Interviews

Gene Luen Yang : « Nous sommes confrontés à la nécessité de définir nos propres référents identitaires »

Par Didier Pasamonik (L’Agence BD) le 23 mars 2008                      Lien  
Phénomène éditorial aux États-Unis, Americain Born Chinese : Histoire d'un Chinois d'Amérique de Gene Luen Yang (éditions Dargaud) raconte de façon subtile les difficultés de l’intégration d’un immigrant chinois en Amérique. Rencontre avec son créateur.

Gene Luen Yang : « Nous sommes confrontés à la nécessité de définir nos propres référents identitaires »
"Americain Born Chinese" de Gene Luen Yang
Editions Dargaud

Véritable manuel d’antiracisme, American Born Chinese (Dargaud) a été, comme nous vous l’expliquions précédemment, un phénomène aux États-Unis. Édité par le jeune éditeur First Second, il rafla, en quelques semaines, quelque 18 distinctions d’institutions américaines. Du fameux Eisner Award pour le meilleur Graphic Novel de l’année, en passant par le Reuben Award pour la meilleure BD de l’année, au fameux prix professionnel Publisher’s Weekly Best Book of the Year en passant par le très convoité prix des bibliothécaires School Library Journal Best Book of the Year,… il constitue l’album de BD plus capé outre-Atlantique.

Votre ouvrage a raflé aux États-Unis la plupart des distinctions décernées à une bande dessinée, alors que vous étiez un parfait inconnu dans le métier. En France, ça ne se passe pas mal non plus. Ce succès vous a-t-il surpris ?

Oui, ça a été incroyable. En fait, cela fait dix ans que je publie. Mais c’était toujours un boulot réalisé en plus de mon travail. J’étais prof, la BD n’avait jamais été un travail plein temps pour moi.

"Americain Born Chinese" de Gene Luen Yang
Editions Dargaud

Qu’est-ce qui, selon vous, a suscité un tel enthousiasme pour votre livre ? Un intérêt subit pour la communauté chinoise des États-Unis ?

Cette communauté a puissamment contribué au succès de mon livre, c’est certain. Mais je pense que c’est dû au fait que l’Amérique est une nation d’immigrés. Mon histoire raconte l’expérience de l’immigration. Beaucoup de gens s’y sont reconnus.

De quelle façon ?

Il y a énormément de migration dans le monde actuel, une mixité des cultures bien plus importante qu’avant. Cela crée des situations dans laquelle les gens sont incertains de leur position sociale, de leur identité. Cela a été le cas pour moi. La mondialisation est évidemment responsable de cet état de fait. Beaucoup de gens ont, comme moi, une culture qui est différente de celle de leurs parents. Je suis américain alors que mes parents sont chinois. Pour cette raison, il y a des tensions entre nous. Nous sommes confrontés à la nécessité de définir nos propres référents identitaires, différents de ceux de nos parents.

Au-delà de la langue de bois et du discours politiquement correct, le racisme est toujours là ?

Je pense que oui. Je vois le racisme comme une expression de l’égoïsme. Quand on est égoïste, on a tendance à être raciste. Généralement, on est méfiant des gens qui ne font pas partie de notre famille, qui ne font pas partie de notre pays, ou qui ne sont pas de notre race. Lorsque sont arrivés les attentats du 11 Septembre, la communauté chinoise des États-Unis a été profondément choquée, comme toutes les autres, je crois, en dépit du fait que cet acte résonnait comme une critique de la politique américaine. Mais, comme prof, j’animais à l’université un club d’élèves américano-asiatiques à Oakland. Il n’y avait pas que des Chinois, mais aussi des Japonais, des Coréens, des Philippins, etc. Je me souviens que quelques mois après les attentats, certains élèves japonais se rappelaient du sort qui avait été fait aux citoyens américains d’origine japonaise pendant la Seconde Guerre mondiale [1]. Les attentats du 11 Septembre avaient réveillés parmi eux une certain passion pour ce qui était arrivé à leurs parents pendant cette période.

Gene Luen Yang
Photo : D. Pasamonik

Croyez-vous que les Américains soient prêts à élire un citoyen noir comme Barack Obama ou une femme comme Hillary Clinton à leur présidence ?

Ce sont l’un et l’autre des candidats très crédibles. Le simple fait qu’ils soient candidats est déjà un indice que les Américains sont prêts à ce changement et ont dépassé certaines de leurs préventions racistes. Je pense qu’un bon nombre d’immigrés d’origine asiatique, en particulier ceux venant de Chine et de Taïwan voteront plutôt républicain. Il me semble que le parti démocrate prône plutôt la responsabilité collective, tandis que le parti républicain croit en la responsabilité individuelle. Pour la plupart des immigrants asiatiques arrivant aux États-Unis, leur priorité est la réussite sociale et donc, la liberté d’entreprise individuelle. Je sais que la plupart des immigrants de la génération de mes parents voteront républicain pour cette raison.

Croyez-vous qu’un livre comme le vôtre puisse avoir une quelconque influence sur l’opinion ?

Je ne sais pas. Si seulement une ou deux personnes se mettaient à réfléchir un peu sur ces questions, ce serait déjà un très grand succès pour moi.

Propos recueillis et traduits de l’anglais américain par Didier Pasamonik.

(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))

Cet article reste la propriété de son auteur et ne peut être reproduit sans son autorisation.

🛒 Acheter


Code EAN :

Acheter l’album en ligne

[1Après l’attaque de Pearl Harbor, le 7 décembre 1941, les résidents japonais sur le territoire américain, mais aussi les citoyens américains d’origine japonaise furent enfermés dans des camps de concentration pendant la durée du conflit. NDLR.

 
CONTENUS SPONSORISÉS  
PAR Didier Pasamonik (L’Agence BD)  
A LIRE AUSSI  
Interviews  
Derniers commentaires  
Abonnement ne pouvait pas être enregistré. Essayez à nouveau.
Abonnement newsletter confirmé.

Newsletter ActuaBD