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Francfort 2013 (1/2) - Les romans graphiques et le cinéma boostent la BD franco-belge

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 18 octobre 2013                      Lien  
Face au développement des romans graphiques un peu partout dans le monde, la BD franco-belge a sa carte à jouer. Et pas seulement du côté de l'édition indépendante... La multiplication des adaptations cinématographiques d'année en année est un autre facteur de développement.

En 1975, Casterman lançait "les romans (A Suivre)" avec le Corto Maltese d’Hugo Pratt en figure de proue. En 1978, Will Eisner lançait aux États-Unis la mode du Graphic Novel qui ouvrit la voie à une nouvelle façon de faire des bandes dessinées, en leur donnant un tour plus mémoriel, ayant valeur de témoignage.

Le reportage BD emboîta le pas... Les éditeurs de comics se mirent à reluquer le format et convertirent leurs comics à cette norme. Mais les histoires de super-héros sont davantage configurées pour la "continuity" que pour les "one-shots" au goût littéraire.

Cette tendance ouvre une voie à la production européenne, en particulier franco-belge. "Il y a une vraie tendance depuis deux ans dans la publication des "Graphic Novel", nous dit Véronique Philibert-Philbois, directrice du département des cessions de droits aux éditions Glénat. Naguère, ils avaient une image très élitiste, très cérébrale. Cela s’est démocratisé dans beaucoup de pays. Les éditeurs des grandes maisons d’édition, notamment de littérature, se tournent vers les Romans graphiques." Et les marchés émergents, le Brésil, l’Argentine, le Mexique,... qui se méfient de l’empire américain, ne s’intéressent pas qu’au comic book : ils commencent à regarder ce qui se passe chez nous...

Francfort 2013 (1/2) - Les romans graphiques et le cinéma boostent la BD franco-belge
"Le Jeune Albert" d’Yves Chaland dans sa version américaine
"Les Ignorants" de Davodeau vient de sortir en Allemagne chez Egmont

Ainsi, chez Glénat, Chabouté ou Rabaté se trouvent traduits dans plusieurs langues et, cette année,Terra Australis de Laurent-Frédéric Bollée et Philippe Nicloux a séduit plus d’un éditeur étranger, , et pas seulement de l’hémisphère nord, alors qu’il s’agit un livre cher, de plusieurs centaines de pages !

Mais le joker de toute vente à l’étranger cette année, c’est le lien de la BD avec la sortie d’un film. "Avec « Le Bleu est une couleur chaude », nous avons eu un succès d’estime tout de suite, un bouche à oreille, bien avant le film, nous dit Véronique Philibert-Philbois. C’est pourtant le tout-premier livre de Julie Maroh que l’on a tiré à une quantité raisonnable, qui se trouve en rupture de stock au bout de trois semaines, pour lequel on fait réimpression sur réimpression. Nous en sommes aujourd’hui à plus de 50 000 exemplaires vendus. C’était le coup de foudre des libraires. Viennent ensuite les prix, dont celui d’Angoulême... Puis le film d’Abdelatif Kechiche... On a eu, bien entendu, un effet "Palme d’Or". Les gens nous demandent si on a adapté la BD du film, c’est drôle ! Il est pratiquement vendu dans 60 pays, alors que le sujet est loin d’être évident. Nous en sommes à 14 traductions et cela continue. Nous avons bien entendu ressorti une couverture qui renvoie vers le film."

Simone Romani, l’éditeur italien de Lizzard, filiale de Rizzoli qui en a acquis les droits, confirme : "L’ouvrage paraît à la mi-octobre alors que le film sort en Italie le 24 octobre et sera diffusé dans 150 cinémas, ce qui est exceptionnel pour ce genre de film. Avec la Palme d’Or, ce n’est plus un film français désormais, c’est bien au-delà. Et puis, ce genre de sujet pourrait plaire au nouveau pape, semble-t-il. Il annonce des tas de choses surprenantes ces derniers temps !", dit en riant cet éditeur qui avait réussi à vendre 17 000 exemplaires de Valse avec Bachir, 15 000 ex de Broderies de Marjane Satrapi et, réimprimant l’album pour la cinquième fois, plus de 10 000 exemplaires des Chroniques de Jérusalem de Guy Delisle.

Le Bleu est une couleur chaude en français, en espagnol, en italien et en coréen.

Vent en poupe en Allemagne

"Pour nous, la séquence est intéressante car les romans graphiques marchent de mieux en mieux, nous dit Jutta Harms de Reprodukt, l’éditeur berlinois de l’avant-garde du 9e art. Ce n’est pas précisément un "boom", mais c’est en progression constante. Depuis quelques temps, les éditeurs de littérature, voyant le succès de Persepolis de Marjane Satrapi, se sont mis à publier ce type de livre. Le fait est que ce phénomène va en s’élargissant. Notre maison d’édition a été invitée à participer à des événements littéraires, des institutions vénérables s’intéressent à nous, la bande dessinée jouit maintenant en Allemagne d’une véritable reconnaissance. Ce qui signifie pour nous une concurrence de la part de grands groupes qui ont des budgets de promotion bien plus importants que les nôtres. Mais, dans le même temps, les libraires sont bien plus réceptifs qu’avant aux bandes dessinées et aux romans graphiques, alors qu’il y a peu, en Allemagne, c’était honteux de lire une bande dessinée. Cela va mieux, mais c’est encore loin de la situation de la France. Un auteur qui vend 40 000 exemplaires en France vend 4 000 exemplaires en Allemagne. Il faut diviser par dix, mais c’était pire encore il y a seulement cinq ans. "

Jutta Harms (Reprodukt)

David Basler, l’éditeur suisse-allemand d’Edition Moderne, qui avait réussi un véritable "hit" avec Persepolis (plus de 100 000 exemplaires), est d’accord avec cette assertion : "Désormais, en Allemagne, on désigne de moins en moins la bande dessinée sous le terme de "comic". Il a été remplacé par celui de "Graphic Novel". Ca sonne plus sérieux et cela permet de rentrer plus facilement dans les librairies. Entre-temps, la grande maison de littérature Suhrkamp Verlag publie Nicolas Mahler, avec une BD sur Thomas Bernhard, et comme je publie aussi Nicolas Mahler, je vends plus !"

David Basler (Edition Moderne)

Basler constate un changement qui favorise les créateurs locaux : "En Allemagne, la plupart des bandes dessinées publiées sont des licences. Il y a dix ans, il n’y avait quasi pas d’auteurs allemands. Mais entre-temps, grâce aux Graphic Novels, leur nombre s’est mis à augmenter et ils commencent même à être publiés en France. Auparavant, seuls Ralf König ou peut-être Thomas Ott avaient cette possibilité. Aujourd’hui, il y a Reinhardt Kleist, Isabelle Kreitz, Ulli Lust,... de plus en plus d’auteurs apparaissent. Le problème pour eux, c’est qu’ils ne reçoivent pas en Allemagne d’avance substantielle sur leurs droits d’auteur. Même les plus connus doivent avoir un boulot à côté : ils sont profs ou ils font de l’illustration . Il n’y a pas de support pour la création, aucune bourse pour les aider... Alors, la tendance est qu’ils viennent se faire publier directement en France."

Car en dehors de Persepolis, les tirages sont encore modestes : 3000 exemplaires pour Moi, René Tardi, pas davantage pour Une Vie chinoise... La tendance est à la consolidation, certes, mais le vrai joker reste encore et toujours le cinéma.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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2 Messages :
  • « Bleu est une couleur chaude », nous en sommes aujourd’hui à plus de 50 000 exemplaires vendus.

    AHAH ! Je vous l’avais dit, incrédules !

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    • Répondu par L’acadien le 21 octobre 2013 à  00:35 :

      Ce n’est pas parce que la directrice du département des cessions de droits le dit que c’est vrai. Dans ce métier il y a une façon d’exagérer les chiffres pour convaincre son homologue étranger du potentiel d’un titre. C’est plus efficace de gonfler les chiffres (je ne dis pas que c’est le cas pour le Julie Maroh) que de dire "on n’en a vendu que 6 000, mais c’est un bouquin vraiment super !".

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