Bien entendu, Cavanna va bien au-delà de la bande dessinée. Dessinateur et écrivain, il laisse sa trace dans l’histoire comme auteur de dessins d’humour, comme le créateur subversif de Hara Kiri et de Charlie Hebdo, comme journaliste et comme écrivain. Avec une personnalité particulièrement forte, comme ses lecteurs pouvaient le constater chaque semaine dans Charlie en dépit de son âge avancé (il vient de décéder à l’âge vénérable de 90 ans) et d’un Parkinson "cette salope infâme" avait-il coutume de dire qui le frappait depuis quelques années.
C’était un de ces autodidactes comme on n’en fait plus, travaillant très tôt comme employé de la poste, un véritable homme de lettre comme on le voit, un enfant d’immigrés maniant la langue de Voltaire comme personne. La guerre bouleverse sa vie lorsqu’il se trouve embrigadé dans le Service de Travail Obligatoire, une sorte de mise en esclavage des jeunes Français au service des nazis. Il est requis dans un camp de la banlieue de Berlin, à Baumschulenweg, où il rencontre son premier amour : une Russe prénommée Maria. Il revient en France à la Libération en 1945.
En parallèle à des petits boulots, il devient dessinateur de presse sous le pseudonyme de Sepia. Son dessin est dans la lignée d’un Chaval, l’un des meilleurs dessinateurs de l’époque, tandis que sa génération -où l’on trouve ses compagnons de route Siné, Wolinski ou Topor- s’apprête à éclore.
C’est l’aventure de Zéro (1954), dont il est le rédac-chef, où il rencontre Georges Bernier alias le Professeur Choron, ancien para d’Indochine. Ensemble, ils créent ensemble, avec Fred, Wolinski et quelques autres, Hara Kiri (1960) censuré à l’affichage en 1961 et 1963, puis Hara Kiri Hebdo (1969), enfin Charlie Hebdo suite à l’interdiction du titre en 1970. Il s’y crée un humour "bête et méchant" qui choquera l’époque mais qui lui laisse une marque indélébile. Indépendamment de cette activité de presse, on lui doit une cinquantaine d’ouvrage dont les succès Les Russkoffs et Les Ritals.
Cavanna et la BD, c’est une drôle d’histoire. En complicité avec ses amis Gébé et Wolinski, qu’il publiera sans discontinuer, il révèle parmi les plus grands dessinateurs de BD de son temps : Cabu, Reiser, Willem, Kamagurka,... pour ne citer qu’eux. Il vit comme un véritable crève-coeur la migration de Cabu, Reiser, Gébé et Fred dans Pilote lorsque, à la suite d’interdictions successives, ceux-ci se retrouvent sans travail et soutenus par René Goscinny qui les engage dans son journal.
À la faveur d’une attaque en règle de Pilote, le 8 septembre 1971, par Noël-Jean Bergeroux dans la rubrique politique du Monde, Cavanna flingue à son tour le "journal qui s’amuse à réfléchir". Son but est de récupérer Reiser, Gébé et Cabu. Il y parviendra.
Récemment, Druillet racontait dans ses mémoires comment, jeune dessinateur, il alla montrer ses planches à Cavanna qui le refusa parce qu’il n’arrivait à dessiner les seins des femmes de façon suffisamment observée. Il n’empêche que dans ses publications bon nombre de dessinateurs des quarante dernières années firent leurs premières armes et lui doivent sa carrière. Willem, l’actuel président du Festival d’Angoulême en premier.
Jusqu’à la fin de sa vie, avec son ton pédagogue, anar, vociférant et enjoué, il continua "à dévorer du curé, du chasseur, de la pub et d’autres monstres..." et à faire des romans, jusqu’à son dernier souffle. C’est un grand bonhomme, au propre comme au figuré, qui vient de nous quitter.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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