Lycée privé pour garçons, Shirokin a tout de l’établissement de troisième zone. Les professeurs semblent avoir abandonné l’idée même d’enseigner la moindre chose à leurs élèves. Ainsi donnent-ils leur cours devant une classe où l’absentéiste est monnaie courante, et les quelques élèves présents discutent ou vaquent à leurs occupations dans l’indifférence générale. La principale règle, implicite, de l’établissement repose sur un compromis : aucune des deux parties ne s’occupe des affaires de l’autre ! Chacun dans son coin et tout se passera bien en somme...
C’est dans ce contexte de faillite scolaire que débarque Kumiko Yamaguchi, professeure de mathématiques fraîchement diplômée. Elle découvre des élèves perçus comme des menaces potentielles au lieu de personnes à éduquer. La norme vestimentaire des professeurs va d’ailleurs dans ce sens : le jogging, choisi tant pour sa neutralité sociale que pour son aspect pratique... permettant de courir et de fuir facilement au besoin !
Kumiko Yamaguchi, quant à elle, se présente comme une professeure un peu tête en l’air, maladroite et idéaliste. Elle se fait malmener par ses élèves et semble a priori n’avoir aucune autorité ou maîtrise de sa classe, sauf que...
... derrière ce masque d’innocence se cache la troisième héritière du fameux clan de yakuzas « Kuroda » ! Kumiko a choisi d’exercer le métier de professeure au lieu de prendre la suite de son grand-père, l’actuel chef de la famille Kuroda. Cependant loin d’avoir abandonné les affaires familiales, Kumiko continue d’aider la « maison » à l’occasion, pour « dépanner ». Ainsi, au final notre héroïne va devoir jongler entre les deux faces de sa vie, qui ne doivent pas se rencontrer, évidemment...
Qui est réellement Kumiko Yamaguchi ? En réalité, notre chère professeure n’a rien d’une personne calme et effacée. Experte en arts martiaux, impulsive et caractérielle, elle use facilement de violence pour résoudre les problèmes, au point que les membres du clan Kuroda redoutent ses colères, voire même sa simple mauvaise humeur !
Conscient de son tempérament explosif, Kumiko cherche à se construire une nouvelle personnalité, plus posée et « civilisée ». Devenue professeure, elle s’est fixée comme objectif de venir en aide aux jeunes que la société à laissé tomber. Et qui de plus qualifié pour cela qu’une personne ayant été justement élevée dans un milieu en marge de la société « officielle » ?
Publié au Japon dans le magazine Young You des éditions Shûeisha de 2000 à 2007, Gokusen est un Josei manga [1] de Kozueko Morimoto. Extrêmement populaire au Japon, Gokusen a été adapté en animé (paru en France chez IDP/Taïfu video) mais également en drama (série TV live), diffusé sur Nippon TV de 2002 à 2008. Le titre du manga est la contraction de « Gokudo no Sensei » qui signifie littéralement « professeur gangster ».
Gokusen compte en tout quinze tomes. Kazé Manga a opté pour une parution rapide et soutenue : elle s’étalera de septembre 2014 à septembre 2015, soit treize mois pour un rythme d’un tome par mois - à l’exception donc de deux mois proposant une double ration.
À noter que comme pour le cas de Chihayafuru, la série de Kozueko Morimoto n’est pas désignée chez nous en tant que Josei. Kazé a choisi de la présenter comme un Seinen [2]. Alors que les désignations Shônen [3], Shôjo [4] et Seinen, et le public lié, semblent désormais bien implantées en France et utilisées pour établir des collections, le Josei semble toujours constituer un créneau problématique, non exploitable en tant que tel.
Le graphisme de Kozueko Morimoto, minimaliste et simple, peut rebuter certains lecteurs et ne constitue clairement pas le point fort de Gokusen. Cependant, les visages sont expressifs, et les scènes dynamiques et parfaitement lisibles. La narration en elle-même fonctionne très bien : les pages se dévorent et les situations s’enchaînent sur un rythme fluide et maîtrisé.
Kozueko Morimoto opte pour un ton léger et humoristique, sur la forme classique de l’introduction d’un élément incongru -en l’occurrence son héroïne- dans un milieu a priori difficile et violent. L’humour de la série, ainsi que la résolution de certaines situations, reposent ainsi en grande partie sur la personnalité bipolaire de son héroïne. On s’amuse de la voir utiliser par mégarde de l’argot yakuza, incompréhensible des gens ordinaires, ou bien fuir par pur réflexe conditionné lorsqu’apparaît un policier ! Sans oublier évidemment sa force de frappe, hors-norme, qu’elle tente de dissimuler tant bien que mal.
Outre l’héroïne, le reste du casting du manga n’est pas en reste, faisant la part belle aux « gueules », que ce soit chez les élèves ou -évidemment- les yakuzas. Les tempéraments chaud bouillant se mêlent à des caractères qui se révèlent attachants une fois dépassés les a priori. L’ambiance générale demeure bon enfant, en dépit du langage coloré et du comportement irrévérencieux des personnages.
Évidemment, le titre fait irrémédiablement penser à GTO de Tôru Fujisawa. Cependant le ton et l’univers de Gokusen, mêlant deux mondes « peu recommandables », sont suffisamment spécifiques et réussis pour en faire une lecture fort agréable, chaudement recommandée en cette période de rentrée scolaire !
(par Guillaume Boutet)
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Gokusen T1 & 2. Par Kozueko Morimoto. Traduction Élodie Lepelletier. Kazé Manga, collection "Seinen". Sortie le 17 septembre 2014. 192 pages. 7,79 euros.
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[1] Josei : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale des femmes adultes.
[2] Seinen : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale les hommes adultes.
[3] Shônen : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale les garçons adolescents.
[4] Shôjo : désigne un type de manga ayant pour cible éditoriale les adolescentes.