À la mort de son époux, elle aurait pu prendre avant l’heure une retraite dorée, cultiver de loin sa mémoire en profitant gentiment de ses dividendes, les pieds en éventail sous les cocotiers, laissant à Casterman le soin de gérer ses droits...
Elle a au contraire défendu bec et ongles les mânes du créateur de Tintin, contre les aigrefins de tout poil, parfois même bien intentionnés, et non sans y perdre quelques plumes parfois. Car si l’œuvre d’Hergé, son apport à la culture universelle, est notre bien commun, elle a néanmoins jusqu’à 70 ans après la mort de l’artiste un propriétaire : Fanny.
Nous nous sommes posés la question : est-ce bien à elle que revient le mérite pour l’année 2011, ou n’est-ce pas plutôt à Steven Spielberg, voire à son vétilleux époux choisi en seconde noces et qui passe pour le Deus ex Machina d’une entreprise à faire du business, Nick Rodwell ?
Spielberg a pour lui d’avoir cherché, avec constance et fidélité, à adapter Tintin depuis ce jour de 1983 où il eut au téléphone son créateur. Hergé lui accorda sa confiance dans son dernier souffle. Le film qu’il a réalisé en association avec Peter Jackson, cette autre signature prestigieuse d’Hollywood, ouvre le marché anglo-saxon à Tintin et une grande partie de la planète où il était encore inconnu. Grâce à Spielberg, le héros de nos enfances est devenu une valeur universelle. C’est déjà un record au Box-Office et, pour la plupart, les amateurs de Tintin ne sont pas sentis trahis.
Mais si ce film est un bon film, il n’a pas pour autant acquis jusqu’à présent le titre de chef d’œuvre et passera probablement dans la filmographie du créateur d’E.T. comme une sorte d’Indiana Jones pour teenagers. Peut-être les nouvelles adaptations de Jackson et consorts vont faire mentir cette impression. Mais c’est celle qui nous reste à ce jour.
Nick Rodwell est certainement l’artisan principal de ce Worldwide comeback. Son talent d’entrepreneur a su s’accorder avec les armées d’avocats qu’Hollywood lui a adressés, aplanir les incompréhensions, éviter les pièges... Il a su unifier la gestion des droits de Tintin, rachetant les de Tintin Licensing, rognant les ailes de Casterman en créant le label Moulinsart en 1999, multipliant les projets éditoriaux sous la houlette de Didier Platteau, contrôlant la distribution jusqu’à chaque point de vente, tirant la gamme du personnage vers le haut pour mieux pouvoir la décliner le moment venu. Il a été le maître d’œuvre de cette stratégie qui s’articule autour du Musée Hergé (ouvert en 2009) et des films de Spielberg et qu’il a mis 20 ans à construire, avec courage (il en fallait pour écarter Claude Berri, Patrice Leconte, Jean-Pierre Jeunet, Jaco Van Dormael... du projet) et ténacité : " Dans la vie, j’ai beaucoup d’ennemis, mais peu de doutes" nous avait-il lâché dans un entretien qu’il nous accordait en 2007, même si ses détracteurs n’ont jamais ménagé leurs peine pour le diaboliser plus que de raison.
Ce sont précisément ses "gaffes", comme ses attaques maladroites à l’encontre de certains journalistes sur son blog ou son sens de la provocation qui nous ont convaincus que la seule récipiendaire légitime de la personnalité BD de l’année ne pouvait être que Fanny Rodwell.
Parce qu’elle n’était pas obligée de défendre avec autant de talent l’héritage que lui a confié Hergé. Elle n’avait pas épousé Tintin, après tout. On a bien d’autres exemples de successions qui ont enfoncent peu à peu un patrimoine dans la médiocrité et l’oubli. Parce qu’enfin, depuis près de trente ans, elle a su tenir le créateur bruxellois en haut de l’affiche avec l’aide, et parfois en dépit, de son entourage.
Rares sont ceux qui peuvent afficher un tel accessit : un musée prestigieux consacré à l’œuvre du maître bruxellois, financé sur sa propre cassette (plus de 20 millions d’euros quand même), des dizaines d’expositions réalisées dans les lieux les plus prestigieux du monde, des dizaines d’ouvrages de qualité sur l’œuvre d’Hergé dont une monumentale bibliographie et une sorte de catalogue raisonné réalisé par Philippe Goddin et, last but not least, ces films produits et réalisés par les plus fameux tycoons d’Hollywood. Et ceci, dans le strict respect de la volonté d’Hergé de ne pas voir Tintin vivre de nouvelles aventures après sa mort. Elle a traversé toutes ces épreuves, les polémiques, les calomnies, les coups du sort avec une dignité et une élégance sans pareille...
Pour toutes ces raisons, elle mérite que la rédaction d’ActuaBD lui consacre la distinction de "Personnalité de l’année 2011", succédant à Jean Van Hamme qui avait été sans conteste celle de l’année 2010..
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Photos : D. Pasamonik (L’Agence BD)
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