Quand on considère aujourd’hui le succès de Walking Dead, aussi bien à la TV qu’en bande dessinée (chez Delcourt, en France), force est de constater qu’en matière éditoriale, les bonnes idées ne meurent jamais.
Déjà, Will Eisner avait inventé en 1940 un personnage donné pour mort, The Spirit, qui avait établi son domicile dans un cimetière. À la sortie de la guerre, comme pour conjurer un conflit mondial terrible qui s’était conclu par le génocide de la judaïcité d’Europe centrale et par l’usage de la bombe atomique, Max gaines sous le label EC Comics avait sorti une première bordée de comics d’horreur : The Crypt of terror, Vault of Horror et Haunt of Fear aussitôt visés par les ligues de vertus et étouffée par le Comic Code Authorithy (1954).
Dix ans plus tard, la société américaine a légèrement évolué, et le comics en particulier : Marvel entame sa révolution avec la création des personnages de Fantastic Four, Spider-Man, X-Men... qui donnent un coup de vieux à Superman et Batman, aseptisés par le Comic Code. Mais surtout, depuis 1952, Mad a ouvert en kiosque la voie à une bande dessinée qui échapperait aux fourches caudines de la commission de censure des éditeurs de comics. James Warren lance Creepy avec Russ Jones et Joe Orlando en 1964.
En vedette, le narrateur, Uncle Creepy, une sorte d’Oncle Paul des histoires d’horreur. Mais bientôt, Russ Jones cède la place à un narrateur de talent : Archie Goodwin, qui amène dans son sillage quelques-uns des meilleurs graphistes de sa génération : Neal Adams, Richard Corben, Johnny Craig, jack Davis, Steve Ditko, Frank Frazetta, Jeff Jones, John Severin, Angelo Torres, Alex Toth, Al Williamson, Wallace Wood, Barry Winsor-Smith et Bernie Wrightson.
D’abord trimestriel, Creepy passa bimestriel à partir de 1965. Publié en noir et blanc, le magazine a un point mort relativement bas, ce qui lui garantit une pérennité et, en même temps, un rayonnement international, y compris en France. C’est d’ailleurs la publication de la revue en Espagne qui permet à Selectionnes Illustradas, le label-studio créé par Josep Toutain, d’apporter le fin du fin de la création espagnole au milieu des années 1970 parmi lesquels José Ortiz, Esteban Maroto, Jaime Brocal, Luis García, José González, José Bea, ou Sanjulián.
Dans la foulée, la famille s’agrandit en 1966 avec le bimestriel Eerie, une sorte de compagnon de kiosque surtout créé pour étouffer la concurrence. En fin de course -car les magazines de BD meurent aussi, l’éditeur, à court d’argent, se mit à rééditer des anciens épisodes, ce qui eut pour effet d’assécher la créativité de ces journaux. Mais le choix qui nous est présenté ici est magistral.
La camarde est une vieille amie et sa représentation remonte à la mythologie grecque, mais il est clair que la source d’inspiration majeure d’Archie Goodwin, le principal animateur de ces publications est l’écrivain Edgar Allan Poe et ses nouvelles fantastiques versées dans le macabre, teintées de mystère et d’humour, dans lesquelles il recycle l’imagerie des effrois moyenâgeux et des antiques superstitions européennes.
Sa première qualité est de transcender les talents et chacun s’y exprime avec plénitude : Frank Frazetta et son dessin virtuose, les noir et blanc époustouflants de Joe Orlando, les doubletones de Al Williamson, les compositions graphiques ingénieuses d’Alex Toth, les matières subtiles de Gray Morrow, le dynamisme de Gene Colan... On y retrouve même Steve Ditko, le dessinateur de Spider-Man, transcendé par cette œuvre au noir.
Dans cette édition, on s’intéressera particulièrement au travail éditorial mis en place par Delirium : traducteurs de talent (Doug Headline, Alain David...) et un accompagnement critique de qualité : ainsi, devant des couvertures originales signées Jack Davis ou Frank Frazetta, on découvre une postface de Bernard Joubert qui relate comment Creepy fut interdit pendant quelques mois en France en 1969, des dossiers réalisés par des spécialistes américains et des biographies des artistes intervenants.
Un achat à inscrire dans la liste de vos cadeaux pour les fêtes, qu’elles célèbrent les morts ou les vivants.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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