Le plus gros. C’est sans conteste Générations Marvel – La Chronique illustrée (traduction de Philippe Touboul, Hors Collection), une « brique » qui en impose. Elle est préfacée par Stan Lee himself, l’homme qui a, selon ses dires, inventé le vocable « Marvel Comics » et qui, du haut de ses 94 ans – dont 77 ans au service des comics !- explique que son travail avec Jack Kirby ou Steve Ditko consistait à leur remettre une brève description de l’histoire, à charge pour eux d’aménager cela. Une fois les pages rendues à l’éditeur, il les dialoguait, ajoutait les récitatifs et certaines onomatopées. Le titre « Marvel Comics » surgit avec le N°1 de la série en octobre 1939, soit un an après l’Action Comics de Superman et la même année que le Detective Comics de Batman. Il est édité par Martin Goodman, un éditeur de Pulps, ou Dime Novels, des romans populaires à 10¢ l’épisode. C’est pourquoi les premiers comics seront à 10¢ ! C’étaient des « romans populaires graphiques » en quelque sorte !
Stan Lee Presents
Goodman publiait déjà des nouvelles de SF sous le titre Marvel Sciences Stories dès 1938. Il ne fallut pas trop le pousser à publier des comics. Ce fut sous le label Timely Publications, éditeur du premier Marvel Comics. Son neveu Stanley Martin Lieber était encore minot quand il rejoint l’entreprise. Il y fera carrière sous le pseudonyme de Stan Lee, écrivant sa première histoire pour Captain America dès mai 1941. De ces années pionnières, de la création de Fantastic Four en 1961, Hulk, Spider-Man et Thor en 1962, Iron-Man, les Avengers et les X-Men en 1963, Daredevil en 1964,… jusqu’aux films au succès retentissants dans les années 2000, le bruit et la fureur n’ont jamais quitté l’univers de Marvel. D’où ce pavé de 400 pages débordant d’images qui égrène, à travers une multitude d’entrées synthétiques le parcours merveilleux de la « maison des idées ».
Une histoire de la bande dessinée de 1968 à nos jours
Plus large et plus restreint. Plus large, car c’est l’histoire de la BD mondiale qui est abordée dans Comics, une histoire de la BD, de 1968 à nos jours par Dan Mazur et Alexander Danner (Traduction de Hugo Luquet, Hors Collection). Plus restreint, car, comme le titre l’indique, le parcours commence en 1968. Pour la première fois dans un ouvrage américain, on brasse large puisque l’on passe du comics Underground de Crumb à Tezuka et à Garo, de Pilote et Gotlib à L’Écho des Savanes, du Roman Graphique et à la génération Raw à la Ligne claire et au Style atome, jusqu’à l’avant-garde allemande avec Strapazin, la bande dessinée alternative italienne (Frigidaire), espagnole (El Vibora) comme française (L’Association), sans oublier les grands courants contemporains de la BD britannique.
Mais comme d’habitude dans ce genre de projet, en dehors des chapitres américains plutôt bien renseignés mais qui ne sortent pas des schémas historiques conventionnels, tous les autres chapitres, en dépit d’un travail de lecture considérable, restent très superficiels. Les analyses sont le plus souvent sommaires quand elles ne sont pas erronées. Un ouvrage qui vaut pour ses qualités anthologiques plus qu’historiques. Comme disait Boileau dans L’Art poétique : « Qui trop embrasse, mal étreint… »
Mythologies
Pointu. Supergods de Grant Morrison (traduction d’Alex Nikolavitch, Editions Fantask), écrit par l’un des plus fameux scénaristes britanniques de son temps (on lui doit notamment All-Star Superman et Batman : Arkham Asylum) est d’un autre niveau d’analyse : il aborde les super-héros qui ont façonné l’histoire du comic-book comme un précipité des archétypes que nous trimballons depuis que l’humanité existe.
Un précipité transformé en une mythologie moderne structurée autour d’un dieu solaire (Superman) et d’un astre noir (Batman). Cela donne une histoire racontée par un créateur de comics qui suit les schémas de l’historiographie classique (Âge d’or, Âge d’argent, etc.) mais qui s’apparente davantage à une réflexion très personnelle sur la substance de ce métier de créateur de comics et son avenir, alors que son univers tout entier est avalé par Hollywood-Galactus sans qu’aucun Surfeur d’argent, à ne pas confondre avec les brokers de Wall-Street, n’apparaisse à l’horizon...
Il en conclut que la bande dessinée a perdu son pouvoir shamanique, sa magie : « J’ai été capable d’en tirer parti artistiquement, écrit-il, financièrement et, je l’espère, spirituellement, d’une façon qui n’aurait probablement pas été possible si l’on avait simplement supposé que notre Superman n’était qu’un cosplayeur… »
Ajoutons que c’est un livre érudit (je connais peu d’ouvrage sur la bande dessinée citant le Discours sur la dignité de l’homme de Pic de la Mirandole) et optimiste, car il invite très sérieusement à regarder ces fictions comme autant de thèmes de réflexion profonds : « Les super-héros m’ont montré comment surmonter la Bombe », écrit-il en substance. Il voit ce corpus comme autant de modèles héroïques qui perpétue un sens du cosmique et de l’ineffable « que les religions à papa ne sauraient même esquisser ».
En résumé, continuer à croire au Père Noël avec une foi d’enfant.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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