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François Miville-Deschênes : "Je ne jure que par le dessin d’observation"

Par Nicolas Anspach le 29 décembre 2004                      Lien  
{{François Miville-Deschênes}} a imposé son trait précis et réaliste grâce à {Millénaire}. Cette série (scénarisée par {{R. Nolane}}) n'hésite pas à nous présenter la noirceur du début du Moyen-Âge, en y incorporant des éléments fantastiques suggérés. Le dessinateur Québécois semble s'amuser à dessiner châteaux, animaux et autres éléments « puants » avec rigueur, en utilisant des cadrages audacieux. François Miville-Deschênes possède un véritable savoir-faire qui le place parmi les dessinateurs réalistes les plus doués de sa génération.

Vous dites avoir eu quelques difficultés à être publié en France. On a du mal à vous croire lorsque l’on voit la qualité graphique du premier album de Millénaire.
Je ne me souviens pas avoir dit cela. Quoi qu’il en soit, je n’ai pas lâché mon crayon depuis l’âge de deux ans. Cela n’a sans doute pas nuis à mon graphisme ! Et, j’ai travaillé quinze ans comme illustrateur. J’ai eu des réponses peu de temps après avoir envoyé un projet de bande dessinée aux principaux éditeurs européens : L’histoire se déroulait en Nouvelle-France, au début de la colonie et mêlait - adroitement - histoire et mythes amérindiens.
Mais cela ne collait pas tout à fait à la ligne éditoriale des Humanos. Ils aimaient mon dessin et me proposèrent de lire un synopsis pour lequel ils cherchaient un dessinateur. C’était Millénaire...
Je garde donc mon projet initial "sur la glace" en attendant le moment où j’aurai envie de le ressortir et d’y consacrer du temps ....

François Miville-Deschênes : "Je ne jure que par le dessin d'observation"
Millénaire T2 : Une couverture percutante.

Est-ce si facile que cela d’être publié en Europe lorsque l’on est un jeune auteur Canadien ? Les "étapes" sont-elles les mêmes ?
Il est clair que la qualité du travail soumis aux éditeurs est un facteur incontournable, autant probablement que lorsque l’on est un "jeune auteur européen".
J’ai trente-quatre ans, et je ne me considère pas si "jeune" que ça, soit dit en passant ! J’ai commencé à publier tardivement, tout simplement parce que je me consacrais à ma carrière d’illustrateur scientifique, historique, fantastique et publicitaire. Mais un jour, l’envie de tâter de la bande dessinée se fit impérieuse, je montai donc le dossier dont je vous parlais plus haut.
Pour en revenir à la réponse à votre question : Cela a été très aisé puisque je me suis mis à l’ouvrage sur Millénaire sitôt le premier contact établi avec les Humanos. Les étapes me semblent être les mêmes. Pour la forme, je soumets généralement mes ébauches de découpages à un directeur littéraire (il n’y a jamais de demande de modification), je crayonne, j’encre, puis j’expédie les planches originales par la poste à tous les deux mois.

Votre style graphisme est particulièrement réaliste. Quelle est votre formation ?
Je ne jure que par le dessin d’observation ! C’est l’exercice de base, l’entraînement idéal pour former l’oeil et la main d’un commun accord. Les subtilités des rouages de l’anatomie humaine et animale se saisissent infiniment mieux quand on a l’occasion de les décortiquer sur le vif.
Et puis, mon travail d’illustrateur scientifique et historique m’a souvent emmené à porter une attention particulière aux détails et à la justesse d’éléments de diverses natures.
Quant à ma formation, elle est autodidacte. De toute façon, je reste convaincu qu’au bout du compte, l’apprentissage le plus profitable est celui que l’on obtient par la lecture des oeuvres de ceux qui nous ont précédés, pas par un enseignement théorique.

Vous représentez la violence avec beaucoup de réalisme. Je songe notamment une scène où l’on voit un personnage fracasser le crâne d’un autre... N’avez-vous pas peur d’aller trop loin ?
Non. Je vous préciserai que si je me bornais à représenter cette époque avec une rigueur historique intransigeante, ce serait bien pire ! Les gens vivaient réellement avec la présence constante de la mort à leurs côtés... et souvent une mort violente.
Là, je limite les dégâts. Évidemment, Millénaire offre aux lecteurs sensibles un univers qui n’est pas tendre et cela transparaît dans certaines cases.
En ce qui concerne la "cervelle écrabouillée", je pouvais difficilement faire autrement que la montrer, puisqu’elle occupe une place prépondérante dans cette séquence.
Je dois cependant avouer que le coloriste n’a pas utilisé un jaune aussi "citronné" que je l’aurais souhaité pour la colorer. Ce qui aurait encore désamorcé davantage l’aspect un peu "gore" de l’événement. Le coloriste, après avoir suivi autant que possible mes indications (photocopies coloriées, par exemple), m’envoie les planches colorées par Internet. J’ai noté de bonnes différences entre ce que je peux voir à l’écran et ce qui sort des presses de l’imprimerie. C’est probablement le prix à payer et le petit deuil à porter pour habiter si loin !

Avez-vous une vision globale de l’histoire de votre série ? Intervenez-vous dans la création du récit ?
Notre collaboration est basée sur une espèce d’entente non formulée, d’accords tacites, qui veut que Richard Nolane soit le spécialiste de l’histoire et moi celui du visuel. Il écrit ce qui se déroule et je le mets en images.
J’ai donc une idée de la suite de la série, mais elle est très vague. Elle ne m’est d’ailleurs pas indispensable pour parvenir à coucher sur papier les aventures de nos deux héros.
J’interviens dans le récit en ce sens qu’il m’arrive d’"orienter" Richard selon mes désirs de dessinateur, de lui proposer de changer tel ou tel autre environnement afin que je puisse m’amuser graphiquement. Mes interventions touchent rarement l’histoire elle-même, bien que ce soit arrivé.
Richard confesse une culture BD déficiente, c’est plutôt un littéraire. Mais cela peut s’avérer un atout en évitant les réminiscences parasites. Les très rares fois où je lui ai proposé de modifier le récit concernaient des séquences qui auraient pu faire penser à quelque chose de déjà vu dans d’autres bandes dessinées.
Je me permets aussi d’apporter ma contribution en modifiant son découpage initial pour accentuer le dynamisme ou l’intensité d’une séquence (par exemple, il arrive qu’il fasse parler deux personnages dans une même case, mais que je juge qu’il est plus approprié que l’un des deux réponde en plan rapproché dans une autre case, mettant l’expression de son visage bien en évidence, selon l’importance du propos).
Et finalement, là où je m’amuse, c’est avec ce que j’appelle la "petite histoire", celle qui concerne les personnages de second plan que je fais agir à mon gré sans que Richard ait précisé quoi que ce soit à leur sujet.
Par exemple, puisque vous faisiez allusion à cette séquence de la cervelle écrabouillée, je me suis permis de placer Arnulf en train de se faire "nettoyer" la main par les dogues du roi. Ou encore, en page 41, cases 3 et 4, de laisser ce sympathique colosse céder à la tentation d’un jambon de passage. Des détails, certes, mais qui ajoutent un petit plus et amusent ceux qui aiment décortiquer le dessin.


Les éléments fantastiques, que vous glissez habilement çà et là, ne font-ils pas le charme de la série ? Etait-ce cela qui vous attirait dans ce synopsis ?
Je ne pense pas être très bon juge : j’ai le nez un peu trop collé à mes planches pour avoir une bonne vue d’ensemble ! Il faudrait demander aux lecteurs.
Néanmoins je peux préciser que l’apparition de phénomènes fantastiques n’est pas pour me déplaire et encore moins avec ce qui vient dans le troisième tome.
Je ne tenais pas à refaire une énième série d’heroic-fantasy. De toute façon, il y en a trop !
Dans Millénaire, le fantastique (ou la science-fiction) est discret et suggéré, presque intégré à ce monde. Il est cependant probable qu’avec l’approche de l’an mil, les manifestations de cet ordre seront de plus en plus présentes et spectaculaires.
Ce qui m’a d’abord attiré, quand on m’a proposé le synopsis, c’est l’époque à laquelle se déroule Millénaire : le début du Moyen Âge. Pas de beaux châteaux arthuriens et de cathédrales ciselées. Rien que du sale et du puant ! Et surtout, des animaux un peu partout ! ... Du pain béni pour un dessinateur tel que moi !

Qu’avez-vous appris en dessinant la faune et la flore avec tant de précision ?
Le travail d’illustrateur m’a non seulement permis d’affiner mes techniques avec beaucoup de médiums différents, de renforcer mon dessin au cours des années en touchant à des genres variés et en utilisant divers styles.
Il m’a également imposé une rigueur dans la recherche de la documentation et l’utilisation adéquate de cette dernière.

Faites vous partie des artistes qui disent qu’un auteur doit savoir tout dessiner à partir du moment où on lui soumet une documentation ?
Non, je ne pense pas qu’il soit indispensable pour tous les auteurs de "savoir tout dessiner". C’est un choix personnel et certains préfèrent se spécialiser dans un domaine précis, même s’ils deviennent de ce fait des dessinateurs moins "complets". En ce qui me concerne, je me fais un devoir de n’utiliser la documentation que comme référence, de ne pas simplement la copier. Ce serait un manque de respect pour ceux qui ont réalisé les images qui me servent que de platement calquer leurs oeuvres. Je m’arrange toujours pour représenter le sujet qui a nécessité de la documentation sous un autre angle, dans une autre perspective. C’est un défi graphique !

(par Nicolas Anspach)

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

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Images & Photo : (c) François Miville-Deschênes

 
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