Depuis 1985 (date de la dernière réédition de la série), on n’avait plus touché aux planches de Gil Jourdan. Depuis, le paysage éditorial a beaucoup changé et les grands éditeurs, souvent sous l’impulsion de plus petits, ont pris conscience de l’importance de soigner leur patrimoine. Gil Jourdan, l’intégrale, bénéficie donc de cette tendance : un écrin soigné, pour cette série qui fait partie de la fine-fleur de l’âge d’or de la maison de Marcinelle.
S’il ne possédait pas la virtuosité graphique d’un Franquin, Maurice Tillieux demeure un auteur emblématique de son époque. Excellent scénariste, on lui doit les meilleures histoires de Tif et Tondu, Tillieux eut l’occasion de se roder à l’écriture avec la collection des Héroïc Albums, où il enchaîna un nombre impressionnant de récits à la manière du réalisme américain en vogue. Persuadé qu’il est plus doué pour restituer des ambiances par le dessin que le verbe, Tillieux va paradoxalement devenir un maître des dialogues. Une plume particulièrement enlevée, sa marque de fabrique, en fera rapidement un alter ego en bande dessiné de Michel Audiard.
Féru de la collection Série Noire, il digérera la lecture des grands auteurs hard boiled américains comme Dashiell Hammett et James Hadley Chase. Il partagera également avec Marcel Duhamel et Jacques Prévert, les instigateurs de cette collection, un réel talent pour inventer des titres à la fois évocateurs et mystérieux : Les Cargos du crépuscule (1961), l’Enfer du Xique-Xique (1962), Surboum pour quatre roues (1963)…
Arrivé chez Spirou, Tillieux va ajouter une bonne dose d’humour à ses histoires. Le trio formé par Gil Jourdan, Libellule et l’inspecteur Crouton va s’imposer directement. Principalement parce que Tillieux retravaillera ses scénarios imaginés pour le personnage de Félix, à l’époque des Héroïc Albums, la série trouvera directement le ton juste. Faisant rimer des enquêtes très ancrées dans la réalité avec un sens de l’humour omniprésent, Tillieux fait mouche. Entre 1956 et 1960, il créera quatre albums exceptionnels réunis dans cette première intégrale : Libellule s’évade, Popaïne et vieux tableaux, La Voiture immergée et Les Cargos du crépuscule. Cinquante ans plus tard, la (re)lecture des enquêtes de Gil Jourdan fait mesurer à quel point le talent de Tillieux était immense.
En attendant sa biographie par Hugues Dayez [1], un travail annoncé depuis de nombreuses années déjà chez Niffle [2], on dégustera ces quatre grands classiques de Maurice Tillieux dans cette magnifique réédition commentée.
(par Morgan Di Salvia)
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