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Fabien Nury : « J’aimerais avoir la concision des Greg et Charlier, mais nous n’employons pas vraiment le même langage »

Par Charles-Louis Detournay le 7 novembre 2010                      Lien  
Scénariste de T4 d’[Il était une fois en France->art11018], Nury vient également de sortir le premier tome de [la Mort de Staline->art11014]. Analysons ensemble sa façon particulière de traiter l’Histoire.

Chacune des séries de Fabien Nury laisse une trace à part dans la bande dessinée. Il traite de sujets simples aux thématiques étonnantes, comme l’amitié dans l’Or et le sang. Mais c’est ici l’homme au cœur de l’Histoire qui nous intéresse. Que cela soit le « grand’ homme » comme Staline et la tempête que peut provoquer sa disparition, ou un homme simple comme Joanovici, décidé de se battre contre tous pour s’en sortir… à sa manière !

Fabien Nury : « J'aimerais avoir la concision des Greg et Charlier, mais nous n'employons pas vraiment le même langage »
© Nury – Vallée - Glénat

Alors que le tome 2 le rendait presque sympathique, drapé dans une superbe de se tirer de tous les coups, Joseph Joanovici semble acculé dans ce quatrième tome. N’est-il pas devenu prisonnier de ses propres mensonges ?

Joanovici estime que tous les moyens sont bons pour survivre et pour arriver à ses fins. C’est efficace à court terme, mais sur l’ensemble d’une vie, cela vire à la malédiction. En effet, les moyens qu’il emploie l’obligent à d’autres mensonges, d’autres chantages… Ou pire. Dans le tome 4, il y a ce meurtre d’un jeune résistant, Robert Scaffa. Ce crime poursuivra Joanovici tout le restant de ses jours, et ce n’est que justice. Il n’y a plus de rédemption possible après un tel acte.

Une bonne part de la réussite de la série provient de l’ambiance que vous installez dans le récit. Mais ce découpage cinématographique est-il inapplicable à un 46 planches ?

J’ai été mal éduqué ! Presque tous mes albums font au minimum 54 planches. Je pense qu’en BD, ce sont l’action et l’émotion qui prennent de la place. Sur cette série, il est primordial de laisser un maximum d’espace à Sylvain, pour isoler un regard, ou « faire durer » un instant particulier… L’impact de certaines scènes est directement lié à l’espace qu’on leur accorde. J’aimerais avoir la concision d’un Greg ou d’un Charlier, mais eux se servaient souvent de textes narratifs. Nous n’employons pas tout à fait le même langage.

Découpage et cadrage d’une grande efficacité !
© Nury – Vallée - Glénat

La pagination des tomes a évolué : vous tourniez autour des 54 pages, pour passer ici à un cahier de plus.

La durée est dictée par le contenu de chaque épisode. Le tome 2 en faisait 56, parce que j’ai rajouté deux pages après que Sylvain ait commencé le dessin ! Il fallait vivre l’exode, ainsi que le retour de Joanovici à Paris en juin 40. Pour le quatrième opus, nous avons toujours su qu’il serait un peu plus long que les autres : il est plus dense, plus spectaculaire… Donc, 62 pages étaient nécessaires : si vous en voyez une qu’on aurait pu couper, prévenez-moi !(rire) Pour info, le tome 5 fera 58 pages.

Ce tome 4 se conclut par cette terrible ambivalence publique de Joanovici. On peut se demander ce que vous allez encore raconter dans les deux prochains récits ?

Ah, mais c’est qu’il va lui en arriver des choses, après la guerre ! En premier lieu, c’est le retour du Juge Legentil, que nous avions mis en place dans le tome 1. Son duel contre Joanovici va durer des années, et il sera sans merci. C’est quelque chose qui me passionne, et qui touche à l’identification au protagoniste : jusqu’ici, malgré tous ses crimes, on a envie que « Monsieur Joseph » s’en sorte. Mais une fois que les Nnaazis ne sont plus là, c’est une autre affaire ! En arrivant au sommet, Joanovici devient en quelque sorte « le méchant du film » : plus dure sera la chute…

Le questionnement de Joanovici renforce la crédibilité du récit.
© Nury – Vallée - Glénat

Le succès de votre série vous a-t-elle permis d’entrer en contact avec des personnes ayant connu Joanovici ?

Les éditions Glénat ont récemment été contactées par le petit-fils de Joanovici,
qui réside en Israël et envisage de réaliser un documentaire sur son grand-père. Il a découvert l’existence de la série, l’a lue, et finalement appréciée. Il était surtout stupéfait de voir que cette histoire suscite un tel intérêt...

Je lui ai parlé au téléphone, c’était assez émouvant.

Il porte un regard bienveillant sur notre travail, car il ne cherche en aucun cas à "réhabiliter" son grand-père ; Joanovici s’était coupé de sa famille de son vivant, comme nous allons le montrer dans la fin de la série.

"Il était une fois en France" est une série exemplaire pour qui veut comprendre la collaboration de certains Français avec les Allemands... pendant la Seconde Guerre mondiale.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Est-ce la réussite d’Il était une fois en France qui vous a permis de réaliser La mort de Staline ?

Disons qu’Il était une fois en France facilite mes rapports avec les éditeurs, d’une manière générale. Mais pour La Mort de Staline, Philippe Ostermann (Dargaud) s’est enthousiasmé pour le scénario dès 2007 et n’a cessé depuis de soutenir le projet. Je crois qu’il a vraiment aimé cette histoire, sans entrer dans des considérations commerciales.

On est toujours étonné de voir le trait de Thierry Robin s’adapter si bien aux univers divers ? Comment avez-vous travaillé cette immersion dans cette ambiance particulière ?

C’est un vrai coup de chance. Quand je lui ai proposé La Mort de Staline, Thierry se passionnait pour l’univers stalinien depuis plus de dix ans et il avait déjà accumulé une documentation incroyable ! Comme avec Sylvain [Vallée] ou avec Christian Rossi sur WEST, ce sont des dessinateurs qui, en plus de leur talent, ont une connaissance profonde de l’univers qu’ils dessinent. Ils comprennent cet univers et ne se contentent pas de l’illustrer superficiellement. Qui plus est, le trait de Thierry renforce l’aspect « comédie noire », qui est exactement le ton que je souhaitais donner à cette histoire.

Ce premier tome se conclut fort bien, mais que désirez-vous aborder dans le second ? La lutte ’fratricide’ pour le pouvoir ?

Les funérailles ! Staline est mort, et son enterrement va être dantesque. Là encore, je vais rester fidèle au déroulé historique de la cérémonie et de ses à-côtés, car ils sont bien plus absurdes et atroces que ce que je pourrais inventer. Bien sûr, en filigrane, nous aurons le dénouement de la lutte de pouvoir au sein du Politburo, et la chute de Beria. Mais dans La Mort de Staline, les complots m’intéressent moins que la folie des personnages et de ce monde totalitaire en deuil de son dieu.

L'ombre de Staline plane...

Quels sont vos autres projets ?

Les suites (et fins) de mes séries, c’est déjà pas mal : 4 ou 5 albums par an… Plus un XIII Mystery dont je reçois actuellement des planches superbes de Richard Guerineau. Puis Atar Gull, une histoire d’esclavage en one-shot, dessinée par Brüno. Il me régale, car tous les jours ou presque, j’ai droit à une planche d’enfer ! Et puis encore deux ou trois autres projets… Je me fais plaisir, en ce moment, et j’ai conscience de la chance que j’ai, de pouvoir travailler avec de tels dessinateurs. Pourvu que ça dure.

(par Charles-Louis Detournay)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Lire notre article présentant le quatrième tome de la série

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Lire nos articles et interviews précédents :
- les chroniques des tomes 1, 2 et 3
- Il était une fois en France et L’Affaire des Affaires primés par les médias
- Fabien Nury et Sylvain Vallée : « Nous avons rencontré nos lecteurs. » (avril 2010)
- Fabien Nury : "Une bonne série fantastique tient à la cohérence du principe établi " (juin 2009)
- Fabien Nury : "Je voulais ni réhabiliter ni condamner Joanovici" (juin 2009)
- L’article lançant la série
- Fabien Nury : « Pour moi, la période nazie représente le mal absolu » (novembre 2007)
- Fabien Nury : "J’aimerais faire des histoires dans à peu près tous les genres" (mai 2007)

Visiter le blog de Sylvain Vallée, le site de la série

Lire les premières pages de l’album

Photo en médaillon : © N. Anspach

 
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