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Frank Giroud : « Avec Destins, nous avons bénéficié de l’énergie créative de 13 scénaristes pour dépasser le résultat que l’on aurait atteint de manière individuelle ».

Par Nicolas Anspach le 10 avril 2010               Destins, nous avons bénéficié de l’énergie créative de 13 scénaristes pour dépasser le résultat que l’on aurait atteint de manière individuelle »." data-toggle="tooltip" data-placement="top" title="Linkedin">       Lien  
{{Frank Giroud}}, le scénariste du {Décalogue}, de {Quintett} et de {Secrets} a orchestré un nouveau concept narratif. Treize scénaristes exploreront les différents choix qui se poseront dans la vie de Ellen Baker, une femme qui se voit, dix-sept ans plus tard, confronté à son passé. Les éditions Glénat publieront les quatorze albums de {[Destins->9694]} dans les deux prochaines années.

Alors qu’elle était jeune adulte, Ellen Baker a braqué une banque pour aider l’homme dont elle était secrètement amoureuse. Le Hold-Up tourne mal, et des personnes sont tuées par des balles perdues. Mais la jeune femme parvient à fuir, et faire le deuil de son ami qui a été tué dans l’opération.
Dix-sept ans plus tard, Ellen apprend que Jane, une ancienne amie, vit ses dernières heures dans le couloir de la mort. Elle a été accusée d’avoir commis le hold-up, et condamnée à la peine capitale. Ellen est devenue entretemps une femme respectable qui œuvre dans l’humanitaire. Ses compétences sont reconnues de tous, y compris du public. Son mari, un avocat, compte se servir de son image pour se lancer dans la politique. La vie d’Ellen vacille en apprenant que Jane est accusée à sa place. Un dilemme cornélien. Doit-elle se rendre, afin de sauver la vie de Jane et continuer à pouvoir regarder ses enfants dans les yeux ? Doit-elle se taire, et privilégier son action qui sauve des milliers de vie en Afrique ? Virginie Greiner et Daphnée Collignion explorent les premiers destins, le premier choix dans Le Fils. Pierre Christin, Yves Lécossois et Luc Brahy nous racontent la seconde option dans Le Piège Africain.

Nous avions rencontré Frank Giroud, à Angoulême. Il répond à nos questions.


Frank Giroud : « Avec <i>Destins</i>, nous avons bénéficié de l'énergie créative de 13 scénaristes pour dépasser le résultat que l'on aurait atteint de manière individuelle ».Vous avez publié les premiers tomes du Décalogue en 2001. Deux séries parallèles ont été créées après explorant certains aspects de cette histoire : Le Légataire et Les Fleury-Nadal. Pourquoi ?

La préparation du Décalogue m’a pris de nombreuses années. Pour chacun de mes albums, je rédige une biographie des personnages qui interviennent dans les histoires. En entamant le Décalogue, j’étais donc en possession de dizaines de pages de notes fouillées sur des personnages, qui n’apparaissaient parfois que furtivement. Il était dommage de les abandonner en cours de route, et de ne pas raconter ce qui l’advenait après leurs passages dans l’histoire du Décalogue. J’avais également envie d’évoquer les raisons du comportement parfois étrange de certains personnages. Dans Nahik, le huitième tome du Décalogue, le lecteur se demande pour quelles raisons Hector, l’écrivain, a une attitude aussi monstrueuse avec son frère. On comprend les motivations directes : il veut sortir la sève créatrice de son frère pour s’en servir à son profit. Mais on ne peut pas, pour autant, être aussi méchant avec quelqu’un de son sang. Il y a donc quelque chose de plus ambigu dans cette famille. J’ai donc expliqué les raisons de cette haine dans le deuxième et troisième tome des Fleury-Nadal, avec Daniel Hulet au dessin.

Dans le Légataire, avec Joseph Béhé, vous explorez les doutes de Merwan Khadder, l’ancien intégriste, par rapport à sa foi…

Oui. Pour les mêmes raisons que celles évoquées précédemment. Chaque album du Décalogue constitue une entité en elle-même. J’éprouvais une certaine frustration d’avoir clôturé ces histoires trop tôt. Si tôt après avoir clôturé la Fatwa, le deuxième Décalogue, j’entamais Le Météore, qui n’avait strictement rien à voir avec le précédent récit. La Fatwa était une interrogation autour de la liberté d’expression, de l’Islam et de l’intégrisme. Ces questions je les avais également traitées dans le dixième tome, La Dernière Sourate. Mais il me semblait normal d’y revenir. C’est pour cette raison qu’est né Le légataire

Le quatrième tome du Légataire laisse présager que vous nous emmenez vers une fin humaine et fraternelle, rapprochant les religions.

Si on devait extraire un dénominateur commun dans mon travail, ce serait sûrement ma volonté humaniste et mon désir de stigmatiser l’intolérance, l’injustice et le fanatisme, qui seraient mis en évidence.

Comment avez-vous l’idée du concept de Destins, votre nouveau projet ?

Comme beaucoup, j’ai été placé à plusieurs reprises face à des choix cruciaux dans ma vie. Ceux pour lesquels j’ai opté ont décidé de ma vie ultérieure. J’ai eu trois ou quatre choix importants dans mon existence. Si j’avais opté pour l’un ou l’autre chemin, je ne serais pas aujourd’hui à Angoulême à rencontrer le public et les journalistes. Il est très probable, que dans « mes autres vies », j’aurais continué à écrire. Je suis fondamentalement fait pour écrire des histoires. Mais je l’aurais sûrement fait dans un contexte différent. Peut-être serais-je aujourd’hui en train de parler en Allemand ? Où serais-je en train de cuver mon rhum dans une île ? Peut-être encore, serais-je en train de travailler dans un ministère et publierais mes ouvrages sous un nom d’emprunt ? Les voies qui étaient les miennes étaient différentes. J’aime parfois songer à ce qu’il serait advenu de ma vie si j’avais suivi l’une ou l’autre voie. Ces réflexions sont évidement de l’ordre du fantasme, une rêverie.
Mais le théâtre, la BD ou le roman permettent justement de vivre autre chose que la réalité. J’ai donc eu l’idée de permettre aux lecteurs de suivre les différentes vies d’une femme, qui est placée, à la fin du premier tome, à un choix terrible entre deux options. Et elle le sera également à la fin des tomes suivants. Nous suivrons donc chacune de ces options jusqu’à ce que l’arborescence s’inverse, pour se resserrer et se terminer en un album.

Avez-vous bâti les intrigues de chacun des tomes ?

Je réaliserai totalement le premier et le dernier volumes de Destins, afin que l’ensemble de la série garde une cohérence. J’ai résumé en une phrase – et c’est très peu – l’intrigue des albums intermédiaires. Cela laisse une très grande liberté aux scénaristes. Ils devaient cependant respecter une autre consigne importante : respecter le cahier des charges relatif aux personnages.

Comment avez-vous sélectionné les scénaristes ?

Sur base de trois critères. Le premier est simple : je devais apprécier leur travail. Le second l’est aussi : il fallait que ces scénaristes me soient familiers, voire des amis comme Denis Lapière ou Pierre Makyo. Le troisième, et le plus important, était plus délicat : il fallait que je m’entoure de scénaristes qui étaient capables de se soumettre aux impératifs d’un projet de groupe. Ce dernier point était extrêmement contraignant ! Nous avons dû faire un travail de préparation assez long, qui n’a rien à voir avec celui d’un scénario « isolé ». Les synopsis ont dû être refaits plusieurs fois. Chacun des scénaristes a dû modifier son scénario une fois l’ensemble terminé. Je savais que certains scénaristes n’auraient pas supporté de se plier à ce genre de contraintes. Je ne les ai donc pas contactés. Mais heureusement, il restait encore de nombreux scénaristes talentueux et souples.

Extrait du T2 de "Destins"
(c) Collignon, Greiner, Giroud & Glénat.

Qu’avez-vous appris en travaillant de la sorte ?

Ce n’était pas une expérience totalement nouvelle pour moi. Tous les ans, pendant huit jours, je pars dans un endroit désertique, que cela soit en Ardèche ou à l’île d’Ouessant, avec une demi douzaine de scénaristes de BD, d’écrivains, de dramaturges, de cinéastes, etc. Nous travaillons sur nos propres histoires durant la journée, et le soir, nous mangeons ensemble. Ensuite, nous prenons le projet d’un intervenant qui est soumis à la critique générale. J’ai reconstitué ce groupe à une échelle plus grande avec treize scénaristes, pour travailler sur un objectif unique et concret. Je suis persuadé que, quelque soit le talent d’un scénariste, quand il bénéficie du regard d’un autre conteur, le résultat final ne peut que s’améliorer. Treize scénaristes ont critiqué Destins ! Cela a donné de l’épaisseur à ce projet. Il n’aurait pas eu la même épaisseur si je m’étais occupé de l’ensemble des albums moi-même. Ce qui, d’ailleurs, aurait été plus simple et plus rapide !
L’objectif était de bénéficier de l’énergie créative de tous pour dépasser le résultat que l’on aurait atteint de manière individuelle.

Extrait du T3 de "Destins"
(c) Lécossois, Christin, Giroud & Glénat.

Vous avez fait deux séminaires regroupant ces scénaristes.

Oui. Mais nous étions déjà allés assez loin dans le travail avant d’organiser la première rencontre. Nous avions déjà des contacts individuels les uns et les autres, et des échanges « groupés » via e-mails notamment. Une fois que tous les scénaristes avaient rédigé les synopsis, je les ai remis à plat pour mettre en exergue les points litigieux ou ceux qui entamaient la cohérence de l’ensemble. Le premier séminaire a servi à retrouver une cohérence entre les différents synopsis et à affiner la psychologie des personnages qui était fluctuant selon les albums.
Après ce séminaire, chacun est retourné écrire une nouvelle version du synopsis, et j’ai de nouveau effectué un travail d’analyse des différents scripts. Quand les scénarios ont tous été cohérents, nous avons sélectionné les dessinateurs. Nous avons eu un deuxième séminaire, où il a été décidé de la répartition graphique : untel inventerait tel personnage, untel modéliserait la maison d’Ellen, etc.



DESTINS T1, 2 & 3 / Bande annonce
envoyé par GLENATBD. - Films courts et animations.

Parallèlement à Destins, vous continuez à inventer de nouveaux Secrets

En effet. Deux nouveaux Secrets sortiront en juin. Le premier, intitulé La Cordre, avec Marianne Duvivier. A la fin du premier tome, le lecteur découvrira que cette histoire pourrait être un rebondissement inattendu à l’Echarde. Le deuxième, L’Angelus, sera dessiné par Homs. Il s’agira d’un télescopage entre un secret fictif, un personnage inventé et un secret réel qui concerne Salvador Dali. Enfin, je prépare Cavale avec Magda. Mais cet album ne sortira pas avant 2011. Le récit sera découpé en trois albums, et nous attendrons que Magda ait terminé le deuxième album pour publier le premier.

Quel a été l’accueil du public pour cette collection atypique ?

Elle se vend très bien ! Nous en avons été agréablement surpris. C’est une série intermédiaire entre Le Décalogue et Quintett. C’est valorisant pour moi que cela ait fonctionné. Cela me permet de fidéliser un public sur un label, sans pour autant m’imposer les contraintes liées à une série. Je ne dois pas raconter indéfiniment les aventures d’un même personnage. Et je peux explorer des sujets différents, à l’infini. Les secrets diffèrent, et les personnages également.

Avez-vous d’autres projets ?

J’ai déjà évoqué dans vos pages Les Champs d’Azur, la saga familiale sur les pionniers de l’aviation que je prépare avec Luc Brahy, dont le premier tome paraîtra ces prochaines semaines. Les scénarii de certains livres sont déjà terminés depuis de nombreux mois, mais ne sont pas encore parus. J’ai par exemple écrit avec Denis Lapière le scénario de Page Noire, qui paraîtra cette année aux éditions Futuropolis. Nous sommes époustouflés par le travail de Ralph Meyer [1].

Réfléchissez-vous déjà à une nouvelle série conceptuelle après Destins ?

Je ne fonctionne jamais par systématisme, et donc je ne tiens pas à cumuler à tout prix ce genre de projets. S’il me vient une idée, que je considère comme novatrice, et qui m’excite, alors je travaillerai dessus. Pour le moment, je me consacre à Destins. Les trois premiers albums sont parus en janvier. D’autres paraîtront en juin. Six des quatorze albums sont encore en chantier ! Il y a un grand travail de coordination de ma part. Et puis, j’écris actuellement le dernier tome de la série.

Vous n’avez pas envie d’aller vers un autre type de narration ? Vous avez écrit des chansons pour Juliette, dans les années 90 notamment…

Je suis avant tout un conteur ! Tous les moyens narratifs pour raconter une histoire me sont agréables. Mais je suis extrêmement à mon aise dans la bande dessinée. J’ai tâté différents médias, et la bande dessinée est celui qui m’enchante le plus. J’ai l’énorme chance, pour l’instant, que toutes les portes des maisons d’édition me soient ouvertes. Et ce, quelque soit le projet imaginé. Même les plus fous, comme Destins, trouvent preneur ! Je n’ai pas encore épuisé ma boulimie de création dans la BD. Je veux essayer d’aller le plus loin possible avec ce média. Pendant des années, j’ai dépensé une énergie considérable pour placer des projets. Les trois quart d’entre eux n’étaient pas retenus. Aujourd’hui, je n’ai plus ce problème. Je me consacre entièrement à la création et à la narration. Je reste donc dans une excitation permanente. Celle-ci se calmera peut-être au fil du temps, et peut-être qu’un désir d’écrire des pièces de théâtre, des romans ou des chansons, va resurgir. A ce moment-là, j’aviserai. Je ferai sans doute alors moins de BD pour me consacrer à ces différentes choses.

Extrait des "Champs d’Azur"
(c) Brahy, Giroud & Glénat.

(par Nicolas Anspach)

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- « Les ’Destins’ de Frank Giroud » (Janvier 2010)
- « Les Secrets de Frank Giroud » (Septembre 2004)


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[1Des planches de « Page Noire » sont montrées dans une interview de Sébastien Gnaedig sur ActuaBD.com

 
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