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Frank Margerin : « Je serais incapable de faire autre chose que du Margerin. »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 décembre 2009                      Lien  
Absent des bacs pendant sept ans, Lucien était revenu avec un premier album et avait entre-temps pris un coup de vieux : le rocker était devenu père. Il revient en cette fin d’année avec un nouvel album, Lucien père & fils, bien ancré dans l’époque contemporaine. Rencontre avec son géniteur.
Frank Margerin : « Je serais incapable de faire autre chose que du Margerin. »
Lucien Tome 10
Ed. Fluide Glacial

Les aventures de Lucien se poursuivent chez Fluide Glacial. Comment s’est passée votre « exfiltration » des Humanoïdes Associés.

Fabrice Giger (actuel gérant des Humanos. NDLR) est venu me voir en me disant : « Je suis vraiment embêté. Au niveau de la boite, on est vraiment dans la merde et il y a Louis Delas (PDG de Casterman. NDLR) qui me tanne pour racheter ta série. Josiane Fernez, la gérante, est très tentée par cette transaction qui permettrait d’apporter un peu d’oxygène aux Humanos. J’aurais besoin de ton accord. ». J’ai toujours été attaché aux Humanos et j’avais continué à travailler pour cette maison, mais si cela pouvait les sauver, j’étais d’accord. La transaction s’est faite quelques mois plus tard. Mais peu de temps après, ils étaient en Redressement Judiciaire, ce qui laisse à penser que cela n’a pas suffi.

Thierry Tinlot, le rédacteur en chef de Fluide Glaciel clame partout que votre place était depuis longtemps à Fluide.

Ce n’est pas faux car j’avais été approché plusieurs fois par Jacques Diament et Marcel Gotlib qui m’avaient demandé de travailler chez eux.

Gotlib vous demande et vous n’y allez pas ?

Non. Le paradoxe, c’est que, en étant un des rares auteurs des Humanos à faire de l’humour, j’avais une place plus remarquée, plus privilégiée. J’avais l’impression que j’avais des lecteurs pour moi aux côtés de ceux qui venaient pour Moebius ou Druillet. Parmi tous ces maîtres de l’humour que j’estime énormément, comme Goossens, Binet ou Edika qui étaient à ce moment-là dans Fluide, je pensais que j’allais être moins remarqué, que je passerais inaperçu.

Est-ce le cas aujourd’hui ?

Au début, je me demandais comment m’intégrer, en changeant éventuellement mon style, mais c’était impossible : on est incapable de changer de style. Je serais incapable de faire autre chose que du Margerin.

Frank Margerin en septembre 2009
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Entre-temps, vos rockers ont pris un coup de vieux…

Oui, c’est ça. Pendant sept ans, j’ai fait trois albums de Momo, le coursier chez Albin Michel et un de Shirley & Dino aux Humanos, je n’avais plus trop Lucien dans la main. Et puis reprendre Lucien après autant de temps, dans le contexte de ce qui s’est passé, je ne le sentais pas. On s’était perdus de vue trop longtemps, je ne voyais pas trop quoi raconter. Quand j’avais 25 ans, je racontais les trucs qui m’étaient arrivés peu de temps avant. À 56 ans, je me demandais qu’est-ce que j’allais bien pouvoir raconter. Je me suis dit que si Lucien avait mon âge, je raconterais ce que je vis aujourd’hui, des histoires de quinquagénaires, de pères de famille. Et puis, j’avais envie de parler de mon époque ! J’en avais marre des années 1970-1980. Je l’ai donc fait vieillir et je me suis retrouvé dans mon personnage, comme un poisson dans l’eau.

Comment le public a-t-il réagi ?

Le public a bien réagi : L’idée de retrouver un « vieux » Lucien a fait comme un petit électrochoc. Très vite, en lisant le bouquin, ça l’a fait. Et puis, certains de mes lecteurs ont plus de 50 ans aujourd’hui. Les gamins ont pris du plaisir à le lire car ils se retrouvent dans les enfants de Lucien. Ca les fait bien marrer. Je n’ai eu aucune mauvaise critique sur cet album. Le deuxième album est un recueil de petites histoires courtes parues dans Fluide. Je renoue avec les histoires courtes que je faisais au début dans Métal.

Et chez Fluide, vous vous sentez légitime ?

Mes BD ne ressemblent pas aux autres, mais personne ne ressemble à l’autre de toute façon, chacun a son style. Finalement, ce qui relie tous ces gens-là, c’est l’humour. Dupuy & Berberian sont très différents d’un Gaudelette. On a chacun son univers. J’espère juste que les gens se jetteront sur Fluide pour lire du Margerin !

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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9 Messages :
  • Il a commencé il y a plus de trente ans dans Métal Hurlant, il a su s’échapper à temps de la faillite métallique qui hurlait, ses albums nous rappellent avec plaisir les années soixante, le twist et le rock, c’est François (comme moi !!)Margerin !! Yeah !!

    Fort astucieusement et efficacement, Margerin a privilégié l’humour, la rigolade et le clin d’oeil malicieux et amical aux recherches nombrilo-esthetico et intello-artistiques. Ce qui lui a permis d’échapper à la crise en rassemblant un public nombreux de lecteurs fidèles, enthousiastes et de bon goût !! Quand je me prends un vilain coup de déprime (lecture d’une nouvelle BD encensée par la presse à la mode, bien décevante et noire...), quand la santé pose problème, quand un proche décède, quand une maîtresse joue avec cruauté de son charme, je me replonge dans la lecture d’un Margerin, et cela marche à chaque coup !! Si la Sécu n’était pas gérée par des syndicats psychorigides et bien maladroits, elle aurait depuis longtemps préconisé le remboursement de ses albums, bien plus efficaces contre la déprime que bien des tranquillisants-bidon !!

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    • Répondu le 13 décembre 2009 à  00:37 :

      P...n ! Le vieux lieu commun du "ça devrait être remboursé par la sécurité sociale", jamais vous trouvez vos propres astuces.

      (pourquoi venir coller ici les billets de votre blog ?)

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      • Répondu par Oncle Francois le 13 décembre 2009 à  10:49 :

        "ça devrait être remboursé par la sécurité sociale" n’est pas une astuce, mais une opinion personnelle. Beaucoup de médicaments n’ont pas une efficacité prouvée. Pour preuve, le taux de remboursement par la Sécu ne cesse de baisser. La lecture des livres de Margerin évite la dépression, comme celle des Gaston Lagaffe !

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        • Répondu par SKUD le 13 décembre 2009 à  15:14 :

          Lucien : anti déprime C’est pas faux, ça, alors que pleins de machins nombrillo grabouillés, que mon libraire espère me fourguer, pensant que je suis devenu aveugle, auraient tendance à me conduire à la déprime

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    • Répondu par serpico le 13 décembre 2009 à  00:59 :

      "Si la Sécu n’était pas gérée par des syndicats psychorigides et bien maladroits, elle aurait depuis longtemps préconisé le remboursement de ses albums, bien plus efficaces contre la déprime que bien des tranquillisants-bidon !!"

      a bon la sécu est gerée par des syndicats ??
      Je partage souvent vos avis d’amateur bd eclairé monsieur oncle françois, mais là pour le coup, c’est quand même une belle c...erie de tout mélanger comme ça.
      ça n’est pas faire honneur aux résistants d’aprés 45 qui fraternellement gaulistes comme socialistes décident ensemble de créer cette magnifique caisse de solidarité.
      Qui est l’expression réelle de la parole du christ !

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    • Répondu le 13 décembre 2009 à  08:47 :

      Le bon goût s’opposerait donc aux recherches esthétiques et intellectuelles ?

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      • Répondu le 13 décembre 2009 à  21:16 :

        Des recherches doivent-elles être publiées ? Seuls les éventuels (bons) résultats de ces recherches devraient l’être à mon avis.

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        • Répondu par Manu temj le 14 décembre 2009 à  08:13 :

          C’est ça supprimons du marché tout ce qui est plus ou moins conceptuel et qui n’a pa été validé par le bon goût du public...
          C’est plutôt ce que je lis pour ma part, mais j’accepte votre requête de bonne grâce.

          En revanche, je vous demanderai d’accepter, tant que nous y serons, de supprimer aussi tous les albums ratés d’auteurs vieillissants qui n’ont plus rien à dire (je ne dis pas ça pour Margerin...)
          Et puis tous les suiveurs qui dès leur début de carrière réchauffent des recettes éprouvées pour produire des histoires qu’on a l’impression d’avoir lues 100 fois dès la seconde planche passée et nous font gâcher notre maigre salaire.
          Sans oublier les albums sortis trop tôt de jeunes auteurs pas encore accomplis et truffés de petites imperfections, certes touchantes mais hélas bien souvent édifiantes.
          Enfin dézinguons toute la BD marketing sur la retraite, la quarantaine ou le célibat, indigne d’un bédéphile respectable !

          ...le résultat sera alors formidable ! Il ne paraîtra plus que 10 ou 15 (aller... 25 pour les crus exceptionnels) albums par an et nous autres bédéphiles aurons atteint notre Nirvana : rien que de "l’excellente BD", consentuelle, "bien dessinée", avec "des vrais bons scénarios et du travail derrière", très rentable parce que "appréciée du vrai public" et tout ça sans dépenser trop !

          Yeah !
          Formidable !!!

          (...et si nous laissions plutôt s’exprimer les auteurs et les éditeurs dans leur diversité, de sorte à ce que chacun y trouve son compte ?...)

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          • Répondu le 14 décembre 2009 à  17:25 :

            J’aurais du préciser : "tout doit-il être publié en albums ?
            Bien sûr que l’art est en perpétuel évolution et que la BD ne doit évidemment pas y déroger mais dans les années 1950 à 1980, le marché de la BD était plus sain : les différents (et alors nombreux) magazines et fanzines faisaient office de laboratoires dans lesquels les nouveaux auteurs pouvaient proposer des choses différentes et/ou plus audacieuses... avant d’être éventuellement publiés secondairement en albums pour certains, après être arrivés à "maturité" ; ce dernier point étant estimé par des éditeurs audacieux mais compétents et/ou le feedback du courrier des lecteurs.
            Maintenant tout ou presque est directement publié en albums et cette surproduction nuit à tout le monde... Voir les autres débats très pertinents à ce sujet sur ce site.

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