Déjà, on accusait Hergé d’être collabo, raciste, antisémite, misogyne... On peut même penser que sa notoriété doit pas mal à cette "légende noire" qui n’a pas d’équivalent dans l’histoire de la bande dessinée.
Or, un ouvrage à paraître en octobre prochain aux éditions 12bis en rajoute dans le "scandale" : Hergé aurait entretenu pour Tchang de tendres sentiments au point de rendre sa femme jalouse ; un collègue aurait même surpris les deux hommes en train de se faire "des papouilles" dans leur studio... Le fameux Tchang serait par ailleurs, apprend-on, un activiste communiste infiltré auprès du dessinateur bruxellois pour mieux faire passer la propagande anti-fasciste et anti-japonaise dans Tintin...
Tchang le communiste
"L’histoire d’Hergé et de Tchang a fait rêver et continuera de faire rêver.
C’est sans doute la plus belle rencontre entre fiction et réalité qui soit arrivée à Hergé" nous dit Benoît Peeters, biographe du "fils de Tintin". Peeters a lui-même développé une autre version sur la relation entre Hergé et Tchang : dans Complots capitaux [1], il imagine que le Tchang revenu sous les caméras de Zaventem en 1981 ne serait qu’un faux, le véritable ami d’Hergé ayant fini ses jours dans les geôles communistes...
Jacques Langlois avait rapporté en son temps, dans la revue Les Amis de Hergé [2], les différentes conclusions à tirer d’un ouvrage de Roger Faligot sur les services secrets chinois [3] qui consacre pas moins de sept pages à "l’énigme du Lotus Bleu" mettant en évidence la proximité de l’entourage chinois d’Hergé avec des proches du communiste Chou En-Laï, l’amitié que Tchang entretenait à Bruxelles avec Tong Dizhou, futur dirigeant communiste chinois, enfin des allusions toponymiques précises insérées par Tchang dans Tintin qui démontreraient une profonde familiarité du Chinois avec les milieux proches de Mao Tsé Toung, juste avant qu’il n’entame sa Longue Marche : "Amalgames et anachronismes", en avait conclu ce gardien du temple.
Une amitié particulière
L’auteur de cette bande dessinée, Laurent Colonnier, a au contraire été convaincu par les arguments de l’historien-politologue et il va encore plus loin dans les hypothèses : il montre avec brio comment Tchang a véritablement subjugué Hergé, et en quoi cette rencontre a été déterminante dans son œuvre et même dans l’histoire de la bande dessinée franco-belge, jetant les fondements de la Ligne Claire.
Il va même jusqu’à suggérer que les sentiments de Hergé pour son ami chinois n’étaient pas qu’artistiques...
Au départ de sa conviction, il y a ce lapsus de Hergé dans une émission de Bernard Pivot où le dessinateur bruxellois explique que son album préféré est Tintin au Tibet "parce que c’est une histoire toute simple, où il n’y a pas de méchants, pas de mauvais, où il n’y a pas de gangsters, où il n’y a rien. Simplement une histoire d’amou... d’amitié. Comme on dit, une histoire d’amour."
Pochade ? Billevesées et coquecigrues ? Peut-être. Mais la restitution du Bruxelles des années trente, la multitude de détails pertinents, la profonde connaissance de l’œuvre d’Hergé et surtout un scénario remarquablement construit par l’auteur achèvent de séduire, sinon de convaincre.
La virée romanesque de Tchang et Hergé à Anvers jusque dans une fumerie clandestine d’opium est un des grands moments de cet album. Et si la fiction fait son office, elle ne fait que donner plus d’éclat encore à l’œuvre singulière du créateur de Tintin.
(par Didier Pasamonik (L’Agence BD))
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[1] Un recueil de nouvelles, dirigé par Olivier Delcroix aux éditions Néo/Le Cherche midi, 2008.
[2] Jacques Langlois, Les nouvelles tribulations d’un Chinois en Chine, ADH numéro 51 - Printemps 2011.
[3] Roger Faligot, Les Services secrets chinois, de Mao aux JO, Nouveau Monde éditions, 2008.
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