C’est un rituel dans le Hall 6 : le ministre de la culture vient visiter le stand collectif des éditeurs français. Mais cette année, Frédéric Mitterrand s’est plutôt attardé auprès du PDG du Groupe Hachette qui, tiens, a repris des mètres-carrés cette année… On se souvient que l’année dernière, le premier groupe d’édition de France s’était contenté d’une petite guérite décorée comme une pharmacie. Le « tout Internet » n’est semble-t-il pas encore la panacée…
Guy Delcourt s’était mis sur son 31 et s’impatientait de ce que le ministre arrive. C’est qu’il a à faire autre chose que les mondanités : « Un éditeur vient à Francfort pour vendre des droits d’édition et pour en acheter, nous explique-t-il. Et puis il vient aussi accessoirement pour sentir un peu l’air du temps, les états d’âme des différents acteurs des différents marchés, y compris la France : on se voit beaucoup entre éditeurs français ici. Cette année, il y a un peu de cafard quand même car l’état de l’édition en France n’est pas très bonne et la bande dessinée est désormais logée à la même enseigne que le reste de l’édition. »
Il poursuit : « C’est assez nouveau. Avant, la BD était un petit peu un cas à part, y compris en termes de performances économiques. Mais aujourd’hui, elle se retrouve dans les mêmes conditions que les autres, c’est-à-dire une croissance très faible voire absence de croissance ; des libraires qui ont des problèmes de trésorerie et qui donc retournent plus rapidement. Des mises en place qui baissent et des taux de retour qui montent. Rien de tragique mais une situation plutôt difficile. Avec des à-coups parfois brutaux, en particulier dans la grande distribution. Carrefour a voulu faire des mangas puis ils se sont aperçus qu’ils ne savaient pas trop faire, prenant ensuite un virage assez rapide. Tout cela contribue à une fébrilité de notre marché. »
En ce qui concerne les droits étrangers, il constate une progression ces dernières années mais, même si c’est un complément très important, un facteur d’équilibre de ses comptes puisque c’est d’une autre nature que la vente en librairie, une rentrée de cash sans investissement conséquent, cela n’a pas la même dimension financière que la vente en France. Mais ce travail est nécessaire, car la coédition est parfois la condition de l’existence d’une édition étrangère car, dans certains pays, les tirages sont de 1000 et 1500 exemplaires et ne seraient pas rentables sans une coproduction.
L’Amérique fait encore rêver
Chez Bamboo, le ton est nettement plus euphorique : « Le climat est bien meilleur que l’année dernière, constate Catherine Loiselet. Les éditeurs sont plus enthousiastes, plus nombreux, plus disponibles. Le retour au positif de leur situation économique les pousse à investir sur de nouvelles choses. Il n’y a plus vraiment un seul pays qui tire la croissance mais on peut remarquer que les Etats-Unis sont plus encouragés qu’avant pour développer des bandes dessinées franco-belges, en particulier dans le domaine de la jeunesse. »
Est-ce la baisse du manga dans ce pays ou l’arrivée prochaine des films de Tintin (automne 2011) et des Schtroumpfs (Août 2011) ? Nul ne sait. Mais c’est la bande dessinée pour enfants qui retient particulièrement leur attention. « Cela fait plaisir ! » conclut-elle.
La nouvelle topographie du 9e Art
Mais ce qui était remarquable cette année, c’était la guerre de position de certains éditeurs. Glénat par exemple. Il y a quelques années, il se trouvait encore avec les autres éditeurs français dans le stand collectif du BIEF. Puis il a décidé de prendre un grand stand séparément. Cette année, l’éditeur grenoblois est allé se loger au Hall 8 au beau milieu des éditeurs anglophones avec cette énorme accroche sur la façade : « Europe’s Leading Comic book Publisher » (Premier éditeur de bande dessinée d’Europe), ce qui en interloquera plus d’un.
L’autre fait amusant est la migration des éditeurs Reprodukt et Edition Moderne, les labels germanophones les plus notoires dans le domaine du « Roman Graphique ». L’année dernière, ils étaient avec tous les autres éditeurs allemands de BD dans la section « Comic » de la Foire : « Faszination comics ». Cette année, ils sont allés se loger dans le Hall 5 au milieu des éditeurs de littérature.
Le spécialiste allemand de la BD Klaus Schikowski analyse : « De plus en plus d’éditeurs s’adaptent au format du Graphic Novel, comme récemment Carlsen avec La Marie en Plastique de Rabaté ou encore Tokyopop Germany qui publie Lou ! dont le format a été réduit pour l’édition allemande. Je ne sais pas si c’est préjudiciable aux œuvres elles-mêmes, mais c’est un facteur qui a permis leur acceptation dans le réseau des librairies générales allemandes. Il y a mieux : La BD est maintenant chroniquée dans les colonnes littéraires des journaux allemands, ce qui était inenvisageable il y a encore quelques années ! La BD est désormais entrée en Allemagne dans le domaine de la culture respectable. Ce qui provoque la réaction violente d’un éditeur comme Splitter, l’éditeur à succès des titres de Soleil et de Delcourt en Allemagne qui se demande pourquoi on n’y parle que des « graphic novel » et pas de ses livres qui sont des bandes dessinées elles aussi. C’est un débat très vif en Allemagne aujourd’hui. »
« C’est paradoxal, note l’agent Paul Derouet, conseiller auprès du Festival d’Erlangen : Pendant des années, nous nous sommes battus pour que la BD soit reconnue comme une littérature à part entière. Maintenant que nous y sommes à peu près parvenus, ils se désolidarisent de l’ensemble de la profession. »
« C’est un faux débat, se défend Christian Maiwald, éditeur chez Reprodukt. Nous avons pu tester sur la Foire du Livre de Leipzig que notre clientèle était en fait très différente de celle des amateurs de bande dessinée traditionnels qui fréquentent la partie « Comic » de la Foire du Livre. Nous avons un profil d’acheteurs plus littéraire, plus adulte. Et les ventes sont bien meilleures quand nous sommes dans un environnement littéraire que dans un environnement de bande dessinée. C’est ce qui explique que nous ne nous sommes plus mis avec les éditeurs traditionnels de BD cette année. »
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.
Participez à la discussion