Il y a 13 ans, au milieu de l’année 2000, Hiroya Oku entamait Gantz, prépublié au Japon dans le magazine Weekly Young Jump, l’équivalent seinen, donc destiné à un public plus mûr, pour simplifier, du Weekly Shonen Jump de l’éditeur Shueisha. Gantz se propose comme une série de science-fiction sans concession dont la recette de base consiste en un explosif cocktail mêlant pin-up et hémoglobine.
Retour aux sources
Kei Kuruno et son ami d’enfance Masaru Kato se retrouvent un jour sur le quai du métro. Kei, entraîné par Kato, aide un ivrogne tombé sur les voies, quand une rame survient et écrase les deux garçons. Ils reprennent vie -au sens propre- dans une étrange pièce meublée d’une boule noire qui leur confie des combinaisons avant de les envoyer en mission pour éliminer des créatures cachées dans la population.
Chaque mission introduit ainsi de nouveaux "disparus" devenus chair à canon. Des liens se tissent entre les personnages, que la violence des affrontements rompt avec la plus grande brutalité. La dramatisation est constante, fondée sur la survie précaire des héros que le récit renouvelle fréquemment.
Un dessin particulier
Le dessin d’Oku est parmi les plus maîtrisés et les plus nets du monde du manga. À la recherche d’un réalisme permettant d’instaurer une véritable tension et d’ancrer son récit de science-fiction dans la réalité, le mangaka a développé une technique particulière au fil de son œuvre.
L’informatique y occupe une place prépondérante - la majorité des assistants de l’auteur y consacrent d’ailleurs leur travail. La réalisation des décors intérieurs est effectuée à partir de logiciels 3D dans lesquels les personnages sont ensuite intégrés. Les décors extérieurs sont eux conçus à partir de prises de vue photographiques retravaillées numériquement. Une puissante impression de réalisme s’en dégage et les lecteurs peuvent ainsi reconnaître précisément le cadre de l’action. [1]
À côté de cela, le trait met en valeur les corps des protagonistes : les mouvements des combattants bien sûr mais aussi et surtout les corps en éclats des vaincus d’une part, les courbes généreuses des personnages féminins d’autre part. Gantz est ainsi renommé pour ses pin-up. Tonkam avait même proposé, pour le volume 27, une édition limitée avec un supplément regroupant les "covergirl" de la série, c’est-à-dire les planches de titre des chapitres où les héroïnes exposent leurs charmes. Systématiques au début de la série, leur présence se fait moindre au fil des volumes.
Un propos qui divise
Mais la dimension polémique de Gantz ne repose pas uniquement sur la représentation des corps, violente ou érotique. Elle nait du discours moral véhiculé par la série. Ses détracteurs en font un ramassis de clichés adolescents morbides quand ses défenseurs lui confèrent une portée philosophique quasi nietzschéenne.
De fait, Kei Kuruno apparaît d’abord comme un anti-héros amené à se forger une éthique en fonction des dilemmes auxquels il est confronté, des choix qu’il doit effectuer. Secourra-t-il ou non la jeune fille menacée de viol dans la pièce adjacente ? Portera-t-il assistance à ce partenaire aux prises avec une terrifiante créature ? Comment gèrera-t-il tous ces "mauvais" choix, égoïstes, dont les conséquences lui sont immédiatement visibles ?
Le dernier volume ne manque pas, une fois encore, de diviser les opinons. L’orientation du récit dans sa dernière partie, la "troisième phase", aura dérouté beaucoup de lecteurs, l’aspect "mission" du manga disparaissant. Devenue série de lutte ouverte contre un envahisseur extraterrestre, les enjeux s’en sont trouvés bouleversés et, l’aura de mystère s’estompant, la qualité globale du récit a chuté.
Le final proposé dans ce volume 37 ponctue donc cette guerre entre humains et aliens par un duel au sommet, retransmis sur les écrans du monde entier, entre Kei et son alter ego venu de l’espace. Un entretien avec Hiroya Oku conclut le tome et explique le cheminement qui a mené à ce dénouement, pensé et voulu originellement par l’auteur.
Un phénomène
Quel que soit le jugement que l’on porte sur Gantz, l’aura -et le succès- de la série furent considérables au Japon et dans le monde, en faisant un véritable phénomène manga de la dernière décennie. Outre les habituels goodies, type figurines, auxquels la série se prête aisément par ses héroïnes, Gantz connut une adaptation en dessins animés et même deux films "live", sans oublier un jeu-vidéo.
En France, Gantz constitue un titre majeur -pour ne pas dire la locomotive- du catalogue de Tonkam. Sa fin pose ainsi un véritable problème à l’éditeur qui, pour l’heure, n’a pas trouvé de successeur à ce hit, les dernières tentatives de l’an dernier, comme Medaka Box, pourtant très bon, s’avérant mitigées. La nouvelle orientation de l’éditeur autour de titres du magazine Monthly Hero’s mise sur des titres comme Hero Mask ou Kerberos in the Silver Rain. Sympathiques, mais qui ne semblent pas posséder le potentiel commercial d’un Gantz.
Alors que les cartes sont rebattues chez Delcourt avec le départ de Dominique Veret et d’Akata, ce "point final", pour reprendre le titre du dernier chapitre de Gantz, ponctue également la situation éditoriale de Tonkam, à la croisée des chemins.
(par Aurélien Pigeat)
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[1] [Plus de détails au sujet de cette technique sur cette page du site de fan Gantz Otaku.
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