Semaine dernière, SMS de Fabrice Neaud ; l’auteur du Journal (Ego comme X) : « Je suis à Paris. On peut se voir. »
Je l’appelle et je lui propose d’aller voir l’exposition Jossot à la Bibliothèque Forney, un magnifique lieu sur le bord de la Seine dédié aux arts graphiques. Fabrice accepte, en pensant à Olivier Josso, publié chez son éditeur Ego Comme X. Méprise : en réalité, il s’agit du Dijonnais Gustave Henri Jossot, peintre, affichiste et caricaturiste, anarchiste militant et anticlérical féroce, révolté de chaque instant qui, assez curieusement, se convertit à l’Islam en 1913 et finit par se faire oublier dans une retraite « parfumée » à Hammamet en Tunisie.
L’homme est de son époque, absolument. Jeune père, il gagne sa vie en dessinant pour les feuilles satiriques qui se sont multipliées depuis l’avènement des Républicains au pouvoir et surtout depuis la fameuse Loi sur la Liberté de la presse de 1881. Il fait ses premières armes chez les Symbolistes de la revue La Plume et se distingue par un trait épais et des couleurs franches inspirées des Nabis et des Fauves qu’il parodie sous l’influence d’artistes comme Félix Valloton mais aussi du style grotesque de certains artistes japonais comme Hokusaï. Son trait devient une cerne, ses couleurs expressionnistes. « Tout paroxysme est de l’art ! » proclame-t-il au moment où il publie « Mince de trognes ! »
Libertaire, son propos le devient très vite qui invective toute autorité : l’Église, l’armée, les juges… Le décès prématuré de sa fille le rend plus mordant, acide, désespéré. Gagnant sa vie dans l’affiche, où il s’accroche au firmament des Grasset, Roubille et Capiello, les meilleurs graphistes de son temps, il produit quelques rares caricatures avant d’être engagé dans L’Assiette au beurre à partir de 1901.
Il se déchaîne contre les « chieries sociales », rejoint les causes prolétaires défendues par ses compagnons de publication Grandjouan et Delannoy. Ses dessins « coup de poing » font mouche, confondent par une modernité aussi bien politique que graphique. Il dessine les électeurs, comme les fidèles de l’Église, sous la forme de moutons ou d’oies. Ses personnages dégueulent sur le drapeau à l’évocation de « la sublime idée de PATRIE »…
Sous un groupe de ganaches médaillées, il écrit : « Respect à l’Armée ! Respect à la Quincaillerie ! Respect à la Ferronnerie ! Respect à la Passementerie !!! »
Marianne est prisonnière entre deux militaires : « C’est une fille insoumise nommée Liberté ! » proclament-ils.
Un juge exulte : « Sur l’échafaud, seulement, cette brute comprendra qu’on ne doit pas tuer !... »
À un cadavre d’enfant noir au bout d’une baïonnette, un missionnaire s’exclame : « Ah ! Ah ! On vient se faire baptiser ! »
Sous un groupe de séminaristes, il écrit : « Croassez, mais ne vous multipliez pas ! ».
Son dessin le plus fameux (en médaillon) fait la Une d’un numéro de L’Assiette au beurre qu’il illustre entièrement, intitulé : « Dressage ». On y voit un curé qui garrotte le cerveau d’un jeune homme, solidement tenu par un militaire.
Réquisitoires sans appel.
Jossot découvre la Tunisie en 1896 et y retourne régulièrement après 1905, fuyant la rudesse des hivers parisiens, avant de s’y installer à demeure à partir de 1911. C’est sa période orientaliste dédiée à la peinture plutôt qu’à l’illustration et au dessin de presse. Attiré par le mysticisme de l’Islam, il se convertit en 1913, devient Abdoul-Karim Jossot surtout par réaction contre le colonialisme : « Je suis musulman par mon mépris des agités d’occident et par mon dégoût de leur bestialité, de leur cannibalisme : je rougis d’appartenir à cette race de « Sauvages blancs », écrit-il.
Fabrice Neaud apprécie, bien que ce genre de graphisme ne soit pas sa tasse de thé. Il s’arrête cependant devant un paysage noir et gris semé de cailloux blancs, impressionné par la perspective suggérée par l’artiste à partir d’un simple désert plat. Il s’attarde sur les hommages à Jossot rendu par des artistes actuels, de Cabu à Luz, en passant par Pétillon, Honoré et Willem, mais aussi Lolmède, dont il aime bien le travail.
Puis il retourne au boulot en cette après-midi ensoleillée car il a un album à finir pour Quadrants : un récit de fiction en couleurs –une première pour ce maître de l’autobiographie en noir et blanc- qui devrait paraître pour janvier 2012.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Jossot
Exposition du 1er mars au 18 juin 2011
Bibliothèque Forney
Hôtel de Sens
1 rue du Figuier
75004 Paris
Renseignements : 01 42 78 14 60
Du Mardi au samedi, de 13 à 19 heures.
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