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Frédéric Cambourakis (éditeur) : « La BD est en crise depuis une petite année »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 12 septembre 2011                      Lien  
Éditeur singulier, Cambourakis s’est fait remarquer dès son arrivée sur le marché par des nominations-surprise à Angoulême 2008 pour Le Jeu des hirondelles de Zeina Abirached et en 2009, pour Joanna Hellgren pour Mon Frère nocturne. Publiant peu mais soigneusement, il évoque son activité d’éditeur au sein d’un marché quelque peu perturbé.
Frédéric Cambourakis (éditeur) : « La BD est en crise depuis une petite année »
"Le Jeu des Hirondelles" de Zeina Abirached
Éditions Cambourakis

Comment êtes-vous devenu éditeur ?

C’est l’aboutissement de la première partie de mon parcours professionnel : j’étais libraire, spécialisé BD pendant un moment. Après une quinzaine d’années à naviguer dans le milieu du livre, ce qui au départ pouvait sembler inaccessible mais cependant attirant, est devenu possible...

Avec mon expérience, mes connaissances, un petit réseau de contacts, je me suis finalement senti capable de me lancer, après avoir compris que j’en avais vraiment envie.

Et puis c’est un métier dans lequel on peut encore se lancer sans trop de financements, c’est aussi une donnée importante, je suis parti avec ce dont je disposais, c’est-à-dire très peu.

"Frances" par Joanna Hellgren
Éditions Cambourakis

Votre catalogue n’est pas seulement constitué de bande dessinée.

Effectivement, nous éditons aussi de la littérature, principalement étrangère. Cela correspond à mes goûts de lecteur. Je ne suis pas seulement amateur de bande dessinée et je voulais dès le départ que la maison soit ouverte, ne pas m’enfermer.

La BD est la partie du catalogue qui nous a fait connaitre et qui enregistre nos plus gros succès.

Mais cela évolue, un de nos romans américains marche très bien en ce moment, cela contribue à changer notre image, vers une maison d’édition plus généraliste.

Vous vous êtes assez vite fait remarquer par des nominations à Angoulême. Il y a un truc, vous avez des amis bien placés ?

Le truc vraiment efficace, c’est de faire un bon livre et, si l’on a, en plus, la chance qu’il rencontre du succès, ça aide !

Nous avons effectivement eu la chance d’être nominés dès la première année, avec Le Jeu des hirondelles de Zeina Abirached. Ce sont les livres qui sont sélectionnés, pas l’éditeur. Et même si cela peut sûrement jouer, ce n’est pas le cas à la création d’une maison. Joanna Hellgren était une vraie découverte, ce qui montre que lorsque le talent est véritablement manifeste, le jury est capable de le reconnaître. Quant à Ivan Brunetti, qui n’avait jamais été publié en France, son travail est évidemment incontournable pour qui connaît un peu la bande dessinée américaine...

Donc non, pas d’amis haut placés...

Frédéric Cambourakis en mars 2011
Photo : D. Pasamonik (L’Agence BD)

Vous êtes devenu libraire après avoir été éditeur, ou je me trompe ?

Oui, vous vous trompez, mais à moitié. J’ai été libraire avant d’être éditeur, et maintenant je viens d’ouvrir un petit coin librairie dans nos locaux. Mais c’est très modeste. Nous restons éditeurs avant tout, et cela nous occupe suffisamment !

Zeina Abirached est devenue véritablement un best-seller. À quoi attribuez-vous ce succès ?

À la qualité de son livre, évidemment...

Il y a eu cette polémique à la sortie du livre, c’est sûr, cette comparaison avec Persepolis, mais cela a joué dans les deux sens : plébiscite et boycottage. Dans l’ensemble, le public a massivement suivi. Avec ses autres livres, son œuvre se construit, sa singularité, ses qualités s’imposent. Le Jeu des hirondelles s’est vendu à 14 000 exemplaires. C’est, je crois, un des plus beaux succès de la BD indé de ces dernières années. De plus, le livre sort aux États-Unis l’année prochaine, après six autres traductions… Son travail plaît. C’est grâce au mélange d’une BD très graphique à la narration et à la mise en page très originales, et de cette façon qu’elle a de traiter avec humour et tendresse un sujet fort, la guerre du Liban en l’occurrence.

Une page de "Je me souviens : Beyrouth" de Zeina Abirached
(C) Cambourakis

Quelles sont les autres grandes trouvailles de votre catalogue ?

Question délicate, une grande trouvaille, ce n’est pas simple à définir...

"Nous n’irons pas voir Auschwitz" de Jérémie Dres
Éditions Cambourakis

Mais bon, c’est vrai que si on aime tous nos titres, certains ont une place particulière, pour différentes raisons, humaines parfois, liées aux relations avec les auteurs qui sont maintenant profondes et fortement sympathiques.

Je citerais donc : Joanna Hellgren, Ivan Brunetti, José Carlos Fernandes, Choi Juhyun... Des livres, des auteurs, des univers...

Et d’autres à venir !

Vous avez l’impression que la BD alternative ou indépendante est en crise aujourd’hui ? C’est une crise de croissance ?

Houla, vaste et complexe sujet. Le monde du livre est en crise, depuis deux ans je dirais et, aspect nouveau, après une très longue période faste, la BD est elle aussi en crise et ce, depuis une petite année. C’est une crise générale qui n’a aucune raison d’épargner la BD « alternative ou indépendante », donc oui elle est en crise. Mais une crise spécifique à ce domaine ?

"Le Salon" de Nick Bertozzi (pour novembre 2011)
Ed. Cambourakis

Il a évolué, c’est sûr, la quantité des éditeurs notamment, et le nombre de titres, d’où un premier problème de surproduction dans un marché dont le public reste limité. De plus, la vieille distinction entre éditeurs indépendants, très intransigeants artistiquement et politiquement, et les gros éditeurs commerciaux a disparu, le paysage est désormais plus complexe, avec des éditeurs qui visent à la fois une réelle qualité et l’ambition commerciale.

Donc oui, en gros tout le monde essaie de se débrouiller, c’est une sorte de crise de croissance…

"On a perdu la guerre, mais pas la bataille" par Michel Gondry - Pour Janvier 2012
Ed. Cambourakis

Comment pensez-vous vous distinguer dans ce contexte ?

Notre volonté a toujours été de trouver des œuvres originales et de les éditer avec le plus grand soin possible, en termes de maquette, de lettrage et de fabrication. On ne cherche pas forcément à se distinguer par des actions particulières, on préfère miser sur le temps, continuer à construire un catalogue, suivre des auteurs, défendre encore plus chaque titre pour lui donner de la visibilité.

Vos projets immédiats ?

Nous sortons sept titres cet automne, difficile de vous parler de tout. Plusieurs nouveaux auteurs, notamment Jérémie Dres, qui signe Nous n’irons pas voir Auschwitz, un récit entre reportage et autobiographie, une enquête passionnante sur la renaissance de la communauté juive en Pologne. Du côté américain, un polar original qui a pour toile de fond le Paris artistique du début du siècle, Picasso, Braque et Gauguin... Nous attendons aussi le nouveau livre de Zeina Abirached, Beyrouth Partita.
Le début de l’année prochaine sera aussi très riche, avec le dernier volume de la série Frances de Joanna Hellgren et, petite surprise, une BD signée Michel Gondry !

Propos recueillis par Didier Pasamonik

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

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