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Front Froid : 10 ans de bande dessinée de genre au Québec

Par Marianne St-Jacques le 12 avril 2017                      Lien  
Co-fondé par Gautier Langevin et Olivier Carpentier en 2006, Front Froid a célébré son 10e anniversaire lors du Festival de la BD francophone de Québec 2017. Retour sur une décennie de BD de genre avec les intervenants de cette structure d’édition et de promotion de la bande dessinée québécoise.

Organisme à but non lucratif, maison d’édition, producteur d’ateliers, de conférences et de spectacles, Front Froid est un ovni dans paysage de la bande dessinée québécoise (BDQ). Gérée par un conseil d’administration formé de bénévoles, cette structure hybride a pour objectif de faire la promotion de BDQ de genre (science-fiction, fantasy, horreur, polar, western, etc.), tout en donnant une plateforme de publication aux auteurs émergents. Avec 16 titres à son catalogue, dont neuf collectifs (huit numéros du Front et un numéro de Réservoir Cyberpunk) et sept récits longs présentés sous forme d’albums (collection Anticyclone), Front Froid tient également des soirées d’impro BD, en plus d’offrir un volet d’animation et de dessin en direct lors de salons ou de festivals.

Front Froid : 10 ans de bande dessinée de genre au Québec
Paru en mars 2017, Le Seigneur de Saint-Rock, par ValMO et Francis Desharnais, est l’album le plus récent de Front Froid. Dans cet ouvrage de fantasy humoristique, les auteurs dénoncent la gentrification et la spéculation des promoteurs immobiliers dans le quartier Saint-Roch de Québec.
Image : Front Froid.
ValMO et Francis Desharnais lançaient le Seigneur de Saint-Rock à l’occasion de la soirée Front Froid au Festival de la BD francophone de Québec 2017. Le lancement se déroulait dans le quartier Saint-Roch.
Photo : Marianne St-Jacques.

Rencontré lors de la soirée anniversaire tenue au Festival de la BD francophone de Québec, Gautier Langevin, scénariste de la série de science-fiction western Far Out (Lounak), revient sur les conditions qui ont mené à la fondation de l’organisme : « C’est le désir que nous avions de publier de la bande dessinée de genre au Québec qui a mené à la création de Front Froid. À l’époque, en 2006, il n’y avait pas énormément de structures au Québec qui publiaient de la BD de genre. On avait envie de développer ce secteur. Au fil des expériences, des envois de manuscrits, des envois de projets, nous nous sommes dit que nous allions fonder une structure pour aider à diffuser et à démocratiser ce sous-genre en bande dessinée au Québec. (…) Je pense qu’il y avait quand même un besoin : beaucoup de gens recherchaient ce genre de BD et je crois que nous sommes venus combler un manque dans ce créneau. »

Or, plutôt que de créer maison d’édition opérant selon un modèle d’entreprise privée, Langevin et Carpentier ont opté pour une structure hybride : « Tant qu’à œuvrer pour les artistes et pour la démocratisation du genre, nous nous sommes dit que nous formerions un organisme à but non lucratif et qu’une partie de nos activités serait d’œuvrer pour cette démocratisation, donc de faire des ateliers, de faire de la formation, d’encadrer de jeunes auteurs dans leurs publications. C’est de là qu’est venu le désir de créer un OSBL, car il y avait aussi une mission sociale de rattachée à cela. De toute façon, ce n’était pas une entreprise pour faire de l’argent, mais une entreprise pour développer un milieu. »

Table ronde sur la BD de genre au Québec avec Julien Paré-Sorel (Front Froid), Marc Tessier (Éditions Trip) et Jean Philippe Bergeron alias Cy (BerBer) animée par Raymond Poirier au FBDFQ 2017.
Photo : Marianne St-Jacques.

Au fil des ans, la BD de genre, tout comme la BDQ en général, a connu une évolution importante. Plusieurs maisons d’édition et événements ont vu le jour. Selon le Rapport sur la production québécoise de bande dessinée en 2015 rédigé par Michel Viau pour le compte de l’ACBD, la BD de genre représente désormais près de 15% de la production au Québec. Aussi, comme l’explique le président du conseil d’administration de Front Froid Julien Paré-Sorel (Léthéonie, La Ligne rouge), les activités de l’organisation ont surtout permis de faire découvrir de nouveaux talents : « C’est comme une famille qui grandit avec les années. Ceux qui ont commencé à publier dans Le Front – Michel Falardeau, Jeik Dion, Cab, et moi-même – nous avons publié des albums et nous travaillons sur d’autres projets. C’est une belle façon pour les auteurs émergents de faire de premières armes, et ensuite de rebondir sur d’autres projets de plus grande envergure. » Celui-ci explique l’impact que Front Froid a eu sur son propre développement en tant qu’auteur : « Ça m’a donné une plateforme pour proposer des projets de BD. Je m’identifiais beaucoup à la BD de genre un peu punk, avec une esthétique un peu trash, ouverte aux récits fantastiques. Par ailleurs, Front Froid, c’est aussi des amis, des gens que j’ai rencontrés et avec lesquels j’ai eu envie de travailler. C’est grâce à Front Froid que j’ai pu publier ma première bande dessinée, Léthéonie, il y a trois ans. »

Même son de cloche du côté de Cab, alias Caroline Breault, directrice artistique de Front Froid et auteure du récit de science-fiction post-apocalyptique Hiver Nucléaire : « J’ai publié l’antépisode d’Hiver Nucléaire dans Le Front 6, avant même de commencer la série. D’avoir une porte chez un éditeur m’a permis de commencer à faire la tournée des festivals, de me lier d’amitié avec les gens de Front Froid, et éventuellement d’avoir une première publication. Ça m’a amené beaucoup d’amis, de festivals et de plaisir. »

Gautier Langevin, lui, est catégorique. Celui qui occupe désormais des fonctions éditoriales chez Lounak a tout appris du métier grâce à Front Froid : « C’est ce qui m’a appris comment le milieu fonctionnait. Ça m’a appris comment parler lors d’événements, comment aborder le public, quels étaient les rouages de la distribution et de la diffusion. Ça m’a appris comment travailler en équipe, avec un illustrateur. C’est comme ça que j’ai fait mes premières armes avec Olivier Carpentier. Notre premier western, nous l’avons publié dans Le Front 5. C’est ainsi que nous avons appris que nous aimions faire du western. Je dois tout à cet organisme ! »

Hiver nucléaire T2, par Cab (2016). Dans cette série de science-fiction post-apocalyptique, Flavie assure un service de livraison en motoneige dans un Montréal enseveli en permanence.
Image : Front Froid.

Le tournant Anticylone

Le lancement de la collection Anticyclone, consacrée aux albums solos, a marqué un jalon important dans l’évolution de Front Froid. De l’avis de Cab, les ouvrages de cette collection ont contribué à l’élargissement du rayonnement de la BD de genre au Québec : « Les albums de la collection Anticyclone sont jusqu’à ce jour les meilleurs succès critiques et commerciaux de Front Froid, malgré le fait que les collectifs ont leur qualité et ont permis à beaucoup de gens d’avoir une première publication. On milite vraiment pour qu’il y ait une place pour le genre, car ce n’est pas une sous-littérature et cela vient avec des préjugés. » Gautier Langevin abonde dans le même sens : « Cela nous a permis de développer un peu plus notre créneau, c’est-à-dire de faire de la BD de science-fiction très ancrée dans la culture du Québec. Sans renier nos origines, nous avons trouvé une manière de faire du "cartoon network" québécois. »

Parmi les autres bons coups de l’organisme, Julien Paré-Sorel souligne les projets inusités qui ont permis de développer de nouveaux publics : « La Ligne rouge était un projet singulier qui sortait du lot, avec le modèle de division des tâches à l’américaine ou à la japonaise, et aussi avec la publication papier dans le journal Métro en 2015, à raison de deux strips par semaine. Cela a permis d’amener notre bande dessinée ailleurs. De même, lorsque nous avons commencé à faire de l’impro BD à Montréal, en association avec la ligue d’impro BD du Québec, cela nous a permis d’entrer en contact avec le milieu des comédiens de Montréal et des salles de spectacles. Cela permettait également aux dessinateurs de se développer à un autre niveau et de prendre confiance dans leur talent. »

Avec Léthéonie (2013), Julien Paré-Sorel propose une réflexion sur l’identité, la mémoire et l’oubli. Ici, un homme amnésique tente de trouver son chemin sur une île peuplée d’êtres surnaturels.
Image : Front Froid.
Julien Paré-Sorel, président du conseil d’administration de Front Froid, lors d’une table ronde au Festival de la BD francophone de Québec 2017.
Photo : Marianne St-Jacques.

Malgré ces succès, Front Froid a toujours des défis à surmonter. Comme de nombreux éditeurs québécois, l’organisme fait face à des contraintes financières. C’est pourquoi celui-ci a mis sur pied différentes initiatives, telles que son party-bénéfice, une soirée festive permettant d’amasser des fonds. De même, l’organisme propose un programme d’adhésion, ce qui permet au public de participer au financement de ses activités tout en bénéficiant d’avantages spéciaux pour les membres (abonnement et accès privilégié aux événements spéciaux).

Parmi les autres défis à relever, Julien Paré-Sorel note le recrutement d’administrateurs bénévoles. Cela ne l’empêche toutefois pas d’entrevoir l’avenir avec optimisme : « Le défi à relever sera de trouver des gens qui ont encore l’énergie et le temps de s’impliquer dans le conseil d’administration pour faire rouler la machine. Il faut aussi continuer à publier de la bonne bande dessinée. C’est bien parti avec Anticyclone. On a un beau créneau de BD fantastique ou de science-fiction ancrée au Québec, dans des villes précises, comme le quartier Saint-Roch à Québec (Le Seigneur de Saint-Rock) et le quartier Mile-End à Montréal (Hiver Nucléaire). Le défi demeure donc de continuer à publier des projets de qualité, de bien encadrer nos auteurs et de faire de beaux livres, de faire des événements et d’avoir une belle présence pour offrir des spectacles ou des rencontres de qualité entre nos auteurs et le lectorat. »

Quant aux objectifs, ceux-ci demeurent les mêmes. En effet, comme le précise Cab, Front Froid a toujours à cœur de faire éclore de nouveaux talents et de promouvoir la bande dessinée de genre : « C’est de faire sortir des auteurs de l’ombre. D’élever la littérature de genre et de lui donner la place qu’elle mérite. Il y a de la place pour de bons récits de science-fiction et de bons récits de fantasy. Il faut les faire découvrir au grand public. »

Image : Front Froid.

(par Marianne St-Jacques)

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