Les contraintes du réalisateur sont nombreuses. Déjà, l’univers de Gaston n’est que pure convention : cette rédaction d’un « illustré pour la jeunesse » n’a rien de réaliste avec ses aventuriers, Spirou et Fantasio, qui la dirigent. Eux ne sont pas sans emploi, ils cumulent même les mandats… du moins jusqu’en 1968.
11 ans auparavant, le 28 février 1957, arrivait ce stagiaire longue durée, d’abord en pingouin puis en espadrilles, à qui aucune tâche précise n’est assignée. Quelques temps plus tard, surgissait son client buté amateur de contrats, puis une ménagerie griffante et ricanante…
On y décrit une vie de bureau où il n’y a ni ordinateur, ni téléphone portable, ni Internet, ni openspace… Juste des personnages parfaitement typés : un flemmard sympathique, des petits chefs énervés, une collègue énamourée, un homme d’affaire-bulldozer, un flic vétilleux et surtout une ménagerie plus sauvage que nature : un chat-dingue aussi dangereux que Wolverine et une mouette rieuse neurasthénique !
Une start-up d’Internet
Ceux qui auront vu le trailer du film ont tout lieu de s’inquiéter. Gaston n’est plus dans une rédaction, mais dans une start-up de l’Internet nommée « Au Petit Coin », et dotée d’un slogan : « Rendre utile l’inutile ». Prunelle ne porte pas les lunettes en écran de TV de la bande originale et Monsieur de Mesmaeker –Horresco Referens !- a tout ses cheveux !
Les plus âgés d’entre nous se souviennent de la précédente tentative faite par Paul Boujenah en 1981, Fais Gaffe à Lagaffe, avec Roger Mirmont, Marie-Anne Chazel et Daniel Prévost. Une comédie d’humour potache à la Jean Yanne, ce genre de nanar sans prétention comme on en faisait à l’époque. Suit-on le même chemin ? Comme dirait Prunelle, aïe, aïe, aïe !
Par le réalisateur des Profs
En fait, non. Le film de Pierre-François Martin-Laval alias Pef est rapide, enlevé, et arrache à chaque instant un sourire voire un rire. Les mômes présents dans la salle rigolent franchement. C’est un film grand public, destiné aux gamins ? Voire.
L’adaptation est d’une grande subtilité et, après le changement de paramètre initial qui remet Gaston dans un cadre plus moderne, après que la mouette rieuse ait enlevé en piqué le complément capillaire de l’homme d’affaire, on constate que cette adaptation est d’une extrême fidélité. Jusque dans le détail, l’univers de Gaston est restitué, réinventé et parfois enrichi.
Lui-même comédien, Pef a tout misé sur le jeu des acteurs. Sur le casting d’abord : chacun des personnages, à commencer par Théo Fernandez-Gaston, une espèce de grande asperge en latex, lymphatique et sympathique. Son nez n’est pas en forme de tubercule ? Ben, non, et on s’y fait très rapidement. Surtout, il joue juste, juste comme dans la BD d’André Franquin. C’est le réalisateur lui-même qui joue le rôle de Prunelle, en DG de start-up qui en réfère à un patron que, comme dans la BD, l’on ne voit jamais.
Cette trépidante comédie profite, comme dans les albums de Franquin, d’une double lecture : celle d’un récit qui se tient grâce à un fil narratif très malin qui plaira à un public familial de lecteurs non connaisseurs, et un autre qui fignole le détail et qui réinvestit chacune des inventions de Gaston en piochant dans les albums.
Le numérique a permis cela et certes, on pourra toujours faire la fine bouche, mais franchement, le procès en sorcellerie que pourraient faire certains puristes, nous semble injustifié. Allez voir Gaston Lagaffe en ces jours de grève car c’est une des meilleures réflexions sur la finalité du travail, réflexion utile face à l’avenir que nous prépare l’intelligence artificielle. Une start-up qui rend utile l’inutile ? Qui rendrait utile l’humain rendu inutile par la robotique ? Le sujet n’est pas aussi léger qu’il en a l’air...
Merci Pierre-François Martin-Laval d’avoir fait entrer Gaston dans le XXIe siècle !
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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Gaston Lagaffe de Pierre-François Martin-Laval, avec Théo Fernandez, Pierre-François Martin-Laval, Arnaud Ducret, Jérôme Commandeur, Alison Wheeler… En salle le 4 avril 2018.
Dessins d’André Franquin © Dupuis, 2018
Photos : Arnaud Borrel © 2017 - Les Films Du Premier – Les Films du 24 – Tf1 Films Production – Belvision Avec la participation de TF1 et OCS. Tous droits de reproduction réservés
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