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François Rivière : Au service de la Reine du Crime

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 mai 2005                      Lien  
Biographe de J-M. Barrie, Frédéric Dard, Patricia Highsmith ou Edgar P. Jacobs, François Rivière est aussi essayiste, romancier, collaborateur à Libération, conseiller littéraire des éditions du Masque et des éditions des Cahiers du Cinéma, scénariste pour les BD de Floc'h (la série Albany) ou de François Carin (Victor Sackville). Spécialiste et biographe d'Agatha Christie, il adapte en BD depuis quelques années (chez EP Editions) quelques-uns des chefs-d'œuvre inconnus de la Reine du Crime.

François Rivière : Au service de la Reine du Crime
Mort sur le Nil
EP Editions

Comment est venue cette idée d’adapter Agatha Christie en bandes dessinées ?

Sans raconter toute l’histoire en détails, on peut dire que c’est dû à une rencontre avec la fille d’Agatha Christie, Rosalind, à qui je demandais timidement -parce que c’était un personnage intimidant à tout point de vue- si elle trouverait intéressant que l’on adapte en bandes dessinées les romans de sa maman. Connaissant les Anglais qui ne sont absolument pas intéressés par la bande dessinée et pour qui c’est un truc invraisemblable, je ne me faisais pas d’illusion. Et d’un seul coup, elle m’a dit en français, puisque le mot n’existe pas en anglais : « Bande dessinée ? C’est génial ! » J’avoue que j’en étais le premier surpris. Et de fil en aiguille, elle a accepté et les droits ont été négociés. Entre-temps, tous les droits d’Agatha Christie ont été revendus par ses héritiers au groupe Chorion qui gère les choses maintenant et qui, pour le coup, est intéressé par tout ce qui peut faire connaître l’œuvre.

Pour le public, quel est l’intérêt de lire une BD d’Agatha Christie plutôt qu’un de ses romans ?

Pour être franc, j’ai toujours trouvé que c’était une idée étrange qui pouvait être considérée comme un appauvrissement du roman. Et dans les faits, je trouve des gens qui découvrent les romans de Christie sous cette forme-là qui n’a rien à voir avec l’original, parce que les textes ne sont pas forcément du pur Christie, l’adaptation étant ce qu’elle est, et qui me disent : « Tiens, cela m’a donné envie envie de lire (ou de relire) le roman. » De toute façon, la bande dessinée draine un lectorat extrêmement important qui n’est pas forcément lecteur de romans. C’est vrai pour toute la littérature populaire, même pour un auteur aussi connu qu’Agatha Christie.

Pour un spécialiste de Christie comme vous, ce doit être un crève-cœur d’élaguer le roman pour le réduire en un peu plus de quarante pages ?

Le Secret de Chimneys
EP Editions

C’est quelquefois éprouvant parce que l’on est obligé d’enlever beaucoup de choses qui sont intéressantes dans le roman mais qui sont impossibles à transposer en images. Il faut essayer de recouper le texte un peu méchamment quelquefois pour en garder, je ne dirais pas le meilleur, mais le plus exploitable. Quand j’ai adapté Dix Petits Nègres, j’ai été très surpris en regardant le livre au ralenti, en le relisant très lentement, de voir la mécanique et de me rendre compte que c’est une machine à captiver le lecteur. Il fallait parfois trancher dans le vif pour que cela reste vraisemblable. Ça a été pour moi le moyen de redécouvrir Christie autrement. Peut-être faudrait-il faire des albums de 100 pages, au format manga, pour redonner tout ce qui a dans le roman. Cela dit, cela dépend des livres et des périodes : ses premiers romans sont souvent assez touffus et très denses. Elle-même, si elle avait dû les réécrire plus tard dans sa vie -ce qu’elle n’a jamais fait, elle les aurait sûrement beaucoup modifiés.

C’est un auteur inusable ?

Sûrement. L’expérience, les ventes, le succès le montrent, même si une œuvre va être amenée un jour, doucement, à s’évanouir ou tout le moins à céder du terrain aux nouveaux arrivants. Mais comme il s’agit d’histoires qui ont de bonnes intrigues, avec des personnages qui, eux, n’ont pas beaucoup vieilli, dans le contexte d’un genre, le roman policier, qui est loin d’être en déclin, elle n’a jamais eu autant de succès. Elle reste en haut parce que c’est la reine du crime. Il lui arrive ce que l’on peut souhaiter de mieux pour une œuvre : de génération en génération, les parents disent aux enfants : « Ah, tu devrais lire Le Meurtre de Roger Ackroyd, je lisais cela lorsque j’avais ton âge. » C’est un miracle, comme pour Arsène Lupin, ces œuvres-là tiennent le coup vraiment longtemps.

François Rivière et Agatha
chez Mrs Tussaud’s Wax Museum. God Save the Queen !

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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Photos : © Le Lombard - Rivière chez Mrs Tussaud’s. Photo : DR

 
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6 Messages :
  • "il adapte en BD depuis quelques années (chez EP Editions) quelques-uns des chefs-d’œuvre inconnus de la Reine du Crime"

    Dix petits nègres, Mort sur le Nil, Le Crime de l’Orient-Express, Le Meurtre de Roger Ackroyd... Je ne pense pas que ce soient des titres méconnus de Christie...

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    • Répondu par Didier Pasamonik le 12 novembre 2005 à  14:18 :

      Et "Le Secret de Chimneys", "L’Adversaire secret", "Mister Brown", "La Nuit qui ne finit pas", "L’Affaire Protheroe", "L’Homme au complet marron", "Le Crime du Golf"... Vous ne les mentionnez pas. Sans doute vous semblent-ils trop notoires ? Je parle bien de "quelques-uns" de ses chefs-d’oeuvre inconnus. Le corps de l’interview évoque des titres dont vous parlez.

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      • Répondu le 14 novembre 2005 à  09:28 :

        Ils sont un peu moins connus, mais un livre d’Agatha Christie, vendu à autant d’exemplaires depuis tant d’années, est-il vraiment "inconnu" ? Surtout si notre honorable correspondant est un fan de la "Duchesse de la Mort", peu de titres doivent lui être inconnus...

        En revanche, que ce soit des chefs d’oeuvre *méconnus* n’est pas doutable.

        Il faut souligner que Rivière n’est plus le seul scénariste à adapter Christie chez EP Editions. Dans mon souvenir, "Le Meurtre de Roger Ackroyd" a été adapté et dessiné par Lachard, "L’Affaire Protheroe" par Norma et "L’Homme au Complet Marron" a été dessiné par Bairi et adapté par Hughot.

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        • Répondu par Didier Pasamonik le 14 novembre 2005 à  11:31 :

          Vous pinaillez, là. Car si un titre est méconnu, c’est qu’il est inconnu du plus grand nombre, et c’était là le sens de mes mots.

          En outre, tous les scénaristes qui le suivent dans cette collection n’effaceront pas le fait que c’est Rivière qui l’a initiée, il y a bien longtemps déjà, aux Editions Lefranc, après que cette collection ait été envisagée chez Hachette BD. Rivière est aussi pour cette collection, excusez-moi, plus légitime et plus notoire que ses suiveurs.

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          • Répondu par Ligeti le 15 novembre 2005 à  02:23 :

            Là, je ne vous suis pas. Un livre est inconnu quand on l’édite pour la première fois. Par exemple, un inédit de Jean Ray. Il est méconnu quand il est peu connu. Il y a une nuance. Les mots ont un sens, quand même.

            Alors que je suis à 99% d’accord avec vos articles, je pense quand même que, quand on se permet de vous indiquer une petite erreur de sémantique, ce n’est pas trop grave, non ? Et puis, j’ai l’impression que vous voulez toujours avoir le dernier mot quand on essaie de donner des informations ou des remarques qui vous touchent. Ca en devient un peu agaçant, alors que vos articles sont très souvent passionnants...

            Autre chose, pourquoi Rivière aurait-il plus de légitimité à adapter Christie que ces autres auteurs ?

            Votre remarque finale n’est pas très gentille pour eux.

            D’autant que les adaptations de Rivière ne sont pas non plus à tomber à la renverse !

            Je trouve que c’est un peu péremptoire et à la limite "pas très sympa" pour les autres adaptateurs... qui ne sont d’ailleurs pas des "suiveurs". Ils ont autant le droit d’aimer Agatha Christie que ce brave Rivière. Il n’est quand même pas propriétaire exclusif du concept de l’adaptation de cette auteure... Et le fait qu’il soit plus "notoire" n’est pas non plus un gage de qualité, excusez-moi.

            Reconnaissons, je vous prie, la légitimité de la démarche de ces auteurs qui ont envie (ou commande) d’adapter un roman qu’ils apprécient (sans doute). Ils ne sont pas moins auteurs, pas moins légitimes que Rivière ou n’importe quel scénariste...

            Si on regarde bien toutes ces adaptations, elles sont honnêtes, rien de plus. On prend plaisir à les lire, elles peuvent permettre de (re)découvrir une oeuvre connue, inconnue ou méconnue (ou trop connue ;-) mais ce n’est pas non plus le chef-d’oeuvre du siècle, soyons un peu mesuré dans nos propos. Pas de panégyrique pour une entreprise somme toute assez commerciale. On sent bien le plaisir pris à adapter ces romans, mais nous ne sommes pas non plus face à des oeuvres de l’ampleur de "Jimmy Corrigan" ou "Maus".

            Et, attention cher Didier Pasamonik, on peut aimer un auteur et pas forcément dénigrer les autres.

            Pourquoi, pour ériger une statue, faut-il obligatoirement briser celles qui sont à côté ? Alors, je propose tout bonnement, comme dans mon précédent message, de célèbrer *toutes* ces bonnes adaptations parues chez Emmanuel Proust, qu’elles soient de Rivière, de Lachard, de Normaou de Hughot.

            Pas de favoritisme ! On est dans une société égalitaire, que diable !

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            • Répondu par Didier Pasamonik le 15 novembre 2005 à  09:16 :

              Vous êtes un as pour détourner le sens de mes propos. Vous continuez à pinailler, c’est votre droit, et je vous laisserai le dernier mot si vous le voulez, puisque c’est si important pour vous, si votre réponse n’appelle pas à rectification.

              Mais là je ne peux vous laisser dire : je n’ai dénigré personne, et certainement pas les auteurs qui succèdent à Rivière.

              Je considère que pour parler de cette collection, Rivière a toute sa légitimité : en tant qu’inventeur de cette série, en tant que biographe et spécialiste d’Agatha Christie, et en raison de sa notoriété en tant qu’historien et analyste de la BD. Les questions que je lui pose portent sur sa connaissance de l’oeuvre de Christie et sur sa méthode de travail.

              La hiérarchie des auteurs de cette série m’importe peu. Aucun des autres scénaristes ne cumule les qualités de M. Rivière. Il a donc, de fait, plus de légitimité qu’eux.

              Pour moi, le débat s’arrête là.

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