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Francfort 2014 (2/3) - Allemagne, Hollande, Finlande... ou la difficulté d’exporter

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 octobre 2014                      Lien  
Comment se comporte la BD, et la BD franco-belge en particulier, en Europe? Notre visite à la dernière Foire du Livre de Francfort nous a permis de mener notre petite enquête.

Notre premier marché en Europe est incontestablement l’Allemagne. Après une crise marquante il y a près de cinq ans, le pays de madame Merkel a rebondi de façon remarquable dans le domaine de la bande dessinée, en particulier en 2013 : "La situation est étrange, car le marché progresse de façon remarquable en Allemagne, nous dit Klaus Schikowski, responsable du secteur bande dessinée et roman graphique chez l’éditeur allemand Carlsen. Le chiffre d’affaire du secteur a fait un bond de 25% par rapport à l’année dernière, ce qui signifie que les bandes dessinées se vendent encore bien dans notre pays, alors que le reste du marché du livre est en régression." Cette progression du marché s’est accompagnée d’une augmentation du nombre de titres avec son corolaire : une baisse notable des tirages.

+ 25% en Allemagne !

Est-ce l’effet d’une "bulle", un moment atypique qui n’est pas vraiment représentatif du marché ? "Je ne pense pas, répond Klaus Schikowski, nous constatons une progression de vente de notre fonds de catalogue, ce qui signifie que les personnages classiques vendent très très bien. “Spirou” par exemple connaît un étonnant regain d’intérêt : nous avons atteint le cap d’un million d’exemplaires vendus en cumul, ce qui est pour nous une très bonne nouvelle ! Depuis deux mois, nous avons entamé la politique française des intégrales, à la manière de celles de Dupuis qui sont très belles. Les ventes sont très satisfaisantes. Mais il faut aussi convenir qu’il y a un "effet Astérix" qui a fait revenir les lecteurs dans les librairies..."

Francfort 2014 (2/3) - Allemagne, Hollande, Finlande... ou la difficulté d'exporter
Klaus Schikowski, heureux éditeur de "Spirou" chez Carlsen Verlag.

"Quand vous regardez la liste des meilleures ventes en Allemagne entre l’année dernière et cette année, poursuit Schikowski, vous trouvez dans les 20 meilleures ventes les bandes dessinées de Disney, Astérix et Tintin. Ces trois séries sont en permanence dans le Top 20. La bande dessinée “Kinderland” de Mawil chez Reprodukt a créé la surprise en déboulant dans cette liste, mais pour la plupart, le Top 20 est uniquement constitué de classiques publiés par Egmont et Carlsen."

Kai-Steffen Schwarz, le "Monsieur Manga" de Carlsen Verlag

Les mangas font 60% du marché allemand

Les mangas participent-ils à cette embellie ? "La première grande série de mangas arrivée en Allemagne, c’était Akira en 1991, nous raconte Kai-Steffen Schwarz, directeur de la section "Manga" chez Carlsen. Le grand "boom" a commencé avec “Dragon Ball” et “Sailor Moon” à la fin des années 1990. Le marché s’est ensuite développé mais les séries programmées à la TV n’étaient pas aussi abondantes en Allemagne qu’en France, en conséquence de quoi le marché a évolué en fonction de ces programmations. Ces dernières années cependant, le marché s’est élargi, les maisons d’édition de mangas sont plus nombreuses : derrière Egmont et Carlsen, il y a maintenant Tokyopop et Kaze. Les mangas font 60% du marché de la bande dessinée dans les librairies qui sont leur principal lieu de vente. Mais ces quatre dernières années, leur progression a été en moyenne de 10% par an. Cela dit, contrairement à la France où les nouveautés sont de 110 à 130 titres par mois, nous restons à une offre de 70 à 80 nouveaux titres mensuels. À part quelques best-sellers qui font 30 000 ex., la plupart des ventes se situent entre 4000 et 6000 ex. Comme en France, les grandes séries se raréfient, mais on le constate de plus en plus, des séries s’installent sans le concours automatique des passages TV. En ce qui nous concerne, nous avons eu la chance d’avoir “Naruto”, “Dragon Ball” et “One Piece” dans notre catalogue."

Les éditeurs européens de mangas se concertent-ils entre eux ? "Bien sûr, nous répond Kai-Steffen Schwarz, nous échangeons entre nous pour partager des idées marketing mais, fondamentalement, les marchés sont très différents : il y a des séries qui marchent très bien au Japon ou en France et pas du tout en Allemagne. Ainsi, le seinen n’était vraiment pas développé en Allemagne. Il y a trois ans encore, il n’y avait presque rien. 70 % des acheteurs de mangas en Allemagne sont des filles et des jeunes femmes. On a constaté récemment qu’elles aussi aimaient les lectures plus sombres, plus sérieuses et plus violentes du seinen. Un nouveau marché est en train de naître..."

Johann Ulrich d’Avant Verlag à Berlin.

Les labels indépendants profitent aussi de cette embellie ? "Depuis notre création il y a 13 ans, nous raconte Johann Ulrich d’Avant Verlag à Berlin, nous sommes en croissance, que ce soit en nombre de titres produits ou en termes de ventes. Nous publions au rythme de 12 titres par an. Nous envisageons de passer l’année prochaine à 14, voire 16 titres. Nous avons pas mal de projets, qu’ils viennent d’Australie, d’Afrique du Sud, et bien sûr de France, d’Italie, d’Espagne, de Finlande, de Norvège...

Nous nous sommes professionnalisés au cours des années, que ce soit dans le domaine de la distribution ou du marketing. Nous avons accru notre présence en librairie générale, un marché très différent des librairies traditionnelles spécialisées en BD. Nous venons de publier avec beaucoup de succès l’ouvrage de l’Africain du Sud Anton Kannemeyer, Papa in Afrika, une parodie de Tintin qui s’est épuisée en moins d’une dizaine de jours. Autre succès marquant : Invisible Hands du Finlandais Ville Tietäväinen qui raconte une histoire d’immigration au travers de la Méditerranée jusqu’en Europe. Un album qui devrait paraître en français chez Casterman, je crois.

Les ventes avoisinent les 3000 exemplaires, ce qui est un bon résultat pour un prix de vente de l’ordre de 25€."

L’éditeur berlinois publie Grand Vampire de Joann Sfar sous le titre simplifié de Vampir. Le succès est au rendez-vous puisqu’ils en sont à la deuxième édition. La réussite particulière du catalogue de Avant Verlag est sa capacité de publier des auteurs allemands auprès de la plupart de ses partenaires francophones : Sarbacane, Ici Même, Cà & Là, Cambourakis ou le Suisse Atrabile les ont mis dans leur catalogue. Une internationale de la petite édition se constitue peu à peu..

Alexis Dragonetti montre l’édition chinoise du best-seller flamand "Jommeke" de Jef Nijs

La Flandre et la Hollande dans le sillage de la production francophone

Dirigé par un ancien cadre de chez Dupuis et Dargaud-Lombard, Alexis Dragonetti, Ballon Media domine de la tête et des épaules le marché des traductions néerlandophones dans le domaine de la bande dessinée francophone. "Nous avons comme ambition d’être le partenaire à différents niveaux de la bande dessinée franco-belge sur deux marchés, la Belgique néerlandophone et la Hollande. Nous offrons tous les services, parfois partiellement : le choix éditorial, le travail marketing au niveau du produit, la promotion, la diffusion, la distribution, la traduction, le lettrage, la mise en page... L’entièreté de la chaîne du livre peut être traitée par Ballon Media. Aujourd’hui, nous travaillons avec Dupuis, Dargaud, Lombard, Glénat et Casterman. Nous sommes également éditeurs nous-mêmes d’une série-phare historique, “Jommeke” (“Gil & Jo” en français) dont le volume des ventes représente un million d’exemplaires par an. Notre activité couvre entre 40 et 50% du marché néerlandophone de la bande dessinée."

"Le marché est plutôt dynamique, poursuit Alexis Dragonetti, même s’il faut distinguer la Flandre de la Hollande. La BD tient plutôt mieux le coup que la plupart des segments de l’édition. On est même plutôt en croissance. Le phénomène de la “bestsellerisation” existe de plus en plus chez nous également : on vend davantage de moins en moins de séries. Les problèmes qui existent sur le marché francophone, comme la surproduction, se reproduisent chez nous. Comparées aux 5000 nouveautés francophones, nous dépassons le cap des 1500 nouveautés par an, ce qui, par rapport à la taille de notre marché, est simplement gigantesque. Comme chez nous, les volumes de vente sont plus petits, la rentabilité en devient plus complexe. L’impact de cette surproduction est donc potentiellement dangereux. Nous veillons à ce que les fonds que nous diffusons ne se cannibalisent entre eux. C’est pourquoi nous refusons plus de diffusés que nous en acceptons."

La caractéristique du marché néerlandophone est l’implantation durable des grandes séries classiques locales Bob & Bobette, Jommeke, Kiekeboe et De Rode Ridder, avec des albums brochés au prix de vente modeste, environ la moitié du prix de vente des albums francophones. Cette caractéristique a fait en sorte que le marché est resté relativement imperméable aux mangas.

"J’ai participé en 1996 -j’étais encore chez Dargaud- au lancement de Kana en Hollande, pour surfer sur une vague qui correspondait vraiment à une demande du public. Cela n’a jamais été rentable à cause de la force de la production locale, mais aussi parce que les prix en Hollande et en Flandre, du fait que les albums sont brochés n’offrent pas un écart aussi significatif entre le prix d’un album cartonné francophone et celui d’un manga. Enfin, les coûts de traduction et d’adaptation étant incompressibles, il faut un tirage suffisant pour les amortir et ce tirage n’est pas au rendez-vous. À cela s’ajoute le fait que l’on avait complètement sous-estimé le fait que les Hollandais lisaient les mangas... en anglais et les Flamands... en français ! Pour ces différentes raisons, les mangas n’ont jamais réussi à s’imposer en Hollande et en Flandre. Même que les comics US restent marginaux sur ces marchés en dépit du fait que la société hollandaise est un peu plus "américanophile" que la Belgique néerlandophone."

Pasi Vainio, PDG de Otava Publishing et son best-seller Mauri Kunnas

La Finlande, invitée d’honneur de la Foire du Livre de Francfort 2014

La Finlande était l’invitée d’honneur de la dernière Foire du Livre de Francfort. L’occasion de nous intéresser à la présence de nos bandes dessinées dans ce pays. Même constat qu’en Hollande et en Flandre : ce petit pays résiste aussi à la bande dessinée étrangère en raison de la forte implantation de sa production locale : "Le marché finlandais de bande dessinée a chuté un peu ces dernières années, nous dit Pasi Vainio, PDG de Otava Publishing, l’un des plus grands éditeurs de livres et de magazines du pays, par ailleurs l’éditeur de “Tintin” en Finlande. Principalement en raison d’un marché intérieur dont les publications sont l’émanation de BD prépubliées dans les quotidiens locaux. Néanmoins, l’Association des éditeurs de bande dessinée et les petits éditeurs indépendants sont très actifs sur le marché, mais ils opèrent, avec des ouvrages d’une grande qualité, sur des petits volumes de vente. Le secteur ne dépasse pas 5% du marché du livre."

Cependant, si l’on compare les tirages à la densité de la population, la Finlande constitue le plus grand nombre de lecteurs d’Astérix dans le monde. "Peut-être parce que la Finlande, coincée entre de grandes nations comme la Suède, l’Allemagne et la Russie, se reconnaît dans le village gaulois", s’amuse Pasi Vainio. Mais le N°1 du marché reste quoiqu’il en soit Walt Disney, massivement présent en kiosque et en librairie.

Derrière, on trouve la production locale, notamment les bandes dessinées de Juba avec les personnages de Viivi et Wagner ou les biographies des Beatles ou de Mick Jagger par Mauri Kunnas, dont les ventes atteignent parfois jusqu’à 300 000 exemplaires à la nouveauté.

Les BD franco-belges se partagent à part égales le reste du marché où les mangas, qui ont connu leur heure de gloire en Finlande il y a cinq ans, n’ont plus que deux éditeurs à les mettre au catalogue. Là encore, le marché est trop exigu pour pouvoir amortir tous les frais de production et de traduction.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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4 Messages :
  • Une petite erreur : le strip "Vivii & Wagner" n’est pas de Mauri Kunnas mais de Jussi Tuomola, dit Juba. Mauri Kunnas était surtout connu jusque récemment pour ses livres pour enfants, qui faisaient regretter qu’il ne fasse pas plus de BD.

    En tout cas, merci pour cet article très intéressant. Les remarques sur l’édition de mangas l’étaient particulièrement. Il y a quelques années, un bref séjour en Suède m’avait permis d’observer que seules quelques séries très populaires accessibles au jeune public y étaient traduites en suédois. Les adolescents amateurs de mangas lisaient en anglais les éditions américaines. D’après ce qui est dit sur la Flandre et les Pays-Bas, ce schéma semble se répéter dans tous les pays européens à faible population.

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    • Répondu le 12 octobre 2014 à  23:02 :

      Les pays à faible population sont de par la force des choses contraints (pour leur plus grand bien) à maîtriser plusieurs langues. Ceci expliquant cela.

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  • Didier, les personnages de Viivi et Wagner sont l’oeuvre de Juba (Jussi Tuomola) et non de l’également très talentueux Mauri Kunnas.

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    • Répondu par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 octobre 2014 à  21:44 :

      Effectivement, mauvaise retranscription. C’est corrigé.

      Répondre à ce message

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