Francis Groux, 74 ans, est avec Jean Mardikian et Claude Moliterni, l’un des trois fondateurs du Festival d’Angoulême. Après avoir fait toute sa carrière dans la distribution de produits pétroliers (Total, Streichen-Berger, puis la branche matériaux de BP rachetée ensuite par Point P), il profitait depuis douze ans d’une retraite méritée (mais néanmoins active puisqu’il participait à de nombreuses associations culturelles, sociales ou sportives) avant d’être rappelé à la présidence du Festival dont il n’était plus qu’un membre bénévole qui organisait à l’occasion l’une ou l’autre exposition. Mais les problèmes qui ont récemment affecté les relations entre le Festival, ses éditeurs et ses sponsors ont fait que l’on est allé rechercher ce « vieux grognard » qui avait l’avantage de bien connaître le dossier et qui n’était animé d’aucune ambition politique ou professionnelle. Après avoir décliné l’offre, il finit par se laisser convaincre à reprendre la présidence. Avec le délégué général Franck Bondoux et le directeur artistique du Festival, Benoît Mouchart, il a remis le FIBD sur les rails d’une 34ème édition qui s’annonce prometteuse. Total respect.
ACTUABD : Alors, vous êtes prêts ?
FRANCIS GROUX : Pratiquement. Les choses qui ne le sont pas encore le seront dans les temps. Notre seule inquiétude concerne la météo. Apparemment, on va vers un rafraîchissement de la température, mais d’après les prévisions météo que nous avons consultées, il n’y aura pas de neige. Ce ne sera pas sibérien cette année, mais je ne vous promets pas que ce soit pour autant ensoleillé !
On arrive au terme d’une année un peu difficile pour le Festival avec d’abord l’éviction en février de son Directeur Général, ensuite les travaux dans la ville. On a eu l’impression que vous avez découvert en cours d’année que le terrain était moins praticable que prévu…
Ce n’est pas tout à fait cela. Effectivement, ce que tout le monde savait, c’est que la place du Champ de Mars n’offrirait pas la surface qu’elle avait précédemment mais, de toute façon, même si ces travaux n’avaient pas eu lieu, cette place était devenue insuffisante pour le Festival tel qu’il doit être. Sans chercher à critiquer mes prédécesseurs, il aurait fallu que la ville d’Angoulême accompagne la progression de la bande dessinée ces dernières années, avec des surfaces correspondantes. Or, à moins de raser des bâtiments, ces surfaces n’existaient pas au centre-ville. Or, les éditeurs, et notamment le Président Directeur Général de Casterman Louis Delas représentant le SNE [1] , nous avaient dit : Si vous voulez que nos éditeurs viennent à Angoulême, il nous faut une surface de minimum 11.000m² où tout le monde sera présent : les grands éditeurs, les petits, les para-BD, les fanzines, etc. Il fallait donc mettre le Festival ailleurs. Cette décision, c’est moi qui l’ai prise et personne d’autre. J’ai dû pas mal argumenter auprès du maire pour lui dire qu’il fallait que nous quittions partiellement le centre-ville pour nous installer au pied des remparts, de façon à pouvoir offrir au Festival une surface correspondant à ce qu’est devenue la bande dessinée en 2007.
Cela complique immédiatement les choses pour les festivaliers qui vont devoir aller plus loin…
Evidemment. Nous sommes en contact constant avec la mairie à ce sujet. Leurs services nous garantissent une navette toutes les sept ou huit minutes, nous tablons sur dix minutes. Il y aura une navette qui partira de la gare, qui montera au centre-ville et qui s’arrêtera devant l’espace Franquin, qui suivra les remparts, descendra ensuite l’avenue de Cognac, fera une halte au CNBDI, puis ira sur le site des éditeurs à Montauzier. Cela fait, elle refera le chemin dans l’autre sens en passant par l’Hôtel de Ville. Pour les automobilistes, il y a un parking installé à Bourgines et là, il y a une navette qui fera Bourgines-Montauzier-Bourgines constamment.
Tout cela est très bien expliqué sur un plan distribué par le Festival…
Il y a un énorme travail de signalisation qui est en cours et il y aura deux plans qui seront remis à tout le monde : un plan avec les différents lieux du Festival avec ce qui se passe dans chaque lieu et un plan pour la navette. Le samedi et le dimanche, quelque 86 scouts accueilleront les festivaliers pour aider le public à se retrouver dans les lieux, et dans la billetterie, car elle est un peu compliquée, il faut bien l’avouer. Le conseil est de savoir un peu ce que l’on a envie de faire avant d’arriver au guichet.
Il y a quelques semaines, on parlait d’un trou de 350.000 euros pour boucler le budget…
C’est réglé. Nous avons eu des rallonges de trois de nos partenaires : la Ville qui va nous donner un million d’euros et qui a pris l’engagement de nous donner cette somme pendant trois ans après le Festival. Le Département et la Région ont décidé de rajouter chacun 120.000 euros à ce qu’ils nous donnaient habituellement. Donc, en principe, si tout va bien, on ne devrait pas avoir de problèmes. L’inconnue, évidemment, ce sont les entrées.
Quels sont les éléments les plus exceptionnels de ce cru 2007 ?
D’abord le fait que l’on vous propose la plus grande librairie de bandes dessinées du monde. J’ai été visiter ce matin les « bulles » de Montauzier, je vous assure que c’est surprenant d’avoir tout cela d’un seul tenant. Parmi les autres événements, il y a ce qui se passe sur les 3.500m² de la place du Champ de Mars : l’exposition Kid Paddle, je crois que les enfants vont en raffoler. Il y aura les concerts de dessins que l’on connaît et qui seront quatre cette année, une exposition très étonnante de Bernard Prats, un plasticien qui fabrique des sculptures avec des éléments récupérés dans des déchetteries. Il y a bien sûr l’exposition Hergé qui ne sera pas l’équivalent de l’exposition de Beaubourg mais dont nous espérons montrer un aspect différent. Il y a l’inauguration de la rue René Goscinny en prolongation de la rue Hergé, dans la rue de Périgueux. C’est une grande joie car les trois grands noms de la bande dessinée que sont Franquin, Hergé et Goscinny sont honorés à Angoulême : L’espace Franquin, la rue Hergé et la rue Goscinny.
Goscinny qui n’est jamais venu à Angoulême… [2]
On l’avait rencontré avec Pierre Pascal à l’époque. Il était alors en pleine crise avec Dargaud. Il pleurait presque. Il disait : « On a tué mon journal ». Il avait de la rancœur contre la nouvelle génération, ces « fils » qui l’avaient abandonné. On lui avait dit : « Nous comprenons que vous ayez des problèmes avec un certain nombre d’auteurs mais le public vous aime, et c’est ce qui compte. C’est lui que vous viendrez voir à Angoulême… » Je lui ai rappelé que Hergé avait gardé ses distances mais que cela ne l’avait pas empêché de venir à Angoulême. En partant, il nous avait dit : « C’est encore un peu tôt, mais je ne dis pas que je ne reverrais pas ma position ». Malheureusement, quelques mois plus tard, il n’était plus de ce monde… Bien avant qu’Anne [3] ne propose au Festival d’accueillir le Prix Goscinny qui récompense un jeune scénariste, j’avais proposé à Gilberte Goscinny, sa maman, de rejoindre le palmarès. Cela ne s’était pas fait à l’époque mais quand Anne a repris le flambeau, cela a pu se faire. C’était une façon pour moi de rattraper ce rendez-vous manqué.
On a eu l’impression ces derniers temps qu’il y avait du « mou » dans la stratégie du Festival. Où en est-on avec les histoires D’EPCC [4] ?
Ah ça, c’est terminé ! On a dit non, c’est très clair. Il se fera avec le CNBDI et La Maison des Auteurs. On était tous contre. Ils n’allaient quand même pas nous marier de force !
Alors, quel avenir se profile pour vous ?
Vous avez raison d’en parler. Le Festival vient de prendre un virage en atteignant une dimension qu’il n’avait jamais eue. Nous prenons un certain risque en l’établissant sur deux lieux. C’est vrai que pour nous, c’est une année-test. Si, comme nous l’espérons, à la fois les professionnels et le public sont contents de ce qu’on a fait, on pourra continuer à développer le Festival de manière à suivre la progression de ce métier. Evidemment, il va falloir trouver des moyens supplémentaires car la rallonge que nous avons obtenue ne nous permettra pas de pérenniser la situation. On voulait faire beaucoup plus mais on a été limité par le manque de moyens. En dépassant les remparts de la ville, je crois que nous pourrons procéder à ce développement.
Comment résoudrez vous cette équation impossible qui consiste à tenter concilier les exigences du public, des éditeurs et des différents sponsors ?
C’est un équilibre pratiquement impossible, on est bien conscients. Les motivations ne sont pas les mêmes. Les éditeurs veulent rentabiliser avant tout leurs investissements ce que, en tant qu’ancien commerçant, je peux parfaitement comprendre. Le public veut voir des auteurs, obtenir des dédicaces. Et puis les amateurs, au sens noble, qui viennent voir les expositions, les rencontres internationales, toutes ces facettes du Festival auxquelles je suis très attaché… Ils savent tous très bien que l’on n’obtient pas l’un sans l’autre.
Propos recueillis par Didier Pasamonik, le 22 janvier 2007.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Syndicat National de l’Edition
[2] Le Festival a été créé en 1972.
[3] Sa fille
[4] Acronyme d’Etablissement Public à Caractère Commercial. Cette forme avait été proposée par le rapport Ladousse pour concilier les relations entre le Festival et les institutions angoumoisines liées à la bande dessinée. Lire notre article "Angoulême 2006 : Un 33ème Festival à haut risque ?
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