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Fred Duval ("Sept Personnages") : « D’un auteur, ne restent que ses écrits »

Par Thierry Lemaire le 20 septembre 2011                      Lien  
Avec {Sept Personnages}, Fred Duval retrouve le XVIIème siècle français qu'il avait déjà abordé dans son adaptation de {Tartuffe}. Celui-ci est d'ailleurs un des acteurs de l'enquête qui suit la mort de Jean-Baptiste Poquelin, aidé par six compagnons tous aussi prestigieux les uns que les autres.

Sept personnages en quête d’auteur aurait pu être le titre de cet album qui lève le rideau sur la mort bien suspecte de Molière. Son malaise fatal après la représentation du Malade imaginaire a-t-il été provoqué par un empoisonnement criminel ? C’est le mystère que vont tenter de résoudre ces sept personnages qui finalement, vont se battre pour ne pas disparaître eux aussi.

Comment est né ce projet ? Quel est le lien avec la série des Tartuffe que vous avez écrit auparavant pour Delcourt ?

A l’occasion de la parution du premier Tartuffe, il y a eu un partenariat avec le théâtre de l’Odéon où était joué la pièce mise en scène par Stéphane Braunschweig. On est allé avec Guy Delcourt et quelques amis assister à la représentation. Et en sortant, en discutant sur le trottoir avec Guy, on est parti dans un délire. Ce serait marrant d’avoir un crossover entre deux pièces de Molière. Ça pourrait même faire un Sept Personnages. Etc. Moi je ne le sentais pas trop. C’était super ambitieux. Mais après réflexion, j’en ai reparlé à Guy, d’autant plus que j’avais un début d’intrigue. L’ossature était là, il suffisait juste d’avoir une bonne dose d’inconscience et de prétention pour s’attaquer à ce monument. Mais à la base, j’aime beaucoup Molière, je l’ai beaucoup lu. Ce n’est pas comme si je découvrais un auteur pour faire un coup.

Fred Duval ("Sept Personnages") : « D'un auteur, ne restent que ses écrits »

Parallèlement à ça, il y avait la première saison de Sept à laquelle je n’ai pas pu participer. J’étais sur la liste de David [Chauvel, le directeur de la collection], mais pour X raisons je n’avais pas pu. J’avais fait Le Casse avec lui ensuite. Ça s’était bien passé, et puis on se connaît depuis longtemps. Donc j’avais plus ou moins postulé pour la deuxième saison. Mais si ça n’avait pas abouti, je pense que j’aurais essayé de le faire en one-shot.

Tout commence par un enterrement.

Et comment s’est fait le choix des personnages ? Qu’est-ce qui a joué le plus, leur notoriété, leur caractère ?

Beaucoup de choses ont joué. Bon, moi j’avais des choix personnels, c’est-à-dire ceux que je considère comme majeurs : Tartuffe, Alceste pour le Misanthrope, Dom Juan, et Agnès, qui est le personnage féminin le plus fort de Molière. Ces quatre là étant incontournables. Il fallait un valet. Scapin, c’était formidable, mais est venue l’idée de s’inspirer des Fourberies pour créer un valet générique qui traverse toutes les pièces, qui finalement vient de la Commedia dell’Arte. Harpagon s’est forcément imposé parce qu’il fallait quelqu’un pour financer l’opération présentée dans l’album. Il y a un ressort comique très premier degré que les gens comprendront. Les gens qui aiment De Funès, ils vont aimer.
Et pour le dernier personnage, ça a été un crève-cœur. Pour moi, en éliminant tout, il en restait deux : Argan pour le Malade imaginaire, et Monsieur Jourdain pour le Bourgeois gentilhomme. Au début, j’avais envie de Monsieur Jourdain parce qu’il a une plus grande force comique qu’Argan. Mais je l’ai éliminé parce qu’il n’aurait pas fait avancer beaucoup l’histoire. Il aurait pu faire des bons mots mais ça aurait plombé les dialogues. Alceste aurait pu l’envoyer sur les roses, mais j’avais déjà la rivalité Dom Juan – Alceste à gérer. En revanche, comme Molière était mort empoisonné, ça impliquait un médecin, Donc Argan s’est imposé. Mais j’aurais bien aimé mettre quand même le bourgeois gentilhomme.

Oui mais huit, pour la série, c’était un peu compliqué.

Ah mais j’ai fait huit avec le chat. Personne ne l’a vu. Il est là tout le temps. Pour moi, c’est la présence de Molière qui regarde les personnages.

Et dans ces personnages, il y en a un qui a votre préférence ?

Oui, le misanthrope. Pour moi, c’est le personnage le plus complexe de Molière. Le plus fascinant avec Dom Juan. D’ailleurs, c’est le personnage central avec Agnès, qui mène l’intrigue. J’adorerais adapter le Misanthrope en bande dessinée. Mais ça me demande encore un peu de maturité dans l’écriture. C’est une pièce beaucoup plus difficile qu’elle ne le paraît.

Une fameuse brochette.

Vous partez du principe que les personnages de Molière sont inspirés par des personnes réelles.

C’est toute ambiguïté de ce scénario. C’est une discussion qu’on a eu avec David Chauvel au tout départ. « Est-ce qu’on explique ou est-ce qu’on explique pas ? » Mon point de vue, et on est tombés très vite d’accord, c’était de jouer la licence poétique et laisser le lecteur faire son opinion. Est-ce que ce sont les vrais personnages, venus d’on ne sait où ? Est-ce que ce n’est pas la conscience de Molière qui enquête sur sa propre mort ? Il n’est pas gênant de ne pas l’expliquer puisque de toutes façons on est dans l’irrationnel avec Dom Juan qui revient des enfers. C’était une fantaisie, c’est dit dès le début, et j’ai fait ce choix de jouer la carte d’une lutte pour l’oubli et la postérité. J’ai trouvé cette idée là majeure dans le récit. C’est expliqué par Dom Juan à la fin. D’un auteur, ne restent que ses écrits. Donc si on veut faire disparaître l’oeuvre, on s’attaque à ses personnages. C’est un peu la parabole qui ressort du livre.

Le fait de tirer les personnages de personnes réelles, est-ce que vous le pratiquez fréquemment pour vos albums ?

Oui, ça m’arrive. J’utilise beaucoup ça pour les dialogues. J’écoute beaucoup les gens, la manière dont ils parlent. Contrairement à ce qu’on voit dans 90% des BD, quand les gens parlent dans la vie, il y a très peu d’humour. Le dialogue réel, quand on ne le stylise pas un minimum, c’est hyper plat. Quand des gens ont une manière particulière d’imbriquer des phrases, ça m’intéresse. Tenez, dans le train par exemple. Il y a 20 ans, en tant que scénariste, on essayait d’imaginer ce que faisaient ses voisins de compartiment. Aujourd’hui, avec les portables, on sait tout de la vie des gens. C’est sûr que ça inspire.

A travers la trame romancée sur le testament de Molière, vous levez le voile sur une terrible conspiration. Quelle est la part de vérité sur l’histoire des empoisonneuses ?

Toute cette affaire des poisons est vraie. En tout cas, il y a eu des implications, des condamnations. Il y avait une vraie rivalité entre Louvois, le ministre des armées et Colbert qui était un peu ministre de tout le reste. Cette rivalité a trouvé un écho particulier dans l’affaire des poisons puisque Colbert a fait retarder l’enquête, la Montespan a été impliquée par La Reynie, le fameux flic, ce qui a contribué à sa chute. Toute cette partie là est historique.

Les messes noires, les sacrifices d’enfants ?

Il y a eu des rumeurs, oui. Mais beaucoup de choses ont été enterrées. A partir du moment où Versailles devient Versailles, où Louis XIV attire la noblesse dans cette vie de cour, il y a un pourrissement de la haute société. Le microcosme de la noblesse est en mal de sensations. On va vers une sorte de décadence. Et puis en même temps, Louis XIV sait nommer Colbert et moderniser la France. En tout cas, l’affaire des poisons a vraiment secoué Paris et les plus hauts sommets de l’Etat comme on dit aujourd’hui, dans les années 1673-74.

Et la pièce inédite de Molière ?

Ah ça, c’est inventé complètement. Mais la semaine dernière, je suis tombé sur un document révélant que Molière avait peut-être été empoisonné et qu’il aurait eu une dernière pièce qui aurait été brûlée. La coïncidence avec mon scénario est incroyable. Bon, c’est le grand fantasme, un auteur majeur a toujours une pièce cachée. Mais sur l’histoire de l’empoisonnement, ça va assez loin. C’est un peu comme l’idée que Corneille a écrit toutes les pièces de Molière. Je pense qu’il ne faut pas prendre tout ça au sérieux.

Alors, après avoir écrit les adaptations de Tartuffe et maintenant Sept Personnages, vous n’êtes pas un peu lassé du XVIIème siècle ?

Ah non, pas du tout. Au contraire, j’ai une documentation aujourd’hui qui m’ouvre plein de portes. Notamment la vie de Racine qui me passionne en ce moment. Je prépare une aventure classique de capes et d’épées. Je pense que j’ai une bonne idée sur le sujet. Ce ne sera pas pour tout de suite. Ce sera avec Florent Calvez [le dessinateur de 7 personnages], mais on a deux bouquins à faire avant. On refait un Jour J, sur l’après Révolution française, et on participe à une autre série concept dont je ne peux pas encore parler qui sortira dans un ou deux ans.

(par Thierry Lemaire)

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