Le rendez-vous a eu lieu mardi dernier suscitant des réactions diverses. Souvenons-nous : fin février, les plus gros éditeurs de bande dessinée,du Syndicat National de l’Édition comme les plus petits représentés par le Syndicat des Éditeurs Alternatifs (SEA), faisaient communiqué commun pour signaler qu’ils ne participeraient pas au prochain festival d’Angoulême "si une refonte radicale n’est pas mise en œuvre dans les meilleurs délais", avec un objectif précis, formulé par Guy Delcourt : "Le festival doit être repensé en profondeur, dans sa structure, sa gouvernance, sa stratégie, son projet, et ses ambitions." Pour ce faire, il était demandé au ministère de la culture de nommer "dans les plus brefs délais", un médiateur qui donnerait la marche à suivre.
L’histoire du FIBD ne manque pas de ces bouleversements dramatiques : en 1989, suite à la gestion calamiteuse du maire de l’époque, Jean-Michel Boucheron, le festival manque de disparaître, faute de moyens. Il sera sauvé notamment par Michel-Édouard Leclerc, patron de l’enseigne de distribution qui porte son nom. En 2006, à la suite de la mise en touche du directeur de l’époque, Jean-Marc Thévenet, Franck Bondoux et une société créée pour la circonstance, 9eArt+, prennent le contrôle de la manifestation. Jusqu’au désastreux festival 2016 qui provoqua une bronca à l’origine de l’initiative des éditeurs aujourd’hui.
Au cabinet de la ministre de la culture
Le ministère de la culture a donc reçu les éditeurs. La ministre n’est pas présente, mais Roland Husson, son directeur de cabinet-adjoint et Silvy Castel sa conseillère chargée du livre, de la lecture, de la musique et du jeu vidéo sont là, de même que Nicolas Georges, directeur-adjoint de la Direction générale des médias et des industries culturelles en charge du Service du livre et de la lecture. Ce qui est nouveau, c’est que, face à eux, les éditeurs, représentés par Guy Delcourt pour la section BD du SNE (Syndicat National de l’Edition) et par Juliette Salique (présidente) et Jean-Louis Gauthey (porte-parole) pour le SEA (Syndicat des Éditeurs Alternatifs) ne sont plus seuls, il y a aussi des auteurs : Jeanne Puchol pour le Collectif des Créatrices de Bande Dessinée contre le sexisme, Marc-Antoine Boidin pour le SNAC BD (Syndicat National des Auteurs et des Compositeurs, antenne BD) et Denis Bajram pour les EGBD (États généraux de la Bande dessinée).
"Nous avons réitéré les uns et les autres notre position face à l’état du FIBD, le festival BD le plus connu au monde qui est dans une sorte de décrédibilisation internationale suite à la dernière, nous raconte Guy Delcourt. La problématique n’était pas de savoir si 9eArt+ donnait satisfaction, ce qui faisait partie des questions, mais quelque chose de beaucoup plus large en relation avec les fondations même du FIBD qui, aujourd’hui, nous apparaissent inadaptées eu égard à la taille de l’événement et de l’exigence de qualité que nous avons tous. J’ai été très satisfait de voir qu’auteurs et éditeurs faisaient front commun, ce qui ne veut pas dire que nous sommes tous d’accord sur ce que doit être un FIBD rénové, mais nous sommes tous d’accord sur le diagnostic actuel : si une réforme profonde, rapide, avec des résultats tangibles dans les semaines qui viennent, nous sommes tous prêts, auteurs et éditeurs, à ne pas participer à la prochaine édition. Cela a été dit avec la plus grande fermeté et visiblement entendu."
Mais que peut le ministère face à cette situation en réalité ? "Nous demandons un médiateur, nous dit Guy Delcourt, qui a une certaine envergure du fait de son parcours, une vraie affinité avec le monde de la culture, de l’édition et de la bande dessinée, qui ait une vraie force politique parce que le rôle des partenaires publics doit bien évidemment être pris en compte, pour faire véritablement ce travail de refonte."
"Une mort rapide plutôt qu’une longue et douloureuse agonie"
L’état a-t-il vraiment un rôle à jouer dans un événement qui appartient à une association indépendante ? "C’est peut-être là qu’est le problème, dit Guy Delcourt, cette association qui est à l’origine du FIBD n’est pas une entreprise. Elle est composée d’amateurs, par nature, de passionnés. elle est certainement tout à fait pertinente dans les premiers temps du festival, mais elle n’est plus adaptée vu la dimension prise par l’événement. L’état est manifestement impliqué dans tout cela, soit au travers du CNL, soit au travers des collectivités. Nous ne voulons pas entrer dans cette cuisine, les histoires de contrat, etc. Nous faisons un constat d’insatisfaction profonde. C’est peut-être paradoxal, mais nous préférons prendre le risque de le mettre en péril plutôt que de le voir se dégrader année après année. Un auteur a dit dans la réunion que nous préférions une mort rapide plutôt qu’une longue et douloureuse agonie. Le but n’est évidemment pas la mort, mais au contraire une renaissance du Festival. Pour cela, il faut en passer par une profonde remise en question."
Une affaire nationale
De là à mettre la tête de Franck Bondoux et de 9eArt+ sur le billot ? "Le périmètre de la problématique est beaucoup plus large, objecte Guy Delcourt. Le fait que M. Bondoux ait le mandat de l’association, cela les regarde. Nous ne voulons pas entrer là-dedans. On peut penser qu’il y a une problématique sur la façon dont tout cela a été conduit et c’est bien pour cela qu’il faut faire table rase. Nous n’avons pas à nous sentir liés par ces accords qui, finalement, empêcheraient toute réforme. Il faut prendre le problème de plus haut et réformer avec l’autorité nécessaire, par exemple celle de l’état. Pourquoi l’état ? Jean-Louis Gauthey de Cornélius l’a bien dit : le Festival a une dimension nationale, voire internationale. Il ne faut pas traiter le problème seulement à l’échelon local. la réflexion doit avoir lieu au niveau national. Le musée d’Angoulême est un musée d’état."
Cette délégation aura-t-elle des résultats ? Ses participants ont senti une écoute bienveillante et même favorable de la part de leurs interlocuteurs. "Nous attendons confirmation de la nomination d’un médiateur et la proposition d’un ou de plusieurs noms. Nous réfléchirons collectivement, auteurs et éditeurs, de manière à ce que, le plus vite possible, cette personnalité soit à l’œuvre" résume Guy Delcourt à la suite de l’entretien.
Alors que cette initiative vise à réformer les bases-même du FIBD, à savoir la relation de 9eArt+ avec l’association de Loi 1901 du FIBD, le collectif des Indignés d’Angoulême vise directement le patron de 9eArt+ : M. Franck Bondoux.
"Pourquoi M. Bondoux doit partir ?" s’intitule leur communiqué [en PDF, ci-dessous], et de lister tous les griefs contre le bonhomme dont Joann Sfar déclarait à Sud-Ouest qu’il avait "pris le festival en otage".
Nous avons demandé une réaction à l’intéressé. Sans réponse. "Le silence est comme le vent : il attise les grands malentendus et n’éteint que les petits" disait Elsa Triolet. La leçon n’est semble-t-il pas retenue.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion