré les artisans dans leur travaux comme le montre l’exposition.

La pièce d’armes la plus imposante qui accueille le visiteur dans la salle d’exposition est d’ailleurs justement la lance de Longinus. Il s’agit d’une réplique de plus de trois mètres de l’une des armes les plus emblématiques utilisées dans l’univers d’Evangelion et de l’une de ses références ésotériques judéo-chrétiennes les plus reconnaissables [3]. Cette magnifique œuvre a été réalisée en 2012 grâce à la technique de l’acier de Damas qui donne une texture très particulière à la pièce. Un reportage en explique la fabrication, présentant notamment la manière dont a pu être obtenue la torsion spécifique de la lance. Comble du détail pour les fans, le reportage bénéficie d’un habillage particulier en rapport avec Evangelion, ce qui ne manquera pas de leur plaire.

La célèbre lance de Longinus d’Evangelion prend ici vie.
© All Japan Swordsmith Association

Sabre et animation : des fabriques similaires ?

Par la suite, l’exposition nous explique un autre lien évident entre ces deux univers. En effet, la fabrication d’un sabre japonais constitue une œuvre collective faisant intervenir une dizaine de personnes, tout comme la création d’un dessin animé, également fruit d’un travail collectif entrepris par plusieurs dizaines de personnes.

L’exposition propose ainsi un reportage intéressant et complet sur la fabrication d’un sabre japonais selon la tradition de la ville d’Osafune, les villes de montagne d’Osafune et de Seki étant les plus célèbres du Japon concernant la fabrication de sabres. Ce reportage permet de comprendre par l’exemple le travail en équipe que requiert la confection de tels objets.

En miroir nous est exposé le processus de création d’un dessin animé dans l’industrie de l’animation japonaise. On retrouve notamment des reproductions d’images originales de production, mises face-à-face avec leurs celluloïds utilisés pour le film. Ces images permettent de comprendre le rôle que jouent les scènes clés et les scènes intermédiaires dans l’animation à vingt-quatre images par seconde. Et met là encore en lumière la dimension collective de ce travail.

Le choix des images d’illustration s’adresse au fan de l’univers d’Evangelion, portant sur des scènes marquantes des derniers films : scène finale du film Evangelion : 1.0 You are (not) alone (2007), dans laquelle Shinji Ikari se porte au secours de Rei Ayanami, ou de la scène d’introduction d’Asuka Shikinami Langley extraite d’Evangelion : 2.0 You can (not) advance (2009).

Un sabre inspiré par le personnage de Kaworu Nagisa.
© All Japan Swordsmith Association

Deux univers qui se font face

Le cœur de l’exposition est organisée dans l’espace de manière intéressante : les sabres anciens et les sabres inspirés d’Evangelion se font face dans leurs vitrines respectives, ce qui permet de faire des allers et venues entre les différentes époques et les comparer, afin de comprendre parentés et permanences entre les pièces.

Ainsi, on pourra admirer grâce aux différents objets de divers siècles un travail toujours remarquable de la ligne de trempe, hamon, qui révèle un savoir-faire et une histoire imposants. D’ailleurs, l’éclairage et l’exposition des pièces ont été pensés pour permettre au spectateur d’immédiatement percevoir les lignes qui font la beauté et l’histoire de ces objets.

Une pièce d’armure attirera à coup-sûr l’attention des amateurs d’Evangelion dans cette exposition. On retrouve ainsi un Menpô (casque intégral) de l’époque Edo (XVII ème siècle) unique dans son genre : la protection de la bouche est ouverte, donnant une expression effrayante au casque. On est saisi dans ce contexte de constater un parallèle évident entre cette tradition militaire symbolisée par cet objet et l’expression célèbre du visage de l’EVA-01 lorsqu’il est en Berserk-Mode [4].

Anecdote amusante, de nombreuses pièces datant de l’ère Edo de l’exposition ont été prêtées par le Hayashibara Museum of Art : l’amateur de l’univers Evangelion ne pourra que sourire de l’homonymie avec la célèbre doubleuse et chanteuse japonaise Megumi Hayashibara qui a doublé notamment le personnage de Rei Ayanami.

Le personnage d’Asuka Shikinami Langley a l’honneur d’être la première figure féminine gravée sur un sabre japonais.
© All Japan Swordsmith Association

Entre tradition et modernité

Parmi les sabres présentés dans cette exposition, le regard se porte naturellement vers les pièces qui ont été inspirées par Evangelion à l’association japonaise des meilleurs artisans du sabre et élaborées autour des personnalités des principaux protagonistes de cet univers. Ainsi un Tachi dédié à Rei Ayanami (2013), un Katana pour Kaworu Nagisa (2013), ou un Tantô pour Asuka Shikinami Langley (2012) et Mari Illustrious Makinami (2012). [5] Il est amusant pour l’amateur d’Evangelion de constater qu’aucune pièce n’est présentée dans cette collection en l’honneur du personnage principal de cet univers, Shinji Ikari. Celui-ci pâtirait-il d’un tel déficit de popularité ou bien sa personnalité lunatique rendrait-elle particulièrement difficile son approche à travers la réalisation d’un sabre ?

Comme nous l’apprend l’exposition, les dagues gravées de style Morikiyo (XVe siècle) sont rares. On peut grâce à cette exposition découvrir une première dans l’histoire du sabre japonais grâce au travail de Katayama Kô : le Tantô inspiré de l’EVA-02 est le premier sabre japonais où une figure féminine est représentée (Asuka Shikinami Langley). Une très belle pièce qui mérite le déplacement, notamment pour la finesse et l’ingéniosité nécessaires pour parvenir à un tel résultat.

L’exposition comprend aussi de magnifiques objets et ornements autour des sabres anciens, mais aussi des éléments plus insolites comme de magnifiques raies dont la peau si granuleuse constitue un apport décisif pour confectionner la poignée de ces sabres.

Evangelion et les sabres japonais se révèle une magnifique exposition qui parvient à justifier amplement son postulat, celui de faire rencontrer de manière cohérente un artisanat séculaire avec un objet culturel contemporain. Un des beaux rendez-vous de ce printemps.

Deux célèbres hôtes attendent votre visite.
© GroundWorks : Co., Ltd.

(par Romuald LEFEBVRE)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Code EAN :

Evangelion et les sabres japonais, du mercredi 30 avril au samedi 21 juin 2014, à la Maison de la culture du Japon, 101 bis, quai Branly, 75015 Paris. Ouvert du mardi au samedi, de 12h à 19h, nocturne le jeudi jusqu’à 20h. Fermé les jours fériés. Prix d’entrée 5 €, tarif réduit 3 €. Gratuit pour les adhé­rents MCJP, les enfants de moins de 12 ans.

[1Maison de la culture du Japon à Paris – 101 Bis Quai Branly – Métro Bir-Hakeim ou RER Champ de Mars.

[2Il existe aussi un manga Neon Genesis Evangelion réalisé par Yoshiyuki Sadamoto, qui est par ailleurs le character designer de l’anime éponyme. Le manga a débuté dès décembre 1994 sur la base du projet d’Hideaki Anno et va se conclure avec un quatorzième tome à la fin de l’année 2014.

[3La lance de Longinus est notamment utilisée dans l’épisode 0.22 Humain, au moins d’aspect (1996) par l’EVA-00 piloté par Rei Ayanami afin de sauver l’EVA-02 d’Asuka Sôryû Langley du quinzième Ange (Araël) situé en orbite géostationnaire. Cette arme est aussi utilisée dans les finals des films Evangelion : 2.0 You can (not) advance (2009) et Evangelion : 3.0 You can (not) redo (2012).

[4Il s’agit d’un état où le pilote perd le contrôle de l’humanoïde géant qu’il est censé dirigé, devenu alors particulièrement violent. Nous pensons ainsi notamment à l’épisode 0.19, La Guerre d’un homme (1996), et son combat entre le treizième Ange, Zeruel, et l’EVA-01, puis sa ré-interprétation dans le film Evangelion : 2.0 You can (not) advance (2009).

[5Il existe quatre types de sabres (du plus long au plus court) : le Tachi, le Katana, le Wakizashi et le Tantô.

 
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