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Francfort 2010 : Marquer sa différence

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 9 octobre 2010                      Lien  
La Foire du Livre de Francfort qui a lieu chaque année en octobre est, depuis plus d’un demi-siècle, le rendez-vous traditionnel des éditeurs du monde entier. Là où se fabriquent les best-sellers mondiaux. La bande dessinée y est évidemment présente. Que viennent y faire les éditeurs de BD ? Enquête.

C’est un rituel dans le Hall 6 : le ministre de la culture vient visiter le stand collectif des éditeurs français. Mais cette année, Frédéric Mitterrand s’est plutôt attardé auprès du PDG du Groupe Hachette qui, tiens, a repris des mètres-carrés cette année… On se souvient que l’année dernière, le premier groupe d’édition de France s’était contenté d’une petite guérite décorée comme une pharmacie. Le « tout Internet » n’est semble-t-il pas encore la panacée…

Francfort 2010 : Marquer sa différence
Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et Arnaud Nourry, PDG de Hachette Livres à Francfort jeudi.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Guy Delcourt s’était mis sur son 31 et s’impatientait de ce que le ministre arrive. C’est qu’il a à faire autre chose que les mondanités : « Un éditeur vient à Francfort pour vendre des droits d’édition et pour en acheter, nous explique-t-il. Et puis il vient aussi accessoirement pour sentir un peu l’air du temps, les états d’âme des différents acteurs des différents marchés, y compris la France : on se voit beaucoup entre éditeurs français ici. Cette année, il y a un peu de cafard quand même car l’état de l’édition en France n’est pas très bonne et la bande dessinée est désormais logée à la même enseigne que le reste de l’édition. »

Il poursuit : « C’est assez nouveau. Avant, la BD était un petit peu un cas à part, y compris en termes de performances économiques. Mais aujourd’hui, elle se retrouve dans les mêmes conditions que les autres, c’est-à-dire une croissance très faible voire absence de croissance ; des libraires qui ont des problèmes de trésorerie et qui donc retournent plus rapidement. Des mises en place qui baissent et des taux de retour qui montent. Rien de tragique mais une situation plutôt difficile. Avec des à-coups parfois brutaux, en particulier dans la grande distribution. Carrefour a voulu faire des mangas puis ils se sont aperçus qu’ils ne savaient pas trop faire, prenant ensuite un virage assez rapide. Tout cela contribue à une fébrilité de notre marché. »

Guy Delcourt à Francfort 2010
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

En ce qui concerne les droits étrangers, il constate une progression ces dernières années mais, même si c’est un complément très important, un facteur d’équilibre de ses comptes puisque c’est d’une autre nature que la vente en librairie, une rentrée de cash sans investissement conséquent, cela n’a pas la même dimension financière que la vente en France. Mais ce travail est nécessaire, car la coédition est parfois la condition de l’existence d’une édition étrangère car, dans certains pays, les tirages sont de 1000 et 1500 exemplaires et ne seraient pas rentables sans une coproduction.

L’Amérique fait encore rêver

Chez Bamboo, le ton est nettement plus euphorique : « Le climat est bien meilleur que l’année dernière, constate Catherine Loiselet. Les éditeurs sont plus enthousiastes, plus nombreux, plus disponibles. Le retour au positif de leur situation économique les pousse à investir sur de nouvelles choses. Il n’y a plus vraiment un seul pays qui tire la croissance mais on peut remarquer que les Etats-Unis sont plus encouragés qu’avant pour développer des bandes dessinées franco-belges, en particulier dans le domaine de la jeunesse. »

Est-ce la baisse du manga dans ce pays ou l’arrivée prochaine des films de Tintin (automne 2011) et des Schtroumpfs (Août 2011) ? Nul ne sait. Mais c’est la bande dessinée pour enfants qui retient particulièrement leur attention. « Cela fait plaisir ! » conclut-elle.

La nouvelle topographie du 9e Art

Mais ce qui était remarquable cette année, c’était la guerre de position de certains éditeurs. Glénat par exemple. Il y a quelques années, il se trouvait encore avec les autres éditeurs français dans le stand collectif du BIEF. Puis il a décidé de prendre un grand stand séparément. Cette année, l’éditeur grenoblois est allé se loger au Hall 8 au beau milieu des éditeurs anglophones avec cette énorme accroche sur la façade : « Europe’s Leading Comic book Publisher » (Premier éditeur de bande dessinée d’Europe), ce qui en interloquera plus d’un.

Les éditions Glénat se trouvaient cette année dans le pavillon des éditeurs anglo-saxons
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Klaus Schikowsli : le clivage entre BD et Graphic Novel est un grand débat aujourd’hui en Allemagne
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

L’autre fait amusant est la migration des éditeurs Reprodukt et Edition Moderne, les labels germanophones les plus notoires dans le domaine du « Roman Graphique ». L’année dernière, ils étaient avec tous les autres éditeurs allemands de BD dans la section « Comic » de la Foire : « Faszination comics ». Cette année, ils sont allés se loger dans le Hall 5 au milieu des éditeurs de littérature.

Le spécialiste allemand de la BD Klaus Schikowski analyse : « De plus en plus d’éditeurs s’adaptent au format du Graphic Novel, comme récemment Carlsen avec La Marie en Plastique de Rabaté ou encore Tokyopop Germany qui publie Lou ! dont le format a été réduit pour l’édition allemande. Je ne sais pas si c’est préjudiciable aux œuvres elles-mêmes, mais c’est un facteur qui a permis leur acceptation dans le réseau des librairies générales allemandes. Il y a mieux : La BD est maintenant chroniquée dans les colonnes littéraires des journaux allemands, ce qui était inenvisageable il y a encore quelques années ! La BD est désormais entrée en Allemagne dans le domaine de la culture respectable. Ce qui provoque la réaction violente d’un éditeur comme Splitter, l’éditeur à succès des titres de Soleil et de Delcourt en Allemagne qui se demande pourquoi on n’y parle que des « graphic novel » et pas de ses livres qui sont des bandes dessinées elles aussi. C’est un débat très vif en Allemagne aujourd’hui. »

Joachim Kaps de Tokyopop Germany. Pour éditer "Lou !" de Julien Neel en Allemagne, il en a réduit le format.
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)
Christian Maiwald de Reprodukt : "C’est un faux débat."
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

« C’est paradoxal, note l’agent Paul Derouet, conseiller auprès du Festival d’Erlangen : Pendant des années, nous nous sommes battus pour que la BD soit reconnue comme une littérature à part entière. Maintenant que nous y sommes à peu près parvenus, ils se désolidarisent de l’ensemble de la profession. »

« C’est un faux débat, se défend Christian Maiwald, éditeur chez Reprodukt. Nous avons pu tester sur la Foire du Livre de Leipzig que notre clientèle était en fait très différente de celle des amateurs de bande dessinée traditionnels qui fréquentent la partie « Comic » de la Foire du Livre. Nous avons un profil d’acheteurs plus littéraire, plus adulte. Et les ventes sont bien meilleures quand nous sommes dans un environnement littéraire que dans un environnement de bande dessinée. C’est ce qui explique que nous ne nous sommes plus mis avec les éditeurs traditionnels de BD cette année. »

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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11 Messages :
  • "des libraires qui ont des problèmes de trésorerie et qui donc retournent plus rapidement."

    Des libraires qui retournent aussi plus rapidement des caisses de livres qu’ils n’ouvrent même plus tellement il y en a trop. Les mises en place qui baissent parce que les surfaces ne sont pas extensibles et que le nombre de lecteurs n’augmente pas aussi vite que le nombre de livres publiés.

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    • Répondu le 10 octobre 2010 à  15:08 :

      des caisses de livres qu’ils n’ouvrent même plus

      Je confirme : quand mon dernier livre est sorti, j’ai fait le tour des librairies parisiennes. La plupart n’avait même pas pris mon ouvrage, et dans les autres, quand le livre était sur l’ordi censé être présent en magasin, il était introuvable, parce qu’en fait il était dans la réserve, encore dans sa caisse, prêt à repartir. Autant vous dire que je n’en ai pas vendu beaucoup et que l’éditeur n’a aucune envie de retenter le coup avec un nouveau livre. On passe un an à dessiner passionnement un album et la distribution ne fait pas son travail et le tue dans l’oeuf, et je ne suis pas le seul, quel gâchis !

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  • Quel snobisme, quelle pédanterie dans ce clivage "roman graphique" d’éditeurs prout prout qui ont honte de publier de la BD, alors que ce n’est et que ça reste de la BD : lamentable !

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    • Répondu par Sergio Salma le 9 octobre 2010 à  21:19 :

      C’est bien plus complexe que ce simple clivage "roman graphique sérieux contre
      bédé pour les 7 à 77 ans". Nous avons des références et donc une culture bande dessinée totalement originale et unique au monde. Il n’y a que les Français et les Belges qui publient, lisent et collectionnent des albums depuis les années 30 ! Ce qui a donc fait depuis longtemps basculer ce qui est de prime abord un loisir pour enfants dans la bibliothèque.

      Quand le roman est devenu graphique (en plusieurs étapes évidemment, Pratt, Eisner, la revue (à suivre), Maus, la collection Aire Libre , l’Association et d’autres éditeurs pardon de schématiser) les amateurs de lecture de par le monde et notamment en Allemagne ont été intéressés. Ceux qui avaient ressenti les grandes mutations des années 60 et 70 puis la "maturation" des années 80 et 90 sont donc redevenus lecteurs( et donc éditeurs).

      Ils n’ont pas honte de cette autre bédé, ils n’en ont rien à faire c’est différent. En tant qu’éditeurs , ils sont libres d’éditer ce qui leur semble intéressant. Si pour nous , le spectre de la bande dessinée est très très large ( de la potacherie bas-de-plafond jusqu’à l’hermétisme esthétique) ça veut dire d’une part que nous avons les moyens d’absorber toute l’offre ( euh, là, ça commence à coincer dangereusement...) et d’autre part ça signifie aussi que nous manquons peut-être de discernement à cause de notre boulimie. Les auteurs étant nombreux, les éditeurs partants, le marché tourne à plein régime. Les autres pays n’ont jamais considéré que la bande dessinée faisait partie du monde de l’édition (romans, fictions, essais...) simplement parce que son poids économique était négligeable. En revanche la presse et la bande dessinée dans de nombreux pays ( Japon en tête) nous envoient à la figure d’énormes différences (tirages faramineux, adaptations multimédias etc...)

      Les leçons à tirer dans ces foires internationales sont multiples. La première concernant la bande dessinée est d’envisager la perception différente de celle-ci par les populations( voir déjà la grande différence entre la Belgique du nord et celle du sud). Il ne s’agit pas seulement de point de vue artistique mais aussi sociologique et même politique. Quoi ?! les petits miquets c’est politique ?! Absolument.

      Pour terminer une petite anecdote tragicomique. En dédicace dans un petit salon du livre du sud-ouest, je fus témoin d’une petite scène qui en dit long. Des familles, des couples se baladaient dans le petit chapiteau qui abritait les auteurs -jeunesse( les auteurs sérieux étaient dans les murs évidemment ). Puis entre deux petits dessins , j’entends une maman un peu débordée qui tente de contenir l’enthousiasme de sa gamine qui devait avoir 8 ou 9 ans :" Ah ! Non, Clara ! On n’achète pas de bandes dessinées ! On a dit des livres !".

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      • Répondu le 10 octobre 2010 à  08:35 :

        " Il n’y a que les Français et les Belges qui publient, lisent et collectionnent des albums depuis les années 30 !"

        Et les Suisses...

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      • Répondu le 10 octobre 2010 à  08:50 :

        " Ah ! Non, Clara ! On n’achète pas de bandes dessinées ! On a dit des livres !".

        Je me demandais pourquoi "roman graphique" et pas "roman dessiné". La réponse est là : "graphique" fait plus intellectuel que "dessiné". Dans notre belle culture française, le texte est mieux vu que l’image. Il y a quelque chose de péjoratif avec le dessin. Il suffit de voir comment il est enseigné dans nos écoles.
        "Roman graphique" donc, pour faire plus proche du signe, plus proche du concept. Le comble, c’est que la plupart des auteurs de BD sont plus des dessinateurs que des graphistes. Il sont encore rares les dessinateurs qui sont de véritables graphistes dans la BD. Pourtant, avant le roman graphique officiellement nommé et consacré, il y a bien eu Hergé et Chaland et quelques autres. Des auteurs qui étaient aussi d’excellents graphistes et qui arrivaient à intégrer cette dimension dans leur travail pour articuler parfaitement le récit avec l’image. Mais ils n’ont jamais fait de "roman graphique"... quoique... est-ce le format objet qui détermine le genre ou le fond ?

        Alors, ça veut dire quoi roman graphique ? Pas grand chose. C’est un peu comme Nouvelle Bande Dessinée ou Ligne Claire. Ce sont des appellations réductrices pratique pour les formatages de les communications commerciale, journalistique, critique...

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        • Répondu par Michel Dartay (de Zoo) le 11 octobre 2010 à  20:23 :

          En fait, c’est surtout que roman graphique est la traduction littérale du "graphic novel" américain. Je crois que l’expression est apparue lors de la sortie du "A contract with God" d’Eisner.

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          • Répondu le 12 octobre 2010 à  06:35 :

            et bande dessinée est la traduction de comics ?

            Quand bien même "graphic novel", n’est pas une bonne définition. Et ce n’est pas parce qu’Eisner était un géant que la définition est exacte.

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  • Francfort 2010 : Marquer sa différence
    9 octobre 2010 21:13, par Francois Pincemi

    Je trouve très amusant que Guy Delcourt déplore le ralentissement des ventes liées à la surproduction. Il me semble qu’il est l’un des plus gros producteurs en quantité (et non en qualité, les deux vont rarement de paire) sur les dernières années (comics et mangas compris), ayant même dépassé son associé ensoleillé de diffusion. L’arroseur arrosé, un classique intemporel, même s’il faudrait plutôt parler d’inondeur inondé. Arf arf arf !°)

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  • C’est paradoxal, pendant des années, nous nous sommes battus pour que la BD soit reconnue comme une littérature à part entière. Maintenant que nous y sommes à peu près parvenus, ils [les éditeurs de romans graphiques] se désolidarisent de l’ensemble de la profession.

    Quand on participe à un combat de longue haleine, on ne voit pas plus que pendant ce temps le paysage change.
    On est alors tout étonné à l’arrivée que son combat n’ait servi à rien ou qu’il ait manqué sa cible.

    En l’occurrence ici, il a servi à ce que le médium BD se diffuse dans le reste de la littérature, ce qui m’apparait comme bénéfique. Je comprends la frustration que peuvent ressentir quelques acteur du milieu, mais tout bouge tout le temps.

    Ce débat me rappelle les commentaires amers de certains dessinateurs "à la papa" devant le succès médiatiques des jeunes auteurs "branchés".

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    • Répondu le 11 octobre 2010 à  13:47 :

      la BD n’est pas de la littérature.
      Le roman graphique n’existe pas.

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