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François Boucq ("Superdupont") : « Le trait contient sa propre charge d’humour »

Par Charles-Louis Detournay le 19 décembre 2015                      Lien  
Auteur et dessinateur reconnu, Boucq revient sur sa reprise de "Superdupont", une opportunité qui lui était passée sous le nez il y a trente-cinq ans. Il en profite pour nous parler de ses autres séries... et du Grand Prix d'Angoulême !

François Boucq ("Superdupont") : « Le trait contient sa propre charge d'humour »Comment s’est concrétisée cette envie de dessiner les aventures de Superdupont ?

Gotlib tenait absolument à renouveler le personnage : il trouvait que Superdupont s’était un peu encroûté. Cela faisait donc un petit bout de temps qu’il m’avait proposé de reprendre le personnage, même s’il faut toujours un petit délai pour que cela prenne forme, et qu’il revienne alors vers moi.

Selon vous, comment votre trait a-t-il séduit Gotlib ? Le mouvement, le dynamisme ?

L’humour tient du dessin des personnages en eux-mêmes, mais le trait contient aussi sa propre charge d’humour. Et Gotlib s’est donc dit que mon trait pourrait bien convenir au personnage de Superdupont. D’ailleurs, Gotlib m’avait proposé de reprendre la série il y a près de trente-cinq ans, sans savoir que Jacques Lob l’avait proposé Solé par ailleurs, ce dernier l’ayant déjà accepté. C’est peut-être en pensant à cette ancienne proposition qu’il a pensé à moi pour relancer la série.

Mais vous avez déjà tellement de fers au feu, qu’est-ce qui vous motivait à accepter cette série de plus ?

Ce personnage me plaît ! Il est caricatural, mais je peux alors justement en faire ce que je veux : on peut le grossir, le diminuer, le rendre excessif ou attendrissant… Tout est acceptable dans le cadre de la série. Il s’agit d’une gamme très riche à utiliser dans la bande dessinée d’humour. Effectivement, j’ai déjà joué avec une partie de ces codes avec Jérôme Moucherot, mais la perspective de Superdupont me permettrait de me confronter aux super-héros mondiaux. Du point de vue du lecteur, je trouve intéressant qu’un super-héros s’assume comme français ou européen tout en restant dans le cadre de l’humour. La plupart des autres se prennent au sérieux, sauf lorsqu’ils ont été caricaturés comme dans Mad. Superdupont a les capacités extraordinaires de ses collègues, à la différence que le lecteur ne le prend pas au sérieux. Ses comportements saugrenus font partie du personnage.

Il fallait pourtant lui apporter du neuf : comment est arrivé l’idée de lui donner un fils ?

Pour ma part, j’avais l’idée de l’envoyer sur une autre planète pour qu’il rencontre des coaches de super-héros, mais Marcel [Gotlib] a trouvé plus légitime que Superdupont ait un fils après avoir rencontré la femme de sa vie. Ce qui permettait ce passage de relais entre les générations. Cette idée qui devait servir de base qu’à un seul chapitre, s’est finalement étendu à la totalité du premier album de 62 pages ! C’était tellement rigolo à réaliser qu’on ne voulait pas frustrer le lecteur (et les auteurs !) de toutes les idées qui nous étaient venus.

Vous avez pourtant gardé le chapitrage, notamment pour la prépublication historique dans Fluide Glacial ?

L’avantage de l’écriture en chapitre est de ré-instruire toute l’histoire à chaque redémarrage ; cette possibilité de résumé apporte déjà une possibilité de gag complémentaire. Puis graphiquement parlant, cela permet de réaliser de très belles cases introductives ! Parfois, cela s’avère un travail phénoménal et je me demande dans quelle folie je me suis embarquée, mais in fine, cela vaut le coup ! Travailler une histoire réaliste pose des barrières de crédibilité, mais dans ce type de récit, la force de conviction que vous placez dans la réalisation fait partie de la réussite du gag !

Il y a un autre fondamental de la série que vous écartez : l’Anti-France. Dans cette actualité, il n’était plus possible d’en user ?

Le souci est d’ouvrir la porte à certains lecteurs qui nous stigmatiseraient en racistes, ou que certains lecteurs racistes s’en revendiquent. Nous avons donc volontairement décidé d’éluder ces problèmes pour passer à d’autres considérations. Je préfère me focaliser sur le principe d’un comportement : l’Anti-France ou tout autre ennemi représente avant tout la méchanceté. Dès que vous avez analysé ce principe, vous pouvez la décliner sous différents aspects sous perdre le sel de la série.

Vous l’avez donc concrétisé sous la forme de ce nouveau personnage, le Mal, entouré par des sbires qui ne sont d’ailleurs pas loin de rappeler ceux de l’Anti-France…

De plus, la France fait partie de l’Europe ! Il aurait été stupide de maintenir ce sabir fait d’allemand, d’italien, et d’autres langues. L’Anti-France ne correspond tout simplement plus à une réalité contemporaine. Par contre, il est intéressant de rappeler les valeurs de la France (Liberté, Egalité, Fraternité) que Superdupont respecte indéniablement. Il me plaisait de diriger le personnage vers cette vocation légèrement différente à l’initiale, ce combat contre l’Anti-France.

On retrouve aussi une de vos particularités : le fait de jouer avec les formes, avec par exemple ces onomatopées que le Mal envoie à la figure de Superdupont !?

Dans ma vision, la bande dessinée est un langage spécifique. La BD possède des vertus utilisables essentiellement parce qu’elles n’appartiennent qu’à ce langage spécifique. Ces particularités doivent être utilisées à 100%, afin d’éviter qu’on puisse se dire : « Cette histoire aurait pu faire un bon film ». Ce genre de commentaire m’agace ! La bande dessinée est totalement atypique, et possède une puissance d’évocation (grâce au dessin) qu’on doit non seulement mettre en valeur et l’utiliser pour justifier qu’on en a justement fait une BD et pas autre chose. Lorsque je trouve ce type d’idée, je suis ravi car je pense me hisser à la hauteur de cette ambition.

Après ce premier tome, d’autres vont-ils suivre ?

Bien sûr, nous voulons faire grandir ce super-bébé et évoquer des problèmes liés à l’adolescence, puis à l’âge adulte. Va-t-il s’habiller comme son père ou veut-il se démarquer ? Puis, il devra rencontrer son grand-père, le soldat inconnu ! Nous aurons donc deux Superdupont : un jeune galvanisé et un second plus ventripotent. Nous fourmillons donc d’idées !

Je suis ravi de vous entendre si enthousiaste, car je me demandais initialement ce qui motivait votre investissement dans la série !?

Tout le monde connait le terme « Superdupont », mais la plupart des gens intéressés ne savent pas à quoi il ressemble. Cela signifie que le personnage est connu par son nom, mais pas pour ses activités. Il faut donc lui donner ce carcan : lui redonner les aventures qu’il mérite est donc un de nos objectifs ! Ne négligeons pas le plaisir qu’a eu Gotlib de se relancer dans cette histoire, et de le voir paraître tout en restant conforme à ce qu’il désirait. Sans oublier Karim Belkrouf avec qui j’avais déjà fait plusieurs albums (NDR : Rock Mastard, le Feu), on s’entend à trois comme des larrons en foire !

Allez-vous comme d’habitude varier les plaisirs et revenir à une autre série avant de réattaquer avec Superdupont ?

Oui, j’aime mêler les histoires, cela me repose. Ainsi, j’ai commencé Superdupont en pleine réalisation de Little Tulip. Cela permet de temporiser des effets potentiellement nocifs d’une histoire plus pesante au quotidien. J’ai déjà commencé le tome 2 de Superdupont tout en continuant le prochain Janitor. Avec Yves Sente, nous allons terminer le cycle sur ce dernier tome, par respect pour le lecteur et pour l’histoire. Nous réfléchissons aussi à d’autres développements, en lien avec le monde qui nous entoure. Je vais aussi attaquer le prochain Bouncer dans les semaines qui suivent. Puis j’ai lancé un compte Facebook dans lequel je publie un dessin par jour, et les réactions sont plutôt positives.

Je vous sens plein d’énergie et d’enthousiasme, avec un large panel d’univers, d’albums et de projets qui vous tendent les bras !

Mon grand problème, c’est le temps ! Réaliser une bande dessinée nécessite un gros investissement de temps ! Je suis bien aidé par mon filleul sur les couleurs, mais je dois encore apporter ma petite contribution aussi. Si j’avais deux fois plus de temps, je pourrais maintenir les différentes séries avec plus de régularité et le même dynamisme. Tout simplement, j’adore dessiner !

François Boucq, au meilleur de ses formes !
Photo : Charles-Louis Detournay

Retour en arrière : Angoulême 2015

Je profite de cette actualité, pour revenir sur un bref échange que nous avons eu avec François Boucq au FIBD d’Angoulême 2015.

On vient d’annoncer le sacre d’Otomo comme Grand Prix, quelle est votre réaction ?

Positive et négative. Je voudrais tout d’abord préciser que je ne suis pas content qu’on nous ait enlevé l’autorité du choix. Puis cette ouverture à l’Asie tellement rabâchée intervient justement maintenant, avec Otomo qui n’a plus fait de bande dessinée depuis vingt ans. Je compare ce choix à celui d’Hermann, un auteur qui continue de faire de la bande dessinée, avec la même fougue et la volonté de convaincre, sans oublier le nombre de dessinateurs qui se revendiquent de lui ! Hermann ne voulait plus de ce Grand Prix tardif, puis finalement, il était prêt à l’accepter et on ne lui donne pas ! Les auteurs qui le jugent sur son caractère ne le connaissent pas ! C’est vrai qu’il a eu quelques coups de gueule, cela fait partie du personnage, mais c’est de bande dessinée qu’on parle ! Dans quel état d’esprit Hermann sera-t-il l’année prochaine ? Impossible à dire…

Commentaire de l’actualité par Boucq sur sa page Facebook (Faceboucq ?)
(c) F. Boucq

(par Charles-Louis Detournay)

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3 Messages :
  • c’est une bonne chose qu’il y ait de l’humour dans le trait, car cet album ne m’a pas arraché le moindre sourire. Où est l’humour dans ce scénario et ces dialogues ? J’ai eu beau cherché, je n’ai rien trouvé !

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    • Répondu le 22 décembre 2015 à  16:56 :

      "J’ai eu beau cherché"...seriez-vous la réincarnation de Lefuneste (cf la dernière planche illustrant l’article de ce site sur le nouvel Achille Talon) ? Ceci expliquerait certaines de vos interventions ;-)

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      • Répondu par Oncle Francois le 1er janvier 2016 à  17:35 :

        Dame nation, me voila démasqué !
        Sans rancune, j’en profite pour présenter aux journalistes "ouebe" d’actuabd, ainsi qu’aux simples lecteurs, tous mes vieux de bonne heure. pour 2016. Une bonne sans thé, des lectures qui font tressauter le palpitant, qui passionnent, font rire ou émeuvent sans branchitude inutile (car on le sait, l’homme intelligent n’en a pas besoin, cela concerne surtout les poissons), mais avec le respect du travail accompli pendant des décennies par de grands professionnels, et aussi du public réel, celui qui se précipite pour acheter par dizaines ou par centaines de milliers les livres qui leur plaisent. Voir la liste des best sellers 2016 établie par Gilles Ratier est réconfortant, car on voit que les valeurs sûres ont la cote, alors que les auteurs dont on nous rabat les oreilles d’années dans les pages des revues branchouille et qui récoltent parfois bien des mentions ou prix n’y apparaissent même pas.

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