Les aventures de Lucien se poursuivent chez Fluide Glacial. Comment s’est passée votre « exfiltration » des Humanoïdes Associés.
Fabrice Giger (actuel gérant des Humanos. NDLR) est venu me voir en me disant : « Je suis vraiment embêté. Au niveau de la boite, on est vraiment dans la merde et il y a Louis Delas (PDG de Casterman. NDLR) qui me tanne pour racheter ta série. Josiane Fernez, la gérante, est très tentée par cette transaction qui permettrait d’apporter un peu d’oxygène aux Humanos. J’aurais besoin de ton accord. ». J’ai toujours été attaché aux Humanos et j’avais continué à travailler pour cette maison, mais si cela pouvait les sauver, j’étais d’accord. La transaction s’est faite quelques mois plus tard. Mais peu de temps après, ils étaient en Redressement Judiciaire, ce qui laisse à penser que cela n’a pas suffi.
Thierry Tinlot, le rédacteur en chef de Fluide Glaciel clame partout que votre place était depuis longtemps à Fluide.
Ce n’est pas faux car j’avais été approché plusieurs fois par Jacques Diament et Marcel Gotlib qui m’avaient demandé de travailler chez eux.
Gotlib vous demande et vous n’y allez pas ?
Non. Le paradoxe, c’est que, en étant un des rares auteurs des Humanos à faire de l’humour, j’avais une place plus remarquée, plus privilégiée. J’avais l’impression que j’avais des lecteurs pour moi aux côtés de ceux qui venaient pour Moebius ou Druillet. Parmi tous ces maîtres de l’humour que j’estime énormément, comme Goossens, Binet ou Edika qui étaient à ce moment-là dans Fluide, je pensais que j’allais être moins remarqué, que je passerais inaperçu.
Est-ce le cas aujourd’hui ?
Au début, je me demandais comment m’intégrer, en changeant éventuellement mon style, mais c’était impossible : on est incapable de changer de style. Je serais incapable de faire autre chose que du Margerin.
Entre-temps, vos rockers ont pris un coup de vieux…
Oui, c’est ça. Pendant sept ans, j’ai fait trois albums de Momo, le coursier chez Albin Michel et un de Shirley & Dino aux Humanos, je n’avais plus trop Lucien dans la main. Et puis reprendre Lucien après autant de temps, dans le contexte de ce qui s’est passé, je ne le sentais pas. On s’était perdus de vue trop longtemps, je ne voyais pas trop quoi raconter. Quand j’avais 25 ans, je racontais les trucs qui m’étaient arrivés peu de temps avant. À 56 ans, je me demandais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir raconter. Je me suis dit que si Lucien avait mon âge, je raconterais ce que je vis aujourd’hui, des histoires de quinquagénaires, de pères de famille. Et puis, j’avais envie de parler de mon époque ! J’en avais marre des années 1970-1980. Je l’ai donc fait vieillir et je me suis retrouvé dans mon personnage, comme un poisson dans l’eau.
Comment le public a-t-il réagi ?
Le public a bien réagi : L’idée de retrouver un « vieux » Lucien a fait comme un petit électrochoc. Très vite, en lisant le bouquin, ça l’a fait. Et puis, certains de mes lecteurs ont plus de 50 ans aujourd’hui. Les gamins ont pris du plaisir à le lire car ils se retrouvent dans les enfants de Lucien. Ca les fait bien marrer. Je n’ai eu aucune mauvaise critique sur cet album. Le deuxième album est un recueil de petites histoires courtes parues dans Fluide. Je renoue avec les histoires courtes que je faisais au début dans Métal.
Et chez Fluide, vous vous sentez légitime ?
Mes BD ne ressemblent pas aux autres, mais personne ne ressemble à l’autre de toute façon, chacun a son style. Finalement, ce qui relie tous ces gens-là, c’est l’humour. Dupuy & Berberian sont très différents d’un Gaudelette. On a chacun son univers. J’espère juste que les gens se jetteront sur Fluide pour lire du Margerin !
Propos recueillis par Didier Pasamonik
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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