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François Durpaire et Farid Boudjellal ("La Présidente") : "Il ne faut pas montrer que Marine Le Pen est méchante, mais pourquoi elle a tort."

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 3 décembre 2015                      Lien  
Les cent premiers jours de Marine Le Pen, une fois élue en 2017, tel est l'objet de cet album qui a suscité déjà une vive controverse avant même sa parution. Rencontre avec ses auteurs.

François Durpaire et Farid Boudjellal ("La Présidente") : "Il ne faut pas montrer que Marine Le Pen est méchante, mais pourquoi elle a tort."Comment vous est venue l’idée de ce livre ?

François Durpaire  : Avec le retour de Nicolas Sarkozy, il m’est apparu que Marine Le Pen avait de grande chance de gagner. D’abord du fait des thèmes choisis par la droite républicaine - les trois "i" (insécurité, immigration, islam) - ensuite du fait du déni - on reconnaît la tripolarité de la vie politique française mais en pensant que Marine Le Pen est condamnée à un plafond de 6 millions d’électeurs.

Il m’est apparu nécessaire de dire ce que je voyais, et d’en analyser cliniquement les conséquences ; La rencontre avec Farid Boudjelall a fait le reste.

François Dupraire par Bruno Fert
DR. Les Arènes.

L’hypothèse d’une Le Pen au pouvoir est-elle crédible ?

Évidemment, l’hypothèse est même la plus vraisemblable. On parle souvent du score de Marine Le Pen mais jamais du score que seront capables de faire - ou pas - les autres candidats. Dans mon scénario, ni Nicolas Sarkozy, ni François Hollande, ne seront capables de réunir les millions d’électeurs qu’ils ont été capables de mobiliser quand ils ont été élus. En particulier, je ne crois pas en un report des voix de la droite républicaine vers le candidat de gauche. On parle de la droitisation de la société française (désormais la non-gauche représente 61% des Français) mais il faudrait aussi évoquer un extrême-droitisation de la droite (22% des électeurs de Sarkozy en 2012 sont passés au FN).

Comment avez-vous construit les hypothèses, éléments de cette uchronie ?

En réunissant une équipe de spécialistes, de l’économie, de la société, de la politique étrangère, de l’outre-mer, pour que la France imaginée pour 2017 soit la plus vraisemblable possible. Nous n’allons pas voulu caricaturer, ni insulter l’électeur du FN. Cette stratégie a montré ses limites. Il ne faut pas montrer que Marine Le Pen est méchante, mais pourquoi elle a tort.

La Présidente - Par F. Durpaire et F. Boudjellal - Les Arènes

Les institutions républicaines ne se révolteront-elles pas face à cette situation ? Vous semblez parier sur leur placidité.

Vous voyez les institutions républicaines se révolter contre une élection démocratique ? Elles ne sont pas faites pour cela. Mais au contraire, il y a bien des velléités de résistance. Mais Marine Le Pen demande aux Français par référendum la suppression du conseil constitutionnel en septembre 2017...
L’évolution du FN vise-t-elle à quelque chose comme la Ligue du Nord en Italie ?
C’est une voie très différente avec des points en commun. Je ne dévoilerai pas le scénario, mais je suis fier que des spécialistes de l’extrême droite le jugent très réaliste...

La famille Le Pen est en général assez procédurière. Y-a-t-il eu des réactions ?

Pour le moment non, mais nous nous attendons à tout. Les plus gênés semblent être ceux parmi "Les Républicains" que l’on a nommé virtuellement ministres de Marine Le Pen...

La Présidente - Par F. Durpaire et F. Boudjellal - Les Arènes
Farid Boudjellal
Photo ; DR. Les Arènes

Farid Boudjellal, ce n’est pas la première fois que vous vous attaquez à l’extrême-droite...

Il se trouve que le contenu de mes albums précédents peuplés d’Arabes et de Juifs n’étaient pas toujours du goût du FN. En 1989 j’ai réalisé la campagne de l’association "France Plus" pour amener les jeunes issus de l’immigration à voter. Sur l’affiche, un jeune au teint halé, brandissait une carte d’électeur en faisant un clin d’œil pour illustrer l’accroche : "Demain, je serai président".
L’affiche avait d’ailleurs eu les honneurs de la couverture de "National Hebdo" tant elle avait choqué sa rédaction et le FN.

C’est une des ambiguïtés du combat contre le FN quand on est issu de l’immigration. Ils ne nient pas votre présence, ils en ont besoin au contraire pour exister. Je me souviens d’un rédacteur de L’Écho des savanes qui s’était écrié en lisant les premières pages du "Gourbi", dont je lui avais proposé la prépublication : "les Beurs ne sont plus à la mode !" En une phrase, il venait de m’éliminer de la société française. C’est tout le paradoxe. Le FN ne nie pas ma présence, il se sert de moi pour être élu, puis pour me virer !

Vous êtes originaire de Toulon où le FN fera sans doute des scores importants. Comment expliquez-vous cette situation en PACA ?

Attendons le résultat des élections pour en savoir plus. C’est une région ensoleillée, ses habitants ont le sang chaud. Ils peut arriver que certains ne soient pas insensibles aux bonimenteurs. Et puis, le chômage, l’insécurité, le manque d’imagination et de tenue des politiques adverses, quand ils ne s’approprient pas les propos du FN… Peut-être faudrait-il desserrer l’étau économique et financier pour que les gens puissent respirer…

Votre frère, fondateur des éditions Soleil et actuellement président du RCT s’est engagé aux côtés de Christian Estrosi après avoir publié avec Charlie Hebdo un pamphlet contre le FN. Vous vous rangez à ses côtés ?

Je serai indécent de faire la fine bouche. Je vis à Paris, Mourad à Toulon. Il est pragmatique. C’est Estrosi ou Marion Maréchal. Le père Estrosi n’est pas avare de boules puantes qu’il balance allègrement pour ramener les égarés au bercail. C’est idiot et dangereux mais, contrairement à Marion Maréchal, il peut être cadré par son parti, "Les Républicains". On l’a vu avec Nadine Morano.

Mourad s’est toujours engagé clairement contre le FN au risque de mettre sa boite en péril quand il a publié des pamphlets comme : "Ascenseur pour les fachos", "Ils ont tué Yann Piat", bon nombre d’auteurs BD (et pas des moindres) se sentaient délaissés. Mourad n’a jamais fait l’autruche comme trop de gens aujourd’hui qui pensent que parler d’un parti légal, fût-il raciste ou xénophobe, c’est lui faire de la publicité. Cet argument n’est plus valable aujourd’hui. Le FN est un parti légal (En 1996, Charb nous avait invités à signer une pétition pour l’interdire). Il est temps de se réveiller, de se retrousser les manches et d’élaborer de véritables stratégies pour le contrer. "La Présidente" s’inscrit dans ce combat.

La Présidente - Par F. Durpaire et F. Boudjellal - Les Arènes

Comment avez vous procédé pour cet album ?, car vous êtes plutôt un dessinateur humoristique.

Ravi d’apprendre que Mémé d’Arménie ou Le cousin Harki sont des albums humoristiques. Cette question me fait penser a une discussion avec Étienne Robial en 1982. Il voulait publier mon premier : "L’Oud" dans la collection "Marracas". Je voulais reprendre les dessins dans un style plus académique qu’Étienne n’aimait pas. Je suis un dessinateur réaliste lui avais-je rétorqué, pensant mettre fin à cette discussion. Il m’avait répondu que ma première version (En vente partout) était bien plus réaliste. Il avait raison. Je suis un dessinateur réaliste avant tout. Pas académique dans la tradition d’Alex Raymond ou de Milton Caniff qui comptent une multitude d’héritiers. Je suis dessinateur humoristique à l’occasion (Juifs-Arabes, Le Beurgeois...).

Pour La Présidente, il m’a fallu du temps avant d’établir cette charte graphique. J’ai commencé à dessiner Marine dans le style de Mémé d’Arménie. Trop chaleureux. Les lecteurs auraient voulu l’adopter. C’est pourquoi j’ai opté pour un graphisme photographique. Un dessin froid, glaçant. J’ai bossé essentiellement sur ordinateur, sachant qu’il y aurait beaucoup de remises à niveau selon les variations de l’actualité. Avec François c’étaient des allers-retours permanents. Il m’envoyait son texte, je le mettais en scène… Inconvénient du numérique, je me suis tapé une tendinite d’enfer. Je la sens encore quand je tape ces lignes.

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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La Présidente - Par F. Durpaire et F. Boudjellal - Les Arènes

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